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Les Edokko, un mélange de différentes populations

Chapitre 3. L’Ouest et l’ Est dans l’histoire du Japon

6. La culture Kasei et les Edokko

6.6. Les Edokko, un mélange de différentes populations

La conscience edokko et la culture qui l’accompagne sont apparues dans la dernière moitié du 18e siècle et résulte de l’interaction entre trois groupes qui se complètent l’un et l’autre

: la classe des guerriers, les chōnin provinciaux et les natifs d’Edo.

Les Edokko sont volontairement grossiers, et les pires provenant de la classe inférieure. Par pure médisance, certains d’entre eux vont jusqu’à dire que nul ne devrait avoir peur des samouraïs plus que des poux. (Jōkanbōkōa 静観坊好阿 1753)

La répulsion du peuple envers la classe des guerriers provenant des différents domaines, ainsi qu’envers les riches marchands provenant du Kamigata, forge la conscience edokko qui se démarque par l’esprit iki et hari (raffinement et force de caractère). Paradoxalement, malgré le fait que la politique du régime Tokugawa soit la cause de la présence d’« étrangers » dans leur ville, les edokko sont fiers du superbe château d’Edo (Nishiyama 167, 1980). Selon Nishiyama cette situation complexe est propre à Edo. Elle s’explique, entre autres, par l’emplacement des résidences de daimyō, choisi selon leur statut respectif. Par exemple, à Edo, la résidence du

domaine Kaga, à la fois le plus grand domaine et le plus grand tozama 外様184, se trouve

entourée par les résidences des domaines de la famille Tokugawa (shinpan 親藩) et des maisons vassales de la famille Tokugawa (fudai 譜代). Quant aux petits et moyens domaines, leurs résidences sont fréquemment déplacées, surtout durant le premier siècle de l’époque Tokugawa, d’une part, à cause des nombreuses destitutions (194 en tout) et des nouvelles nominations de daimyō, d’autre part, dans le but d’empêcher une alliance entre ceux-ci. Chaque fois que la résidence est déplacée, les marchands et les artisans qui y sont associés déménagent aussi. De plus, des incendies fréquents rasent des quartiers entiers de chōnin à cause de la structure fragile des maisons aux toits faits de bardeau de bois, collées les unes aux autres. Donc, même si le nombre de déplacements des résidences de daimyō est atténué avec l’affermissement du pouvoir du shogunat Tokugawa (Nishiyama 1982, 104), il est difficile pour les habitants d’Edo de demeurer longtemps au même endroit.

Dans ces circonstances, Nishiyama (1997, 42-43) mentionne que la communauté chōnin d’Edo est complètement différente de celle du Kamigata qui, selon lui, est traditionnellement cimentée dans l’espace tandis que celle d’Edo est plus axée sur l’individu. Il prend pour exemple les trois plus grands festivals du pays, dont l’organisation diffère. Le festival tenka matsuri à Edo est une commémoration. Du 17e au 19e siècle, aux sanctuaires Sannō et Kanda, on y célèbre

le règne de Tokugawa. Ceux qui y participent cherchent à avoir du plaisir et à se défouler. Même le bakufu y participe en accueillant le défilé dans le château d’Edo. Tous les participants sont, en quelque sorte, des touristes dans leur propre ville. En comparaison, au Kamigata, la fête de Gion à Kyoto, instaurée en l’an 869, et la fête de Tenjin à Osaka, instaurée en l’an 951, prennent des allures de rituels pratiqués pour éloigner les mauvais esprits. Ces événements préparés par les chōnin sont profondément enracinés dans la communauté de chaque quartier.

Comme autre exemple, Nishiyama soutient que l’esprit de résistance des Edokko contre les guerriers, les ressortissants provinciaux et même contre tout le Kamigata est incarné dans la tradition du théâtre kabuki aragoto d’Edo qui est apparu durant l’époque Genroku. Le style aragoto représenté par le premier Ichikawa Danjurō (1660-1704) à Edo est caractérisé par la

184 Tozama daimyō 外様大名: Littéralement « Seigneurs de l’extérieur ». Daimyō qui étaient de puissance égale

au Tokugawa avant la mise en place du shogunat et qui, après 1603, furent autorisés à conserver leurs domaines en échange de leur allégeance (Calvet 2003, 146).

beauté masculine (masurao buri) tandis que le style wagoto du Kamigata est caractérisé par la beauté féminine (taoyame buri), les aventures amoureuses et les portraits de la vie quotidienne. Un bon exemple de kabuki du style wagoto est la pièce Sonezaki shinjū créée par Chikamatsu Monzaemon (1653-1725) et jouée par le premier Sakata Tōjūrō (1647-1709).

Le aragoto, est basé sur le folklore issu de la région du Kantō. Dans cette région, Edo assume le rôle de centre culturel pour le peuple dans l’Est. Les pièces jouées par Danjūrō commencent à être montées régulièrement à Edo, à la suite de la popularité de son rôle principal, Gorō, devenu un héros grâce à sa force surhumaine. Dans ce style théâtral, le spectateur s’identifie à l’individu. En comparaison, à Osaka, le spectateur s’identifie au groupe, comme dans la pièce Chūshingura, basée sur l’histoire de la vendetta d’Akō en 1703, qui met en scène un groupe de personnages réunis pour un seul et même objectif. Nishiyama atteste de la différence entre la pratique d’Edo et celle du Kamigata. À Kyoto et Osaka, les familles de directeurs de théâtre et d’acteurs montrent peu de continuité; les gens sont embauchés de façon contractuelle. À Edo, les directeurs, les acteurs, les musiciens, les danseurs, les scénographes et même les artistes de panneaux d’affichage sont des rôles héréditaires et monopolisés par la même famille, de génération en génération. Nishiyama croit que l’existence des edokko a insufflé au kabuki aragoto un esprit d’indépendance et de résistance (Nishiyama 1997, 50-51). À Edo, jusqu’au milieu du 18e siècle, les artisans et commerçants sont reliés à une maison de

daimyo en tant que fournisseurs mandatés (goyōtashi 御 用 達 ). Cette situation empêche l’émergence d’une seule communauté chōnin. Cependant, la situation change après l’ère Hōreki 宝暦 (1751-1763), à l’époque où la situation du chōnin évolue vers plus d’indépendance en raison de l’appauvrissement de la classe guerrière (Nishiyama 102, 1982). En parallèle, avec le temps, de plus en plus de produits propres aux régions du Kantō commencent à transformer tranquillement le marché à Edo.

La culture de l’époque Kasei démontre donc le parachèvement de l’identité propre de la ville d’Edo plutôt que la dominance de celle-ci sur les trois capitales.