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Chapitre 2 : Le jibanchinka du Kansaï

1.2 L’origine du jibanchinka

Nakamura (2000) remarque que la plupart des rapports traitant du jibanchinka, depuis la fin de la décennie Showa 20 (1945-1954) jusqu’à la décennie Showa 30 (1955-1965), tels que celui du CCIO et celui de la Division du commerce et de l’industrie d’Osaka City Affaires Bureau, mentionnent la centralisation à Tokyo durant la Seconde Guerre mondiale comme cause de ce phénomène. Dans le commerce de gros, le produit des ventes d’Osaka d’avant-guerre représentait 1,65 fois celui de Tokyo en 1935, alors qu’il ne représente plus que 1,4 fois celui de Tokyo en 1952, soit après la guerre96. Pour expliquer cette diminution de l’écart entre les

deux villes, la division de recherche du CCIO a souligné neuf facteurs : (1) l’économie dirigiste et, par conséquent, l’effondrement de l’organisation commerciale, (2) la précarité du capital, (3) la politique nationale priorisant la productivité, (4) la tendance de centralisation du pouvoir97,

(5) les pratiques professionnelles des marchands d’Osaka, (6) le nombre excédentaire de commerçants et l’intensification de la compétition, (7) la perte du marché mandchou-coréen, (8) la difficulté d’approvisionnement en marchandises nouvellement disponibles sur le marché, (9) les dommages causés par la récession. Quant au commerce de détail, le produit des ventes de Tokyo représentait 1,35 fois celui d’Osaka avant la guerre, et 3 fois celui d’Osaka après la guerre. Pour expliquer une fois de plus cet écart, le CCIO a mentionné cinq éléments : (1) le taux de croissance de la population d’Osaka relativement plus faible que celui de Tokyo, (2) le niveau de consommation relativement plus bas que celui de Tokyo, (3) le caractère

96 Osaka shōkōkaihisho chōsabu. Osaka shōgyō no genjō bunseki. 1953

97 Déjà avant la Seconde Guerre mondiale, Ogawa Gōtarō, ancien professeur à l’Université de Kyoto et membre

de la Chambre des Représentants depuis 1917, a fait savoir publiquement « that he intended to eliminate the

control faction in MCI (Ministère du Commerce et de l’industrie), and he had several reasons for wanting to do so. First, he was from Kansai and reflected the Osaka business world’s hostility to the controlled economy

« marchand » d’Osaka, comparé au caractère plus « consommateur » de Tokyo, (4) la réduction du nombre de visiteurs de l’extérieur d’Osaka, (5) la population trop portée vers les métiers de commerçants.

Il semblerait donc que la Seconde Guerre mondiale ait été le tournant pour l’économie du Kansaï. Cependant, selon Nakamura (2000), le phénomène du jibanchinka a pris racine avant la guerre, à l’époque où le Kansaï s’orientait vers l’industrie légère et l’industrie textile, dont les produits étaient exportés sur le marché asiatique en partance du port d’Osaka et du port de Kobe, deux villes qui avaient prospéré en tant que villes commerciales. « The biggest industries were the cotton textile firms on Osaka, and they were fiercely independent and suspicious of Tokyo. (Johnson 1982, 88) » Durant la guerre, en plus des dommages causés par les bombardements, la structure industrielle d’Osaka est affectée par la politique du gouvernement central japonais misant sur l’industrie lourde et chimique pour les fournitures de guerre. Le rétablissement de l’industrie légère axée sur l’industrie textile au Kansaï après la guerre agit comme remorque de l’économie régionale et permet au Kansaï de reprendre sa place dans le commerce international.

Après la Seconde Guerre mondiale, durant la période de rétablissement, les ports d’Osaka et de Kobe accusent un certain retard par rapport aux autres ports japonais, surtout parce que leurs destinations principales étaient les anciennes colonies japonaises en Chine, en Corée et en Asie de sud-est. C’est à cette époque qu’on commence à observer un désavantage structurel au niveau de l’économie de la ville d’Osaka, et donc de la région du Kansaï dans son ensemble, celle-ci étant dépendante des exportations de l’industrie du textile et de l’industrie légère. À cause de la concurrence d’autres pays d’Asie œuvrant dans les mêmes domaines, même dans le contexte de la situation économique favorable d’après-guerre, les exportations en provenance du Kansaï n’ont pas connu un essor aussi grand que celui observé dans d’autres régions du Japon.

Dans la décennie Showa 30 (1955-1965), tout comme d’autres régions du Japon, le Kansaï commence à démontrer une croissance dans le domaine de la fabrication de produits d’industrie lourde et chimique. En 1962, parmi les secteurs industriels d’Osaka, c’est l’industrie lourde et chimique qui enregistre le plus gros chiffre d’affaires, supplantant ainsi l’industrie textile. En considération de ce changement important, les efforts sont concentrés dans le domaine de l’industrie lourde et chimique, notamment avec la construction de la zone

industrielle maritime de Sakai-Senboku à partir de 195798. Cependant, et malgré ce changement,

la caractéristique première de l’industrie d’Osaka demeure la fabrication de produits de petite et moyenne taille (Miyamoto 1977); la ville développe plutôt des appareils électroménagers que de la machinerie lourde, comme c’est le cas pour les compagnies Matsushita (Panasonic) et Sharp. De la même façon, dans le domaine de l’industrie chimique, Osaka se spécialise surtout dans la fabrication de médicaments et de cosmétiques (Nakanura 2000).

Malgré l’énoncé de Sugi en 1952, la plupart des hommes d’affaires du Kansaï situent le commencement du jibanchinka après l’Exposition universelle d’Osaka en 1970 qui pour eux représentent l’apogée d’Osaka. Cette exposition universelle basée sur le progrès de l’industrie et l’harmonie pour l’humanité était la première en Asie. Elle était suivie par la fin du miracle économique japonais en 1973, lors du premier choc pétrolier. C’est dans cette décennie que l’affaissement du Kansaï se manifeste plus concrètement.

En 1979, le département d’Osaka, dans son rapport à l’Assemblée délibérante pour la promotion de l’industrie et du commerce 商工業振興審議会, fait observer que le commerce international à Osaka est en baisse par rapport à Tokyo. Concrètement, cela implique le transfert à Tokyo des divisions internationales ou des fonctions décisives des entreprises d’Osaka99.

D’autre part, les entreprises kansaïennes œuvrant dans l’industrie légère et du textile commencent à transférer leurs bases de production outremer ou à vendre leurs équipements aux pays leur faisant concurrence. La réimportation qui résulte de ces décisions nuit encore plus aux entreprises du Kansaï. De plus, dans le domaine du commerce international, on observe une croissance importante des exportations chez les grandes entreprises et une croissance des importations chez les PME œuvrant dans l’industrie légère. Le Kansaï se trouve donc désavantagé par cette tendance. Celui-ci compte effectivement plus de PME que de grandes entreprises, puisque son économie - et celle du pays - repose alors sur les petites entreprises œuvrant dans l’industrie légère. Maintenant que l’économie japonaise a rejoint les rangs des pays développés, le coût de la main-d’œuvre, plus dispendieuse qu’ailleurs, représente en fait un désavantage comparatif pour de telles structures.

98 À cette époque, beaucoup de jeunes ouvriers (15-34 ans) provenaient de Kyūshū, de Shikoku et de Chūgoku,

bref de l’ouest du Japon, attirés par le développement de l’industrie textile (p.124) et par la construction de la zone industrielle maritime de Sakai-Senboku (p.130) pour les grandes entreprises.

De gré ou de force, Nakamura (2000,134) affirme que l’État a de plus en plus de difficulté à rectifier la situation économique des régions affectées par l’internationalisation du pays par voie administrative. Il explique le jibanchinka au Kansaï par deux facteurs principaux : la structure du commerce et la réorientation industrielle. La structure du commerce est basée sur l’import-export des industries à forte intensité de main-d’œuvre, c’est-à-dire l’industrie du textile et l’industrie légère incluant la production de petits appareils électroménagers. Cette structure a suscité le déclin de l’économie régionale à cause de la concurrence des nouveaux pays industrialisés d’Asie, et du déplacement des bases de production outremer. En ce sens, Nakamura croit que le jibanchinka d’aujourd’hui a été amorcé dans le cadre de cette structure industrielle, avant même la Seconde Guerre mondiale. Ce qui constitue le deuxième facteur est représenté par les projets de réorientation industrielle du tournant des années 1960, calquées sur les autres régions industrielles telles que Keihin (Tokyo-Yokohama) et Chūkyō (Nagoya), phénomène résultant de la centralisation à Tokyo qui s’amorçait déjà depuis longtemps. Cette tendance commence à devenir plus tangible dans la vie quotidienne depuis les années 1970, à la suite du développement des réseaux de transport et de communication qui, en conséquence secondaire, a contribué à la centralisation commerciale à Tokyo.

« J’ai déjà entendu le terme « affaissement de terrain du Kansaï ». Le déclin d’Osaka est sérieux, et ce, depuis le temps de la bulle spéculative, il me semble, et même avant. Les trains à haute vitesse, les lignes de shinkansen, sont entrés en service l’année des Jeux olympiques à Tokyo en 1964. Plus l’accès devient facile, plus Tokyo absorbe les diverses ressources des régions. » (Fujiki)