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Les chōshū (ou machishū) 町衆 comme meneur de la culture Kan’ei

Chapitre 3. L’Ouest et l’ Est dans l’histoire du Japon

4. La culture Kan’ei 寛永

4.2. Les chōshū (ou machishū) 町衆 comme meneur de la culture Kan’ei

« Kan’ei ». Il a évoqué l’importance de cette ère, en tant que période de jonction (Hayashiya 1953) : une culture qui a émergé dans une atmosphère plus libérale, avant la fixation du phénomène culturel150 par le pouvoir politique qui prend de l’ampleur en parallèle avec

l’avancement de la politique isolationniste151 du bakufu, (Hayashiya 1954). D’après Hayashiya,

cette époque est caractérisée par un accroissement des chōshū 町衆 dans la société, surtout à Kyoto, meneuse des activités culturelles de cette époque.

La population chōshū puise ses origines des registres domiciliaires de la ville de Kyoto à la période Heian. Vers la fin de cette époque, le système basé sur la cour impériale est bouleversé et on observe l’apparition de la population urbaine dans la littérature. Ensuite, au Moyen Âge japonais, la population urbaine composée de marchands et d’artisans s’unit aux serviteurs qui sont nouvellement arrivés dans la ville avec les clans militaires. Ils sont appelés Kyō warabe 京 童 (les enfants de Kyoto) et commencent à se regrouper en machi 町 , communautés qui se rapprochent du quartier. Cette formation progresse pendant les temps d’instabilité de la fin de l’époque Muromachi (1336-1573) où les révoltes de paysans, do-ikki 土一揆, surtout contre les établissements de prêts sur gages 土倉, sont chose fréquente à Kyoto, ville qui héberge le bakufu. L’autorité en place, le bakufu de Muromachi, n’arrive plus à calmer ces révoltes et à protéger la ville depuis la crise politique de l’ère Kakitsu en 1441, déclenchée

150 Comme représenté entre autres par le développement du système de l’iemoto (chef d’un courant artistique) à

travers lequel se transmettent les techniques artistiques de générations en générations. Hirota (2011) note que, dans le domaine de la cérémonie du thé, le système d’iemoto tel qu’on le connaît aujourd’hui date de la restauration de Meiji. Selon lui, le prestige et l’autorité de l’iemoto de l’époque Tokugawa n’était pas aussi élevés. En ce sens, il croit que Hayashiya avait tort de qualifier l’iemoto de « structure féodale ». Néanmoins, Hirota confirme l’institutionnalisation du système iemoto dans le domaine du thé à cette époque par deux philosophies différentes : la cérémonie plus rituelle guidée par les maîtres de thé au service des grandes maisons de la classe guerrière, surtout au début de l’époque Edo, et la cérémonie pratiquée par les chōnins et les agriculteurs riches, au milieu de l’époque Tokugawa.

151 Contrairement à l’image qu’on se fait de ce terme, l’isolationnisme japonais signifiait un contrôle plus sévère

par l’assassinat du shogun Ashikaga Yoshinori. Les habitants des villes sentent le besoin de protéger leur lieu de résidence et leurs activités, ce qui nécessite des établissements de prêts sur gages. Cette situation encourage un sentiment collectif et éventuellement un regroupement plus organisé en machi. Les aristocrates de bas niveaux ou appauvris, qui habitent alors dans les mêmes quartiers, convergent avec la population urbaine. La population aristocrate cultivée aide à la création de collectivités viables et mène à l’émergence des chōshū 町衆, une population économiquement et culturellement riche. Hayashiya situe son apogée au moment de l’entrée de Oda Nobunaga152 à Kyoto en 1568, donc vers la fin de l’époque Muromachi. Ensuite, avec

l’établissement du nouveau pouvoir par la succession des trois grands chefs militaires, Oda, Toyotomi et Tokugawa, la population chōshū se scinde en deux : ceux qui deviennent des riches et puissants marchands et ceux qui s’incorporent à l’administration de l’autorité en place. Ce sont surtout les premiers qui donnent naissance aux grands noms de la scène culturelle de Kan’ei du début de l’époque Tokugawa (Hayashiya 1964).

Après la victoire de Tokugawa, le climat politique est toujours instable. La montée de l’Est érode le pouvoir de l’Ouest. Dans ce contexte de découragement, les chōshū préfèrent se replier vers le monde artistique à la recherche du plaisir intérieur. Ce changement est relié au sentiment d’aversion des chōshū envers la société militaire dirigée par Tokugawa. Ils encouragent la culture classique développée à la cour en résistance à l’imposition de la morale du bakufu.

Hayashiya considère que la culture Kan’ei est née de cette résistance contre l’installation du pouvoir shogunal à Edo. On observe le sentiment d’aversion des chōshū notamment dans la critique de l’artiste Hon’ami Kōetsu (1558-1637), un des trois pinceaux de l’ère Kan’ei, envers le philosophe néo-confucéen Hayashi Razan (1583-1657). Kōetsu reproche à Razan son manque

152 Au Moyen Âge (entre le 12e et le 16e siècle), le Japon compte quelques grandes villes. Parmi elles figure

Sakai, une ville portuaire relais libre, reconnue pour ses marchands autonomes et son gouvernement semblable à une république (Wakita et Souyri 1997), le egōshū 会合衆. Il y a aussi Kyoto; à partir de la fin du 15e siècle, son

administration municipale est gérée par les marchands qui jouissaient aussi d’une grande autonomie. C’est à ce moment, en raison de l’instabilité politique, que la fête de Gion était organisée surtout par les marchands en remplacement de la classe aristocrates. Oda Nobunaga a éliminé ces deux administrations autonomes de façon très violente à Sakai et à Kamigyō à Kyoto, comme il l’avait fait pour les temples bouddhiques. Oda Nobunaga a établit le principe de marché libre (rakuichi rakuza 楽市楽座), il a interdit le monopole des associations (guildes) et il a imposé des impôts aux marchands, ce qui a amoindri la force des ces derniers.

de respect envers la littérature de cour, le prince Shōtoku (6e-7e siècle), l’ouvrage du Dit du

Genji (10e-11e siècle) et les œuvres de Yoshida Kenkō (14e siècle)153. Ces divergences

d’opinions symbolisent l’opposition entre la culture émergente basée sur le néoconfucianisme nouvellement importé et la culture traditionnelle de l’époque basée sur le bouddhisme naturalisé et sur une version plus ancienne du confucianisme. Hayashiya conclut que la culture de Kan’ei est l’émanation de la résistance du peuple de l’Ouest menée par Kyoto contre le renforcement du contrôle du bakufu venu de l’Est, plutôt que de simplifier cette dualité à la rivalité entre le shogun et l’empereur. Il s’agissait plutôt d’un mouvement culturel initié par une région puissante en réaction au renforcement du système de Tokugawa à Edo. C’est cette population urbaine chōshū qui tenait et tient encore la fête de Gion. Hayashiya retrouve l’héritage de cette culture chez les citoyens de la ville de Kyoto d’aujourd’hui. La culture Kan’ei est une culture urbaine menée par la population chōshū et non par la cour ou les aristocrates militaires. Elle fait partie intégrante de la culture de l’époque Tokugawa avec deux autres mouvements : Genroku et Kasei.