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Le prélude de la concentration à Tokyo et l’émergence de l’État moderne L’empereur du

Chapitre 3. L’Ouest et l’ Est dans l’histoire du Japon

7. Le prélude de la concentration à Tokyo et l’émergence de l’État moderne L’empereur du

À la fin de l’époque Tokugawa, ceux qui veulent changer le régime politique mettent de l’avant la nécessité pour l’empereur de sortir de l’ombre. Pour ce faire, les principaux acteurs de la restauration de Meiji parlent de l’importance d’éloigner l’empereur de la cour de Kyoto. Au début, certaines personnes comme Ōkubo 大久保利通 prônent le transfert de la capitale à Naniwa (Osaka) pour couper les liens de l’empereur avec Kyoto. Pour certains, ce fait démontre l’importance géopolitique et économique d’Osaka à cette époque (Wakaichi 1996). Ils réussissent à organiser une visite de l’empereur à Osaka, le 21 mars 1868, et c’est ainsi qu’Ōkubo a la chance de rencontrer l’empereur, ce qui lui avait été impossible jusqu’à maintenant à cause de son statut. Les réformes du mode de vie de l’empereur qu’Ōkubo tente de mettre en place afin d’en faire un chef d’État moderne nécessitent son éloignement de l’influence des aristocrates de la cour. Dans cette même ligne de pensée, selon Ōkubo, il faut exclure la présence des dames de la cour de la proximité de l’empereur (Takeda 2009), lui apprendre la politique intérieure et extérieure et encourager l’entraînement physique et l’équitation (Sasaki, 1990).

Après le retour à Kyoto en avril, la gouvernance (shinsei 親政) de l’empereur est annoncée. Entre-temps, la situation change avec l’ouverture du château d’Edo. Pour se

rapprocher des domaines qui ne sont pas entièrement sous l’influence du nouveau gouvernement de Meiji, comme l'Ō’u’etsu Reppan Dōmei 奥羽越列藩同盟 (l’Alliance du Nord), il devient alors important de déplacer l’empereur vers l’Est. Afin que l’empereur s’installe à Edo, non pas pour conquérir ou pacifier (shinsei 親征) mais bien pour gouverner et régner (shinsei 親政), la ville est renommée en juillet 1868 : Tokyo 東京, qui signifie « la capitale à l’est ». Le château d’Edo est renommé « château de Tokyo » pour la visite de l’empereur le 13 octobre 1868, et assume dès lors le rôle de palais impérial. La stratégie du gouvernement de Meiji, c’est-à-dire utiliser l’empereur pour rallier le peuple, est un succès; sur le chemin qu’emprunte l’empereur entre Kyoto et Tokyo, le peuple peut enfin constater pour la première fois son existence. Les gens de Tokyo prennent congé pour l’accueillir avec enthousiasme puisque cela signifie pour eux la fin des bouleversements persistant dans la ville depuis le retrait du shogun Tokugawa (Sasaki 2000). L’empereur reste deux mois, puis retourne à Kyoto. Sanjō Sanetomi 三条実美 insiste pour que l’empereur demeure à Tokyo :

L’avenir de l’État/du pays dépend de la volonté du peuple du Kantō […], il ne faut pas perdre la confiance de ces gens-là qui sont en train de se convertir au régime impérial 王化. Les vicissitudes de Tokyo correspondront à celles de l’avenir de tout le Japon. Même s’il fallait qu’on perde Kyoto et Settsu (Osaka et Kobe), tant qu’on ne perd pas Tokyo, on ne perdra pas le monde. (Sanjō Sanetomi, le 8 décembre, 1869) 186

Le 7 mars de la 2e année de l’ère Meiji (1869)187, l’empereur quitte Kyoto et le 5 octobre

de la même année, l’impératrice le rejoint à Tokyo. Le gouvernement annonce que ce dernier reviendra à Kyoto au printemps suivant, à temps pour le Ōnie no matsuri 大嘗祭, la cérémonie en l’honneur de l’intronisation de l’empereur, et soutient que cela ne signifie en rien un transfert de capitale (Sasaki, 1990 : 61). Cependant, en mars de l’année suivante, le représentant de l’empereur en son absence à Kyoto annonce la décision du gouvernement de reporter le retour de l’empereur auprès des citoyens de Kyoto, puis, au printemps suivant, en quatrième année Meiji, le gouvernement proclame qu’il tiendra le Ōnie no matsuri à Tokyo, et le fait en

186Dans Sanjō Sanetomi kō-nenpu 三条実美公年譜 Vol.24.

187 Notez le passage du calendrier lunaire au calendrier grégorien en 1872 au lendemain du 2 décembre de la 5e

novembre. Ainsi, le gouvernement rompt la promesse qu’il avait faite aux gens de Kyoto. Entre- temps, le poste de représentant de l’empereur à Kyoto est aboli. En mai de la cinquième année de Meiji, l’empereur fait une tournée officielle188 dans l’Ouest du pays, mais le gouvernement

évite d’utiliser le terme « retour » lors de son passage à Kyoto. Le transfert de la capitale impériale s’est fait « par défaut » avec l’utilisation du terme teito 奠都 (l’implantation de la capitale) et jamais par le terme sento 遷都 (le transfert de la capitale).

Le projet de la construction de l’État-nation, entrepris dans le but de « japoniser » la modernisation et l’industrialisation occidentale, était représenté non seulement par le tennō (empereur) mais aussi par les okajōki (trains à vapeur)189, deux symboles spécifiques du Japon.

Au début de Meiji, l’empereur visitait les régions du Japon en palanquin. Une fois toutes les régions du Japon connectées par voies ferrées190, des trains spéciaux étaient utilisés pour les

déplacements de l’empereur. Ironiquement, plus le train et la modernité s’étendaient partout au Japon, moins l’empereur effectuait des visites en région (Hara 1998, 22).

En 1906, une loi vient céder la plupart des chemins de fer du secteur privé au gouvernement pour le transport d’intérêt national, entre autres, pour les ressources militaires, à l’exception de certaines lignes de trains dites « régionales ». Ces voies régionales étaient plutôt celles qui reliaient les villes entre elles, ou la ville à la banlieue. La capacité de transport de ces lignes privées s’accroissait; certaines d’entre elles surpassaient la capacité des lignes nationales. Elles étaient, et sont toujours, concentrées dans les départements d’Osaka, de Hyōgo, de Kyoto,

188 Voir Inose (1984) concernant les efforts du gouvernent de Meiji pour créer un État-nation centrée sur

l’empereur.

189 Même si le Japon est reconnu aujourd’hui pour sa production de voiture, le train demeure le moyen de

transport le plus prisé. Au Japon, on dit souvent « Eki wa machi no genkan (la station de train est le vestibule de la ville), le vestibule des maisons japonaises représentant la première étape de l’entrée au logis, ainsi que le lieu par lequel on juge la qualité de l’accueil de l’hôte. Selon Hashimoto (2001), c’est grâce aux trains,

principalement, que les Japonais ont appris à fonctionner avec le temps mesuré à l’occidentale divisé en heures, en minutes et en secondes. Par exemple, l’apparition du sentiment d’« être en retard » est étroitement liée à l’introduction des trains plus que ponctuels. Le réseau ferroviaire, au Japon, a été développé au départ à l’initiative du gouvernement, inspirant les compagnies et les municipalités à se joindre à l’effort, de sorte que se sont développés trois secteurs distincts : le secteur privé, le secteur public (municipalités), et le secteur

gouvernemental.

190 Avant Meiji, les termes « monter » et « descendre » sont utilisés pour les déplacements vers Kyoto où

l’empereur résidait, et après Meiji, ces mêmes termes sont utilisés pour les déplacements vers Tokyo (ex-Edo) car on y avait déplacé l’empereur. Aujourd’hui, nous utilisons ces termes par rapport aux trains, surtout au

shinkansen (train à grande vitesse du Japon), mais pour les endroits qui ne sont pas reliés directement à la station

de Nara et de Wakayama, correspondant à la région du Kansaï actuelle. Pour cette raison, cette région est appelée Shitetsu Ōkoku 私鉄王国(le royaume des trains privés). Hara (1998) place ce sobriquet par opposition au terme teikoku 帝国 (l’empire) dont l’influence émane de Tokyo, et cette opposition est consolidée par les termes minto 民都 (la ville du peuple) utilisé pour Osaka et teito 帝都 (la ville de l’empereur) utilisé pour Tokyo. Les compagnies de trains commençaient à réaliser des projets qui allaient faire une différence dans la vie quotidienne du peuple, tels que la construction de condominium autour des lignes ferroviaires et de magasins à grande surface près des stations importantes. De plus, dans le but d’encourager l’utilisation de leurs trains, les compagnies de trains privés ont entrepris des projets culturels, tels que la fondation du théâtre Takarazuka Revue, d’équipes de baseball et de parcs d’attractions (Inose et Yamaguchi 1990). Ces projets ont engendré l’émergence de nouvelles cultures locales (Hamon 2004). Selon Hara (1998, 209), l’atmosphère à l’intérieur du Shitetsu Ōkoku a changé, depuis 1932, lorsque l’empereur décida d’utiliser les lignes privées pour ses visites en terres ancestrales, exigeant ainsi la collaboration entre les compagnies de trains privés et le gouvernement; les compagnies n’ont pas eu le choix d’accepter, malgré le fait que le gouvernement exigeait d’eux de travailler pour l’État plutôt que pour les habitants locaux. Après la Seconde Guerre mondiale, le royaume florissait de nouveau pour être chamboulé une fois de plus dans les années 1980 en raison de la privatisation des lignes gouvernementales.

Hara (1998) faisait remarquer qu’en 1993, à l’annonce des fiançailles du prince, les trains de Tokyo étaient remplis de publicités de magazines traitant de cette nouvelle, tandis qu’au Kansai, à la même période, les trains affichaient l’annonce d’un séminaire sur la naissance de l’ancien État de l’empire Yamato.

L’empereur siégeant à Tokyo représente à la fois la tradition et la modernité, dualité recherchée par le gouvernement de Meiji. Par contre, pour les gens de Kyoto et de la région élargie du Kinai, l’empereur déraciné et replanté à Tokyo ne représente que la modernité, et donc une coupure avec le passé; la tradition. À l’extérieur de la région du Kinai, l’empereur est encore perçu comme l’incarnation de la tradition, même s’il quitte la région où il a siégé depuis la période protohistorique. L’empereur est maintenant à l’origine de la nouvelle nation. Le concept de la nation est aussi un terme associé au temps de la modernité, l’ère des États-nations. Or la tradition nationale est inhérente à la création de l’État moderne. Le gouvernement de Meiji,

principalement formé de politiciens des domaines Chōshū et Satsuma, voulait créer une nation japonaise par le biais de l’empereur. Mais loin de réparer la dichotomie existant entre l’Est et l’Ouest, ce contexte a engendré un écart entre le Kansaï et le reste du Japon.

Chapitre 4. Les « Kansaïens (Kansaï-jin) », la langue et le