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Chap. 3 Les pratiques de pêche : une mise en perspective historique

3.1 Le temps des chasseurs de tortue

3.1.1 Des pratiques de pêche anciennes toujours d’actualité Les premiers résidents sarà d’Ambohibola sont tous décrits par leurs descendants comme de

3.1.1.1 Les techniques de pêche

Tous les matériels et agrès de pêche utilisés à l’époque étaient de facture locale et ne nécessitaient qu’un faible investissement financier68. La plupart des matériaux étaient trouvés localement par les pêcheurs ou par l’intermédiaire des Mahafale. Les cordages et fils de pêche étaient principalement tressés à partir des fibres végétales de sisal (laloasy). Les essences forestières nécessaires à la construction des pagaies, des hampes de harpons et des autres accessoires de la pirogue (balancier, mâts, plats-bords, travées…) étaient prélevées dans les espaces forestiers de la région. Seules les coques monoxyles en farafatse et le fer des hameçons et des pointes de harpons étaient achetés dans la région de Tuléar.

Nous décrirons ici les principales techniques de l’époque (première moitié du XX° siècle) pour la plupart pratiquées à l’identique aujourd’hui. Lorsque nécessaire, nous préciserons les éventuelles différences existant entre les pratiques anciennes et actuelles assimilées aux mêmes techniques (cf. annexe 5).

Les pêches à pied

Les pêches à pied (mihake) recouvrent une grande diversité d’actes techniques réalisés sur les platiers « asséchés » (moins d’un mètre d’eau) à marée basse. Les périodes favorables sont donc essentiellement limitées aux périodes de vives-eaux (tehake), soit une dizaine de jours par cycle lunaire pendant lesquels les marnages quotidiens dépassent 2 m. Depuis Ambohibola, il est nécessaire de traverser le chenal d’embarcation en pirogue pour gagner les principaux lieux de pêche (cf cartes 8).

En parcourant le platier équipés d’un ou deux harpons (différents selon les cibles), les pêcheurs recherchent principalement les poulpes réfugiés dans leur terrier (mihake horita) (cf. photo 5). Cependant, ils ramassent ou harponnent aussi divers animaux rencontrés qui ont une valeur alimentaire (murènes, congres, coquillages) ou commerciale (coquillages divers, holothuries…)69. Pour ces cueillettes, les rendements semblent être supérieurs à la saison fraîche.

68 Voir notamment Petit (1930) ; Lagoin (1957), Faublée et Faublée (1950), Angot (1961), Koechlin (1975). 69 Une autre technnique (dont nous ne saurions dater précisemment l’origine) consiste à rejoindre le platier lors des calmes nuits de pleine lune pour y ramasser des holothuries nocturnes à forte valeur commerciale, les

Carte 8 : Le platier récifal d’Ambohibola et ses environs directs– accessibilité et principaux sites de pêche connus

Durant deux périodes distinctes dans l’année (cf. calendrier d’activités en annexe 3), la cueillette des gonades d’oursins mobilise particulièrement les femmes qui brisent minutieusement les oursins pour récupérer les gonades dans de petits paniers tressés (cf. photo 6). A ces deux périodes seulement, les gonades sont suffisamment mûres pour être transformées (cuites doucement au feu) et conservées sous forme de galettes pour être consommées ou échangées sur les marchés locaux.

Photo 5 : capture d’un poulpe sur le platier à marée basse Photo 6 : cueilleuse de gonades d’oursins

La plongée

La plongée sans masque (manirike amaso) concernait autant les hommes que les femmes. Elle était généralement pratiquée par temps calme dans les vasques du platier, voire sur le front extérieur des récifs. A l’aide d’un petit harpon (bolotsoke), les plongeurs sondaient le sable pour y détecter la présence de casques rouges (mitroke bejà) ou balayaient les fonds et les cavités pour y trouver des burgaux (mitino betampe).

Il est aussi fréquent de plonger pour collecter des oursins lorsque les marées ne laissent pas le platier suffisamment découvert pour le parcourir à pied.

Les pêches à la ligne

Fabriquées localement, les lignes montées étaient utilisées à la traîne (manjaverave) pour la capture des prédateurs comme les thazards (principalement le matin au-delà du récif) ou les barracudas (généralement la nuit dans les passes et chenaux).

Les pêches aux lignes de fond peuvent être conduites de jour à la palangrotte sur les pourtours des hauts-fonds du large (mamirango tsopoke) ou de nuit sur le front extérieur du récif en mettant la pirogue à l’ancre (mamirango haly). Les prises sont essentiellement représentées par des poissons de roche (Serranidae, Lethrinidae, Lutjanidae). Les sorties pouvaient durer plus d’une dizaine d’heures et rassemblaient souvent plusieurs unités de pêche qui se regroupaient pour pêcher lorsqu’un site poissonneux était repéré par l’une d’elles (cf. photos 7 et 7bis).

Photos 7 et 7bis : la pêche à la palangrotte au large : une activité périlleuse

Avec l’arrivée des nouveaux matériels (fil nylon), les techniques de pêche à la ligne se sont diversifiées, notamment pour la pêche dans le lagon à l’aide de petites lignes (mamirango

sabeake/bemaso, mamirango keliohy).

Les chasses aux harpons

La chasse au poisson (mitomboke fia) se pratique préférentiellement lors des marées basses de vives-eaux à l’abri du récif, dans les zones de faibles profondeurs parcourables à pied ou accessibles en plongée. C’est dans les vasques et les anfractuosités des blocs de coraux que les pêcheurs cherchent leurs cibles. Le pêcheur utilise généralement deux harpons : un voloso pour harponner le poisson, associé à un manambaitse pour l’extraire de son trou (cf. annexe 7). Essentiellement masculine, cette activité est généralement couplée aux activités de cueillette à pied sur le platier. Aujourd’hui quelques rares plongeurs pratiquent la chasse sous-marine à l’aide de fusil fabriqué localement.

La chasse à la raie (mitomboke fay) se pratique essentiellement avec des harpons de type

kijoamanta, dans le lagon ou à l’extérieur selon les conditions de travail (météo, houle).

La chasse au dugong (mitomboke trozopisoitse) n’est aujourd’hui plus pratiquée suite à la disparition des populations de siréniens dans la région70. A la connaissance des pêcheurs, la

70 Dès les années 1990, les pêcheurs utilisèrent les filets jarifa pour capturer plus efficacement les dugongs. Selon les pêcheurs, c’est l’utilisation de ces jarifa qui aurait « fait fuir au large » les dugongs (« nilay

dernière capture remonte à près cinq ans (dans la région de Fanambosa). Cette chasse se pratiquait sur des herbiers marins (anariano) à l’aide de harpon de type samondra.

La chasse à la tortue de mer (mive fano) se déroule généralement au-delà du récif, durant le jour lorsque la houle est suffisamment haute pour permettre à la pirogue de se dissimuler aux yeux de la tortue ou durant la nuit lorsque le temps est calme (mive tsatso hale). Si les conditions sont extrêmement mauvaises, il arrive que les pêcheurs restent à l’abri du récif pour chasser les juvéniles de tortues qui s’alimentent dans le lagon (mive anapano). Les chasseurs partent alors à deux ou trois dans une pirogue équipée de deux samondra. Ils rament ensuite doucement jusqu’à repérer une tortue, la suivent et s’en rapprochent en restant le plus discret possible. Si le tireur atteint sa cible, le fer mobile du harpon relié à la hampe par une longue corde se détache et ralentit la fuite de la tortue qui s’épuise. Les chasseurs suivent alors la hampe qui flotte jusqu’à pouvoir hisser à bord la tortue encore vivante.