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Chap. 1 Le littoral mahafale : un espace composite

1.1 Une mosaïque de milieux écologiques

1.1.1 La plaine côtière mahafale

La région est caractérisée par un climat tropical subaride à deux saisons : une saison chaude et pluvieuse de décembre à mars (températures moyennes entre 23 et 34°C) et une saison plus fraîche et sèche d’avril à novembre (températures moyennes entre 15 et 28°C).

Recevant en moyenne moins de 400 mm de précipitations par an, la plaine côtière est une des régions les plus sèches de Madagascar. Très irrégulières au cours de l’année, plus de la moitié de ces précipitations se concentrent lors de la saison chaude entre les mois de décembre et mars. Leur variabilité interannuelle est cependant très importante (Ferry et al., 1998) et provoque fréquemment d’importantes sécheresses. Hoerner considère que « les besoins de l’agriculture en eau ne seraient plus assurés deux années sur cinq tandis qu’une année sur dix serait franchement catastrophique » (1991a : 8). Les précipitations sont encore caractérisées par une grande hétérogénéité spatiale. Aussi, la pluviométrie peut-elle fortement varier entre deux terroirs agricoles relativement proches. L’agriculture est donc soumise à d’importantes contraintes hydriques.

A cause des forts vents desséchant qui souffle toute l’année dans la région, l’érosion éolienne apparaît comme « le principal facteur de sahélisation » (Hoerner, 1991b : 148). Sur les terroirs agricoles particulièrement, elle produit un double effet d’érosion des sols nus cultivés et d’ensablement des parcelles. Le plus fréquent de ces vents, le tsiokatimo, prend une

orientation parallèle à la côte en provenance des secteurs Sud à Sud-Est que l’on peut lire dans l’orientation des dunes côtières (cf. carte 2).

Carte 2 : La mosaïque d’écosystèmes de la plaine côtière mahafale (région d’Androka)

En raison de leur intensité, les vents limitent aussi sensiblement le nombre des journées de travail des pêcheurs. Nous avons pu observer à plusieurs reprises des retours prématurés en raison du forcissement rapide du vent au cours de la journée. Les taux de sorties moyens sont de 15 à 20 jours par mois. Lors de l’été austral, la diminution des pressions sur le canal de

Mozambique crée les conditions propices à la propagation des cyclones très redoutés des pêcheurs.

Les plus dures années de sécheresse peuvent provoquer de sévères disettes (kere) pour les populations de la région. A ces périodes particulièrement, d’autres espaces et ressources de la plaine côtière apparaissent alors essentiels pour leur subsistance, comme la mer, les forêts de la plaine côtière et les plus vastes forêts encore du plateau mahafale.

De la plaine côtière au plateau karstique

Large d’une quinzaine de kilomètres au niveau d’Androka, la plaine côtière « est formée pour l’essentiel de sables éoliens meubles grésifiés et d’alluvions fluviatiles sablo-limono-argileux » (Lebigre et Réaud-Thomas, 2001 : 18). Elle est constituée par un ensemble de massifs dunaires de différents types entrecoupés par des lits fluviaux (Linta, Menaranja). Outre les dunes vives (sables nus), nous en distinguerons ici principalement deux types (Battistini, 1964 ; Lebigre et Réaud-Thomas, 2001) :

- Les dunes flandriennes s’étendent parallèlement à la mer principalement entre la lagune de Bevoalavo et Saodona. Selon le degré de fixation de ces dunes (particulièrement dynamiques sur le cordon littoral), des cortèges végétaux prennent des formes diverses allant des plantes pionnières (Ipomea pes-caprae, Zygophyllum

depauperatum, Leptadenia sp., composées) à des fourrés denses caractérisés par la

présence de plusieurs espèces arbustives (Poupartia minor, Euphorbia stenoclada,

Salavadora angustifolia, Croton spp., …).

- Les dunes karimboliennes et tatsimiennes grésifiées, plus anciennes que les précédentes, se situent plus à l’intérieur des terres. Dans les zones non défrichées, les formations végétales y sont bien développées. Les espèces les plus typiques de ce fourré sec sont Euphorbia plagiantha, Didierea trollii, Alluaudia dumosa, Jatropha

mahafalensis, Commiphora sp., Cedrelopsis grevei. En raison de leurs bonnes qualités

agronomiques (Battistini, 1964 ; Hoerner, 1991b), ces terres abritent la plupart des terroirs agricoles de la plaine côtière (cf. carte 2).

A l’est de cette frange littorale s’élève le plateau calcaire mahafale (ou causse mahafale) qui atteint rapidement 150 à 200 m d’altitude moyenne. Entre la Linta et la Menaranja, cette

formation karstique est caractérisée par l’alternance de dalles calcaires et de zones de dolines formant des dépressions inondables en période pluvieuse. Sur les dalles calcaires, les écosystèmes forestiers sont constitués par un fourré xérophile dense (essentiellement représenté par des euphorbes arborescentes) caractérisé par une grande hétérogénéité floristique et le faible développement de sa strate herbacée (Lebigre et Réaud-Thomas, 2001). Ce fourré est entrecoupé de trouées résultant de défrichements agricoles plus ou moins anciens sur lesquels la reconstitution du couvert forestier, quoique floristiquement appauvri, apparaît relativement rapide (ibid.). Dans les dolines alternent tapis herbacés et formations ligneuses différant du fourré xérophile et constituant en cela des milieux particulièrement fréquentés par les troupeaux lors des transhumances en fin de saison sèche (ibid.).

Outre la « sahélisation » (Hoerner, 1991b) de la région que nous avons déjà évoqué, le siècle dernier a été marqué par des modifications environnementales fortement péjorantes pour les systèmes agropastoraux du grand Sud malgache. Dans les années 1920, l’introduction d’une cochenille provoqua la destruction massive des oponces (Opuntia sp.) qui constituaient jusque là une ressource fourragère essentielle lors des périodes sèches (Chevalier et al., 1946 ; Kaufmann et Tsirahamba, 2006). Conscient de la catastrophe qu’elle provoqua, l’administration coloniale entreprit d’introduire de nouvelles espèces d’oponces aujourd’hui largement répandues et utilisées dans le grand Sud (ibid.).

Il existe peu de données sur la faune sauvage de cette portion de la plaine côtière. Les espèces les plus remarquables sont les tortues terrestres, diverses espèces de reptiles (serpent, caméléon), des chiroptères, et de nombreuses espèces d’oiseaux forestiers (caille, pintade sauvage, …) et marins32. Il faut surtout noter la présence saisonnière de nuées de criquets migrateurs qui détruisent les cultures et contre lesquels les autorités nationales luttent activement depuis la première moitié du XX° siècle (Chevalier et al., 1946).

Les lits et deltas fluviaux

Qualifiés de « cours d’eau intermittents », les fleuves Linta et Menaranja ont un régime hydrique caractérisé dans leur partie avale par leur assèchement total et l’absence d’inféroflux

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pendant le plus clair de l’année (Lebigre et Réaud-Thomas, 2001). Le lit des fleuves est constitué de sables alluviaux blancs.

En période pluvieuse, les eaux chargées d’alluvions provoquent de brusques crues, d’ampleur variable, pouvant parfois atteindre la mer au niveau de larges deltas sableux peu proéminents. Pouvant atteindre plusieurs kilomètres de large, les deltas fluviaux sont constamment remaniés par les crues successives du fleuve et l’aréisme éolien. Les eaux se frayent alors un passage entre les petits ensembles dunaires dynamiques qui s’établissent dans ces embouchures. L’accumulation d’alluvions charriées par les crues fait de ces deltas (et plus accessoirement dans les lits en amont) des zones particulièrement propices à l’agriculture. Les surfaces exploitables restent cependant très faibles33.

En dehors de ces épisodes exceptionnels de crues, les eaux du fleuve qui inondent les sols sédimentaires sont principalement drainées vers l’important aquifère karstique de la région (Guyot, 2002). Sur l’ensemble de la plaine côtière, plusieurs résurgences d’eau (notamment de grands avens et des exurgences du rivage) laissent apparaître la présence d’une grande nappe souterraine constituée d’une eau très douce (Lebigre et Réaud-Thomas, 2001).

La frange côtière de la plaine mahafale et ses zones d’interface

Les marais littoraux

Au-delà de ces deltas fluviaux, la frange côtière est représentée par l’alternance des dunes vives et de divers types de marais littoraux. Ces marais sont particulièrement développés autour du delta de la Linta et de la lagune de Bevoalavo. Lebigre et Réaud-Thomas (2001) en différencient plusieurs types dont certains leur apparaissent « tout à fait atypiques » par rapport à ceux qui s’observent plus au nord et dans le reste du monde.

Les marais inondables hypersalés ou saumâtres couvrent d’importantes surfaces. Ils sont représentés par une mosaïque de tannes vifs (espaces nus marqué par la présence apparente de sel), de tannes herbacés, de pseudo-tannes (espaces fréquemment inondés

33 Selon Battistini (1964), elles atteindraient 4 km² pour le delta de la Linta et 14 km² pour le delta de la Menaranja.

par les effets de la marée) et les dépressions salées au couvert végétal plus ou moins développé (d’après la classification proposé par Lebigre et Réaud-Thomas, 2001).

Associés à ces marais, les zones de mangroves couvrent de plus faibles superficies. Les principales espèces de palétuviers représentées sont Lumnitzera racemosa,

Rhizophora mucronata, Brugueria gymnorhiza. Deux ensembles denses sont localisés

au nord du delta de la Linta entre Antsakoa et Lanirano (marais d’Antsakoa) et à l’ouest de Befamata (marais de Namboleambary). Constitué de lambeaux fragmentés plus ouverts, un troisième ensemble est localisé sur les pourtours de la lagune de Bevoalavo. D’autres mangroves y sont mortes suite à l’assèchement progressif de la lagune depuis les années 1990.

Dans ces zones de marais abondent diverses ressources particulièrement importantes pour les populations de la région : sel, bois de construction, matériaux de construction (typhas et phragmites), tannes pâturés…

La lagune de Bevoalavo

La lagune de Bevoalavo constitue un milieu original. Avant que le cours du fleuve ne soit profondément modifié, elle constituait autrefois l’ancienne embouchure de la Menaranja et de divers petits cours d’eau aujourd’hui asséchés. En revanche, elle continuerait d’être alimentée par des inféroflux (Lebigre et Réaud-Thomas, 2001).

S’étendant sur une vingtaine de kilomètres du nord au sud, la lagune est longtemps restée connectée à la mer et soumise à l’influence des marées par l’existence d’une grande passe située dans sa partie nord à proximité d’Ampalaza. Les pêcheurs disent y avoir capturé et observé une grande diversité d’espèces marines (des raies, des requins, des dugongs, des tortues de mer, de gros poissons, des oursins…).

Après une première fermeture de la passe principale dans les années 1960, une autre plus petite se serait rapidement rouverte plus au nord permettant aux échanges entre lagune et milieu marin de se poursuivre. Mais dans la première moitié des années 1990, cette passe s’est progressivement obturée, interrompant jusqu’à aujourd’hui tout échange entre eaux marines et eaux lagunaires (cf. carte 2). La plupart des espèces marines ont alors disparu. Seule une espèce de poisson, le libatse (Pomadasys sp.), s’est mise à proliférer et continue d’être

exploitée par quelques riverains malgré une diminution observée des rendements. La surface encore exondée a aujourd’hui sensiblement diminué cédant la place à de nouvelles étendues de tannes salés (cf. photos 2 et 2bis).

Photos 2 et 2bis : nouveaux tannes et mangroves dégradées sur le pourtour asséché de la lagune de Bevoalavo

Le chenal de mangrove de Lanirano

Dans le prolongement du marais d’Antsakoa (au nord de l’embouchure de la Linta), il faut encore signaler la présence d’un chenal34 de plus de deux kilomètres de long. De faible profondeur, il débouche en mer au niveau du village de pêcheurs de Lanirano et se prolonge en méandres jusqu’à l’intérieur des zones de mangroves et des tannes salés. Presque totalement asséché à marée basse, il est aussi significativement utilisé par les riverains pour la pêche ou la cueillette à pied (crabes, crevettes, poissons…).