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Chap. 3 Les pratiques de pêche : une mise en perspective historique

3.2 Le boom des pêches aux filets et ses effets

3.2.1 Des innovations technologiques majeures

L’arrivée des masques et le développement du commerce de la langouste

Au cours des années 1950, c’est la diffusion des masques par l’intermédiaire des mareyeurs-épiciers locaux qui renforce l’intérêt des pêcheurs pour la plongée. L’adoption de ce nouveau matériel (hommes comme femmes) va permettre de redynamiser le commerce des burgaux et des casques rouges (plus accessoirement des holothuries) sur l’ensemble du littoral (Battistini, 1964).

Ils permettent en effet d’exploiter des lieux plus profonds jusque là non exploités par les plongeurs, comme les sillons (tatatse) du front extérieur des récifs riches en ressources. L’usage des masques va alors conduire au développement des filières de commercialisation de langoustes, ressource jusqu’alors inexploitée dans la région, pour lesquels de nombreux opérateurs économiques se succéderont continuellement dans la région jusqu’à aujourd’hui.

Pour leur capture réalisée à main nue (ou avec un gant), les pêcheurs ont développé la technique du leurre, constitué d’un poulpe mort attaché au bout d’un harpon que l’on agite devant les terriers de langoustes (cf. photo 11). Sortant de son trou pour attaquer le leurre, la langouste est saisie par derrière en bloquant sa queue sous son abdomen. Avant d’être mise dans la pirogue, le plongeur marque sa langouste en lui cassant tel ou tel appendice. Il pourra reprendre ces captures une fois à terre.

Photo 11 : le leurre à langouste (harpon et poulpe) Photo 12 : casier à langouste

Dès le retour des plongeurs, les langoustes sont conservées dans des casiers grillagés immergés près du débarcadère (cf. photo 12). Pendant longtemps, plusieurs familles avaient leurs propres casiers pour stocker leurs langoustes vivantes en attendant le passage des mareyeurs véhiculés. Afin de faciliter le ramassage des produits, les sociétés de collecte ont préféré favoriser le relais d’intermédiaires locaux en nombre limité. Les langoustes sont désormais directement vendues à ces derniers lors du débarquement. Ils les pèsent, notent le poids, les mettent dans leurs casiers et payent le pêcheur dans la journée. Cependant, certains résidents ont toujours des casiers qu’ils utilisent comme un outil de pression vis-à-vis des mareyeurs (pour conserver leurs langoustes vivantes lorsqu’ils estiment que les prix ne sont plus décents par exemple).

L’importance du monofilament nylon : le développement généralisé de la pêche au filet

Vers la fin des années 1960, l’utilisation des monofilaments nylon se répand dans la région. Ils permettent dans un premier temps d’améliorer les lignes à main en diminuant l’inertie à la touche (très importante autrefois avec le gorgement d’eau des lignes en fibres végétales). Dans un second temps, ils seront utilisés pour construire des filets maillants permettant d’exploiter de nombreux stocks de poissons récifaux et lagunaires. Ces évolutions technologiques vont profondément modifier la physionomie globale du système de pêche.

Chacun des groupes présents au village s’intéresse à ce nouveau matériel qui, selon les récits des pêcheurs, a rapidement induit une augmentation significative de leurs revenus. C’est à cette époque que l’implication des pêcheurs dans l’économie marchande commence à se faire particulièrement intense. Bien que le poisson capturé au filet maillant soit essentiellement destiné à être écoulé sur les marchés locaux et régionaux, le troc avec les Mahafale est de plus en plus délaissé au profit des échanges monétaires.

Si les filets existaient déjà avant l’arrivée du monofilament nylon, leur usage dans la région d’Androka était peu développé (Battistini, 1964). Fabriqués en fibres végétales, voire en fibres de coton, leur manipulation nécessitait une force de travail relativement nombreuse. Le filet était alors essentiellement un bien lignager qui était l’apanage de certains groupes de spécialistes, comme les Tetsivoky à Anakao (ibid.).

L’intérêt des filets maillants en nylon tient notamment de sa manipulation aisée qui ne nécessite qu’un nombre restreint d’individus à pied ou en pirogue. On distingue de nombreuses variantes d’utilisation qui continuent de se diversifier jusqu’à aujourd’hui (cf. annexe 5). Nous n’évoquerons donc que les principaux types de techniques :

- Dans les premiers temps, les filets n’ont été utilisés que de façon active. Il s’agit pour les pêcheurs de repérer visuellement et d’encercler les bancs de poissons, à pied ou en pirogue selon les lieux exploités (platiers asséchés, chenaux…). Ils les effrayent ensuite en criant et en frappant sur l’eau. Dès la fin du rabattage, le filet est aussitôt relevé pour démailler les prises et, éventuellement, refaire un coup de pêche. En ne laissant pas le filet sans surveillance et en le relevant instantanément, il s’agissait de

préserver l’intégrité de ce coûteux investissement. On désigne ces pêches actives par le terme miahaza (cf. photo 13).

Photo 13 : Pêche au filet maillant monofilament manié à pied sur le platier récifal

- Plus tard, les filets ont commencé à être calés, de jour ou de nuit, dans les zones connues pour le passage régulier de certains poissons (dans les chenaux lors du changement de marée ou sur les écotones lors de la transition jour/nuit par exemple). Après l’avoir minutieusement installé pour barrer la circulation des poissons, les pêcheurs laissent le filet sans surveillance et reviennent sur les lieux après quelques heures pour le relever. Ces pêches, que l’on peut qualifier de passives, sont désignées par le terme mananjake. Il en existe une multitude de variantes en fonction de facteurs d’ordre divers : nombre de pans et type de filets disponibles (type de nappes), nombre de pêcheurs mobilisables, période de l’année (éthologie et migration des poissons), marée, météo, etc.… ; facteurs par lesquels sont choisis les lieux et les moments les plus pertinents pour un type précis d’opération (longueur des cordages de bouées, disposition des filets en forme de V, de cercle, de spirale, de barrage droit…). Lors du retour auprès du filet, les pêcheurs peuvent éventuellement rabattre activement le poisson avant de relever le filet.

3.2.2 Les dynamiques spatiales et le peuplement du pourtour