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Méthodologies de terrain

La constitution de notre corpus de données s’appuie donc sur une approche empirique du terrain impliquant l’apprentissage de la langue et une immersion de longue durée dans l’univers rural et villageois. La clef de voûte de notre démarche était donc de partir d’un recueil et d’une transcription au plus près des représentations, savoirs et pratiques des acteurs locaux, telle qu’elle est mise en œuvre sur d’autres terrains par nos collègues de l’UR 200. Pour se faire, l’observation participante était au cœur de notre méthodologie. Il s’agissait pour nous autant de participer aux activités de production et de transformation, aux rituels et festivités, que de suivre les divers types de réunions villageoises formelles et informelles (assemblées villageoises, procès locaux, venues de représentants officiels ou d’agents de projets, débats spontanés…).

La première de nos démarches aura été de constituer une base de données sociales permettant de situer les acteurs les uns par rapport aux autres, afin de mieux comprendre les types d’interactions qui s’opéraient. Nous avons commencé par établir le plan du village et, sur cette base, à échantillonner un nombre représentatif de foyers par quartier identifié a priori comme homogène. Sur cet échantillon, nous avons alors réalisé des généalogies de résidence systématiques, relevant auprès de chaque chef de foyer les noms, les âges, les lignages

d’appartenance, les liens de parenté et les activités déclarées des individus présents rattachés à leur unité résidentielle. Ces informations ont par la suite été complétées par le recueil des généalogies polycentrées des principaux groupes présents, remontant jusqu’aux premiers occupants du village et dévoilant les alliances matrimoniales des différentes générations de villageois28.

D’abord à Ambohibola, puis à Androka, des enquêtes rétrospectives ont alors été conduites à propos des origines mythiques ou réelles des différents groupes, de leurs migrations, de la fondation des villages, des événements politiques et conflits, et plus globalement des modes de vie des ancêtres (règles, tabous, modes de production, pratiques…). Nous avons aussi recueilli les histoires de vie de certains acteurs (37 au total), pêcheurs ou mareyeurs, en recherchant particulièrement les pratiques de mobilité et les changements de leurs stratégies économiques.

Nous avons très tôt pris le parti de suivre assidûment les débarquements des pêcheurs (à raison de deux jours successifs tous les six jours de présence au village) afin de couvrir un cycle annuel complet d’activités de pêche prenant en compte l’ensemble des sources de variabilité (variabilité saisonnière, conditions météorologiques diverses, conditions de marées, périodes de fermeture légale des pêcheries). Entre le lever du soleil et le milieu d’après-midi, nous enregistrions alors pour chaque pirogue débarquée, l’heure de débarquement, le nom des pêcheurs présents, les techniques et le matériel utilisés, les lieux exploités (grâce aux toponymes) et une estimation quantitative et qualitative des captures réalisées29. 62 journées de débarquement ont ainsi été suivies à Ambohibola, ainsi que 12 journées suivies sur l’île de Nosy Manitsa majoritairement peuplée de pêcheurs originaires d’Ambohibola.

Afin de mieux cerner les stratégies et comportements économiques des acteurs, nous avons identifié six foyers aux pratiques de production et aux positions sociales très différentes qui ont accepté de remplir pour nous des cahiers en faisant état des sommes d’argent dépensées et acquises et de leurs sources d’allocation (dons familiaux, gains issus des différentes activités, dépenses alimentaires ou autres…). Ces informations ont été complétées par des enquêtes

28 Notons que la polygamie, les divorces et les naissances hors mariage étant particulièrement fréquents, les informations recueillies n’ont pu être parfaitement exhaustives (nos interlocuteurs pouvant par exemple avoir perdu la mémoire de l’origine d’un mari divorcé ou d’une troisième épouse prise dans un autre village lointain et peu connue à Ambohibola).

29 Selon un échantillonnage aléatoire, certaines pirogues firent l’objet de pesages et d’observations plus rigoureuses des captures en vue d’estimations plus fiables des rendements.

auprès de 20 ménages sur leur mode d’organisation économique (gestion du budget, coordinations économiques avec les autres ménages et partenaires de pêche, modes de partage des gains…) ainsi que des enquêtes auprès des différents types de mareyeurs locaux.

Toujours équipé d’un appareil photo, d’un GPS et d’un cahier d’enquête30, il s’est aussi agi d’appréhender l’espace régional en arpentant les espaces marins, la forêt, les marchés et les autres villages voisins pour avoir une perspective plus globale du terrain d’enquête et des réseaux sociospatiaux qui le caractérisent. Cette approche du terrain fut l’occasion d’établir diverses recensions (pirogues, matériels, bétail, champs…), complétées et corrigées tout au long du temps de l’enquête. Nous nous sommes

attaché à recueillir les discours des acteurs sur ces espaces et ces réseaux, complétés par l’élaboration de cartes des espaces marins et espaces terrestres établis par les habitants eux-mêmes (cf. photo 1). Des enquêtes plus ciblées sur la toponymie et la taxonomie des espèces contribuèrent alors à toujours plus dévoiler les

représentations locales de l’espace et les différences de savoirs entre les groupes d’acteurs.

Sur la base de ces ensembles d’informations, nous avons engagé une série d’enquêtes plus ciblées (sous forme d’entretiens semi-directifs) à propos de concepts locaux (la notion de

tanindraza ou de hakeo par exemple), de techniques, de pratiques, d’évènements particuliers

(conflits sociaux, crises économiques, …), des relations avec le gouvernement ou au sein des divers projets (associations de producteur) et bien sûr à propos des systèmes de normes et de règles localement instituées (comme les règles foncières, les types d’alliances sociales, le partage des biens après un divorce ou à la mort d’un individu…). Les discours recueillis seront donc analysés en regard des pratiques observées afin de relever leurs convergences ou leurs divergences riches de sens pour notre propos.

Enfin, nous avons aussi enquêté auprès des services publics et autres acteurs impliqués dans les politiques publiques, les projets de développement et de conservation et autres activités

30 Pour diverses raisons, l’usage du magnétophone fut finalement délaissé au profit d’une simple prise de notes directe. Sauf mentions contraires, les phrases citées entre guillemets dans ce travail résultent cependant d’une retranscription fidèle de la parole des acteurs essentiellement rendue possible par la présence régulière d’un interprête lors des enquêtes.

relatives aux littoraux et aux sociétés de pêcheurs de la région. Ces enquêtes nous ont conduit à interroger les pratiques et représentations des acteurs à des échelles aussi bien communales (municipalité et gendarmerie), régionales (à Tuléar auprès des administrations décentralisées et déconcentrées, des opérateurs du développement et de la conservation, des opérateurs économiques…) que nationales (auprès des ministères et agences d’exécution à Antananarivo, dans les milieux scientifiques, au sein d’ateliers de concertation nationaux, etc.…).