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Chap. 1 Le littoral mahafale : un espace composite

1.1 Une mosaïque de milieux écologiques

1.1.2 Le domaine marin

Situés dans la partie la plus méridionale du Canal de Mozambique, les espaces marins de la région sont soumis à une houle océanique puissante de secteur Sud à Sud-Ouest formée dans les parties australes de l’Océan Indien. Les longueurs d’ondes peuvent dépasser cent mètres et les vagues excèdent fréquemment deux mètres au déferlement (IH.SM, 2007).

Dans la région, les courants sont essentiellement représentés par une dérive littorale de sens sud-nord favorisée par les régimes des houles et des vents. Selon les pêcheurs, un courant de

34 La lagune de Bevoalavo et le chenal de Lanirano sont toujours désignés par le terme « saha » que les acteurs locaux opposent à l’espace marin non entouré de terres.

fond pourrait cependant parfois prendre une direction nord-sud, parallèle au courant dominant du Canal de Mozambique (Wilhelmus de Rujiter et al., 2002 in IH.SM, 2007). En dehors de ces courants réguliers, ce sont les courants de marée qui affectent le plus les mouvements des masses d’eau, notamment au niveau des récifs frangeants. Avec une périodicité de 12h25, les marées sont qualifiées de semi-diurnes. Le marnage oscille entre 1,5 m et 3 m.

Les marées et les vents rythment la vie des pêcheurs. Les périodes de vives-eaux (tehake), favorables entre autres à la pêche à pied, commencent systématiquement avec des marées basses du matin (ranomaray), se poursuivent les jours suivants avec les plus importants marnages (teha-be), et s’atténuent progressivement avec des marées basses de vives-eaux survenant au début de l’après-midi (rano hariva) qui marquent l’entrée prochaine dans une période de mortes-eaux (montsorano). Pour rallier le large, les pêcheurs profitent de l’existence de brises thermiques matinales soufflant depuis les terres refroidies pendant la nuit vers la mer restée plus chaude. Les espaces de pêche d’un village se développent alors préférentiellement vers le Sud (pour profiter des vents dominants sur le trajet du retour vers le village).

La région d’Androka abrite les récifs et les mangroves les plus méridionaux de Madagascar. En raison de ses multiples spécificités écologiques, cette portion de l’espace marin « pourrait correspondre à une zone de transition entre l’Océan Indien et le canal » (IH.SM, 2007 : 6).

Le relief marin

L’espace marin qui nous intéresse ici peut être circonscrit à l’ouest par le tombant de la plate-forme continentale situé entre 10 et 30 km de la côte (cf. carte 3). Il constitue l’extrême limite de l’espace parcouru, connu et exploité par les pêcheurs. A ce niveau, une pente de forte inclinaison fait la transition entre les fonds de la plate-forme, ne dépassant pas cent mètres de profondeur, et les fonds océaniques atteignant rapidement plusieurs centaines de mètres35.

La plate-forme est caractérisée par la présence de hauts-fonds de différents substrats (rocheux, coralliens, sableux) qui jalonnent l’espace marin et créent des repères pour les pêcheurs (cf.

35 La limite bathymétrique des 100 m a pu être précisément localisée grâce à la carte SHOM 5962 (1953). Cependant, pour la partie nord de Nosimboro, les données sont insuffisantes pour localiser cette limite. Ceci explique l’interruption de l’information sur nos cartes concernant les espaces marins au nord de l’île.

carte 3). Entre ces hauts-fonds, les pêcheurs distinguent aussi des goulets plus ou moins étroits et encaissés alternant avec de grandes surfaces planes plus larges composées d’algues, de sable ou de roches éparses selon les zones.

Carte 3 : Localisation de principaux reliefs marins identifiés et exploités par les pêcheurs (sources : enquêtes personnelles + carte SHOM5962 [1953] + Lebigre et Rhéaud-Thomas [2001])

Sur cette plate-forme encore, il faut noter la présence de deux îlots ceinturés par des récifs frangeants : Nosimboro (« l’île aux oiseaux ») et Nosy Manitsa (« l’île parfumée/sacrée »). Avec la lagune de Bevoalavo, ils constituent des sites de nidification importants pour les oiseaux. Il s’agit de cayes de grès construites sur des bancs récifaux isolés. Le couvert végétal y est dominé par des euphorbes sur Nosimboro et par Salvadora agustifolia sur Nosy Manitsa.

Cette dernière est occupée à l’année par des pêcheurs originaires d’Ambohibola qui y ont construit des cases d’habitation et aménagé une cinquantaine de petits champs de culture. L’île abrite aussi des troupeaux de chèvres leur appartenant.

Deux plus importants récifs se répartissent au nord et au sud de l’embouchure de la Linta. Ils délimitent des platiers récifaux nord et sud d’Androka, de respectivement 7 et 11 km de long, séparés de la côte par un étroit chenal d’embarcation. Du large vers le rivage, la structure de ces récifs frangeants (Battistini et al., 1975 ; Salomon, 1987 ; Vasseur et al., 1988 ; IH.SM, 2007) est caractérisée par (cf. figure 1) :

- la pente externe du front de récifs (ou « ensemble frontorécifal ») présentant une série d’éperons et de sillons perpendiculaires à l’axe du récif. Ils sont essentiellement peuplés d’algues calcaires et de coraux encroûtants

- le platier externe riche en coraux vivants (Acropora, Pocillopora, Favites,

Goniastrea…)

- la levée détritique où s’accumulent de gros éléments coralliens charriés lors des tempêtes

- le platier interne compact qui forme une sorte de « dalle corallienne » compacte et friable où dominent débris coralliens et algues calcaires encroûtantes.

- le platier interne à microatolls où alternent principalement des blocs épars de Porites

spp. et des zones de sable et d’herbiers (Cymodocées, Phéophycées)

- les zones d’herbiers proprement dites, essentiellement composées de phanérogames marines, qui reposent sur fonds sablo-vaseux. Elles constituent des zones de reproduction et d’alimentation particulièrement importantes pour de nombreuses espèces marines (poissons, échinodermes, crustacés…).

Figure 1 : Schéma des structures récifales

(inspiré de Battistini et al. [1975]. Dessin : Beatriz Setién)

En dehors de ces deux imposants ensembles récifaux, on trouve quelques structures récifales moins développées. Un petit récif frangeant long de 6 km et large de moins de quelques centaines de mètres à peine s’étend à partir des villages d’Andoharano et d’Anjahava en allant vers le sud. Quelques formations coralliennes sont associées à l’immense pointe de grès émergée qui se prolonge dans la mer sur plus de 4 km au niveau du village de Fanambosa.

Le reste du linéaire côtier est représenté par des fonds sableux directement battus par les vagues.

Les peuplements biologiques

Les écosystèmes aquatiques de la région semblent caractérisés par une grande productivité biologique. Les peuplements coralliens y apparaissent en bon état de santé. Les relevés établis par l’IH.SM (2007) sur le platier du récif frangeant de Lanirano (récif nord d’Androka) font

état d’un taux de recouvrement spatial de 5,6 % pour les coraux vivants, 15,2% pour les coraux morts et débris coralliens, et de 77% pour les herbiers sous-marins. L’absence d’Acanthaster sur le platier traduit « un certain équilibre écologique du milieu » (ibid.).

Compte tenu de la diffusion des eaux du fleuve Linta vers le nord en raison des courants dominants, on peut penser que les ensembles coralliens du sud d’Androka et des îles sont caractérisés par une vigueur supérieure à celle de la structure récifale de Lanirano (où les apports terrigènes des eaux du fleuve favorisent le développement d’herbiers et l’étouffement des coraux). En l’absence de données chiffrées, il ne s’agit là que de simples déductions.

La région abrite de nombreux animaux marins. Il faut noter la présence de plusieurs espèces de dauphins, de tortues de mer (cinq espèces), de poulpes (au moins deux espèces), de crustacés, de coquillages, d’éponges, d’échinodermes (holothuries, oursins…) et bien sûr de poissons (poissons de récifs, pélagiques, raies, requins…)36. Les requins sont représentés par plus d’une vingtaine d’espèces. Des dugongs étaient autrefois présents dans la région, mais les pêcheurs disent ne plus en avoir vus depuis plusieurs années. La population aurait périclité significativement dans les années 1990 probablement en raison de la fermeture de la lagune de Bevoalavo et du changement des techniques de capture (autrefois au harpon puis aux grands filets maillants jarifa apparus dans les années 1990).

Il faut encore signaler l’existence de routes migratoires empruntées par les baleines qui vont se reproduire plus au nord. En juin-juillet à l’aller et en septembre-octobre au retour, leur passage à proximité des côtes affecte certaines pratiques de pêche. A ces périodes, les pêcheurs de requin évitent de caler leurs grands filets au large en raison des dégâts provoqués par ces géants des mers.

Harmelin-Vivien (1979) identifie trois principales associations de la faune ichtyologique au niveau du grand récif de Tuléar : la communauté récifale, la communauté récifale profonde de la pente externe, la communauté d’herbiers. Sans prétendre recouper finement ces catégories, les captures des pêcheurs, toutes techniques confondues, ont révélé à Ambohibola la présence de 189 espèces de poissons (raies et requins mis à part) répartis dans 69 familles et 121 genres différents (cf. annexe 2).

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Plusieurs espèces pélagiques commercialement intéressantes ne sont présentes que de façon saisonnière (scombridés, sparidés, chirocentridés, clupéidés…), généralement à la période fraîche entre juin et novembre.

Les classifications locales sont très développées concernant les poissons (beaucoup moins pour les requins exploités depuis peu). Plusieurs espèces font l’objet chez les pêcheurs d’une connaissance et d’une taxonomie assez fines (Scombridae spp., Labridae spp., Lethrinidae

spp., Haemulidae spp.). Certaines espèces méconnues (Chyloscyllium sp.) sont fréquemment

observées par les pêcheurs. La connaissance de ces savoirs locaux peut donc dans une certaine mesure permettre de saisir l’ampleur de la diversité biologique.

De ces savoirs on peut notamment tirer quelques grandes tendances au sujet des transformations écologiques à l’échelle locale. L’augmentation significative des populations de siganus spp. observée par les pêcheurs traduit par exemple un développement des alguiers. Une diminution d’abondance de la plupart des gros poissons de fond et des grands prédateurs, notamment des requins, est aussi relevée par les pêcheurs. On peut encore évoquer la nette diminution des holothuries qui était réputées pulluler au siècle dernier.

La région ressemble donc à une mosaïque d’espaces littoraux dynamiques en interaction abritant une grande diversité de milieux et de ressources. L’espace de vie des populations locales est caractérisé à la fois par sa richesse (qualité agronomique des sols, ressources forestières et marines…) mais aussi par une relative incertitude (variabilité saisonnière des espèces, des conditions météorologiques, transformation des espaces…). C’est à cet environnement riche mais soumis à une variabilité forte que les groupes locaux doivent faire face.