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EVACUATIONS MASSIVES

2.2 L' ESTIMATION DES TAUX D ' AUTO EVACUATION ET D ' AUTO

2.2.1 Des taux d'évacuation variables selon les événements

2.2.1.2 Des taux de populations évacuées variant de 40 à 80% d'après les retours d'expérience américains

Malgré ces interrogations et la part aléatoire qui s'attache à l'exercice, il demeure pertinent d'essayer de synthétiser les résultats tirés de la littérature internationale ayant débouché sur l'estimation de taux d'évacuation après un événement catastrophique. Des synthèses à visée générale et prédictive, souvent axées sur un aléa spécifique, ont déjà pu être rédigées par le passé (Baker, 1991 en ce qui concerne les ouragans). Bien qu'il puisse servir à mettre à jour ces dernières des références les plus récentes (Ng et al., 2016, 2014), l'objectif du Tableau 1, loin d'être exhaustif, n'est pas de les imiter : il s'agit plutôt de regrouper les études les plus connues et les mieux référencées, en mettant l'accent sur les événements qui ont fait l'objet d'une consigne ou d'un ordre d'évacuation de la part des autorités, afin d'obtenir un premier ordre de grandeur qui puisse être applicable au cas francilien.

Ce tableau cite bien sûr les auteurs et la date de l'étude, mais aussi la taille de l'échantillon sondé : il faut ici supposer qu'un large échantillon est gage de représentativité, mais qu'il risque également de lisser les taux d'évacuation, en amalgamant des populations fortement exposées (et donc plus à même d'évacuer) avec d'autres qui le sont beaucoup moins ; à ce titre, trois des quatre études qui comprennent un échantillon supérieur à 1000 ménages ont les taux d'évacuation les plus faibles. Essentiel également, est signalée l'emprise géographique de l'étude, en distinguant les références dont le territoire d'étude se limite strictement à une zone

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d'évacuation donnée (au sein de cette zone, toutes les populations ont fait l'objet d'un ordre ou d'une consigne forte d'évacuation), et celles dont le territoire s'étend au-delà de cette seule zone d'évacuation (comprenant donc des populations non ciblées par les autorités). Il est parfois difficile de séparer distinctement les deux : ainsi, chez Riad et al. (1999), l'échantillon est restreint aux personnes sondées pour lesquelles l'évacuation a été requise ou a minima fortement suggérée ; or, ordre et suggestion n'ont bien sûr pas le même impact sur la perception du risque et le comportement des personnes... Il est aussi fait mention de la région d'étude et de l'aléa à l'origine de l'évacuation : sont ainsi écartés tous les aléas qui ne peuvent pas être anticipés ou seulement sur une très courte durée, inférieure à 24h, ceux d’origine anthropique (accident technologique ou industriel, aléa sécuritaire de type attentat) mais aussi certains aléas naturels comme les séismes et les tsunamis (Jonkman, 2007 : 48). Dans la majorité des cas, les aléas étudiés sont des ouragans frappant les côtes américaines, plus rarement des inondations.

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Auteurs Date Type

d'étude 35 Nombre de ménages sondés Emprise spatiale36

Pays - Région d'étude Aléa Taux

d'évacuation Siebeneck et

Cova

2012 EU 192 A Cedar Rapids (Iowa, E- U)

Inondations 85%

Elliott et Pais 2006 EU 1294 A Louisiane, Mississippi,

Alabama et ville de la Nouvelle- Orléans (E-U) Ouragan (Katrina) 70% (ville de la Nouvelle- Orléans), 80% (hors de la ville)

Heath et al. 2001 EU 397 A Californie (E-U) Inondations 60%

Gladwin et Peacock37

1997 EU 369 A Floride (E-U) Ouragan (Andrew)

54%

Lindell et al. 2005 EU 507 B Texas, Louisiane (E-U) Ouragan

(Lili) 54% (12% - 87% selon les comtés) Dash et Morrow38

2001 EU 233 A Floride (E-U) Ouragan (Georges)

53%

Baker 1991 S - B Etats-Unis Ouragans <50% - 100%

selon les événements

Siebeneck et Cova

2008 EU 219 B Houston (Texas, E-U) Ouragan (Rita)

47%

Riad et al. 1999 EU 777 B Etats-Unis Ouragan

(Andrew et Hugo)

42%

Zhai et Ikeda 2006 S - B Japon Tous types <40%

Brown et Parton 2014 EU 495 (Irène), 486

(Sandy)

A New York (E-U) Ouragans (Irène et Sandy)

31% (Irène), 37% (Sandy)

Horney et al. 2012 EU 570 B Caroline du Nord (E-U) Ouragan

(Isabel)

28%

Whitehead et al. 2000 EU 895 B Caroline du Nord (E-U) Ouragan

(Bonnie)

26%

Smith et McCarty

2009 EU 1881 B Floride (E-U) Ouragans (Saison 2004) 25% (53% dans le Sud-est de l'Etat)

Ng et al. 2015 EU 7068 B Virginie (E-U) Ouragan

(Irene)

16%

Solis 2009 EU 1355 B Floride (E-U) Ouragan

(Saison 2005)

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Tableau 1. Estimations de taux d'évacuation dans la littérature internationale.

Le Tableau 1 illustre une grande diversité de situations : les taux d'évacuation varient de 16% à 85% selon les études ; au sein d'une même étude, une amplitude similaire peut être constatée entre différents territoires exposés (Lindell et al., 2005). De très forts taux d'évacuation peuvent être observés aussi bien pour des événements d'emprise moyenne, à l'instar de l'inondation de Cedar Rapids en juin 2008 qui a entraîné l'évacuation de 20000 personnes (Siebeneck et Cova, 2012), que pour des événements majeurs menant à l'évacuation en masse de centaines de milliers de personnes, à l'instar de l'évacuation préventive face à l'arrivée de l'ouragan Katrina (Elliott et Pais, 2006). Des taux élevés (ou à l'inverse bas) peuvent être observés indifféremment

35 EU : étude originale. S : étude de synthèse.

36 A : les populations sondées ont toutes fait l'objet d'un ordre ou d'une consigne d'évacuation. B : autres cas, pas de précisions.

37 Les chiffres retenus ici, pour l'étude de Gladwin et Peacock (1997) sont ceux relatifs à la zone d'évacuation uniquement. Le nombre total de ménages sondés (zone d'évacuation et hors zone) est de 1236, pour un taux d'évacuation de 21,1%.

38 Pour l'étude de Dash et Morrow (2001), les chiffres retenus sont ceux relatifs à la zone d'évacuation obligatoire uniquement (Monroe County – Archipel des Florida Keys). L'étude comprend aussi 707 sondés dans l'agglomération de Miami-Dade, en zone d'évacuation volontaire (avec là un taux d'évacuation de 15%, montant à 44% pour les seuls ménages vivant en zone côtière).

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pour les deux types d'aléas considérés dans ces études, soit des inondations fluviales ou le passage d'ouragans (entraînant souvent une inondation côtière).

Il apparaît pertinent de restreindre l'analyse aux seules études qui s'intéressent exclusivement aux territoires ayant fait l'objet d'une consigne d'évacuation (emprise géographique = A) : ce sont celles qui, en effet, se rapprochent le plus du cas francilien ; comme nous le verrons plus loin, des consignes claires d'évacuation seront en effet données en cas d'inondation majeure en Ile-de-France. Dans ces conditions, l'amplitude des taux d'évacuation observés diminue sensiblement, ces derniers variant d’environ 40% à plus de 80% selon les situations observées. En considérant uniquement les évacuations métropolitaines, il est observé des taux relativement bas à Miami lors du passage de l'ouragan Andrew (54%) en 1992 (Gladwin et Peacock, 1997), à New York lors du passage de l’ouragan Sandy (37%)39, mais aussi lors d’une des plus grandes

évacuations de masse de l'histoire américaine, pendant le passage de l'ouragan Rita en septembre 2005 (47%) sur Houston (avec 2,5 millions de personnes évacuant la ville de Houston et de ses environs) (Siebeneck et Cova, 2008). Ces taux apparaissent cependant plus élevés à la Nouvelle-Orléans un mois plus tôt, lors du passage destructeur de l'ouragan Katrina (taux d'évacuation préventive de 70% dans la ville de la Nouvelle-Orléans, 80% hors de la ville) (Elliott et Pais, 2006).

Le contexte, géographique (Etats-Unis) et cinétique (ouragans), est néanmoins assez éloigné de notre objet d’étude, appelant à prendre avec précaution les conclusions tirées de ces retours d’expérience. La rareté des sondages menés a posteriori des évacuations liées à des inondations fluviales, et disponibles au sein de la littérature scientifique, est à ce titre dommageable : il est pourtant nécessaire d’avoir accès aux retours d’expérience de ce genre d’événements, les seuls dont la cinétique puisse être comparable à une crue de la Seine. Pour ce faire, il faut se tourner, non plus vers les sondages menés a posteriori, mais sur les comptages des populations évacuées effectués par les autorités ou par d’autres sources médiatisées, au fil de la crise. Ces chiffres peuvent être recueillis par l’intermédiaire de la littérature grise, dans des rapports parlementaires post-crise (Sauzey et al., 2001), dans des rapports méthodologiques ou des guides méthodologiques, notamment dans la documentation du CEPRI (2014) ou de celle du CEREMA (Arbizzi, 2012) ; ils peuvent aussi être cités dans la littérature scientifique à titre informatif, pour appuyer un propos argumenté ou le développement d’un modèle, comme le font Jonkman (2007), Khazai et al. (2013), Plate (2011) ou Thieken et al. (2016).

Quelques chiffres, tirés d’inondations fluviales en Europe occidentale et centrale des deux dernières décennies, sont avancés dans le Tableau 2 à titre illustratif. Ils ne remplacent néanmoins pas la synthèse tirée de la littérature scientifique (Tableau 1), à plusieurs titres : d’une part, leur fiabilité n’est pas vérifiable (les critères méthodologiques des comptages ne sont pas définis nécessairement) ; d’autre part, ces comptages débouchent sur des effectifs, des valeurs absolues, qui ne peuvent que rarement être ramenés sous la forme d’un ratio, exprimant la part de la population évacuée par rapport à la population totale comprise dans une zone d’évacuation. Au mieux est-il possible d’avoir un ratio entre la population évacuée et la population en zone inondée, quand l’effectif de cette dernière est connu. Aux chiffres donnés dans le tableau, il faut rajouter le retour d’expérience de la crue de la Seine et de ses affluents en juin 2016 : s’il n’est pas possible d’estimer un taux d’évacuation précis, les points de

39 L’ouragan Irène, qui précède d’un an Sandy, n’est pas ici pris en compte : quand bien même un ordre d’évacuation a été émis pour l’occasion, l’ouragan a en effet largement épargné la ville de New York.

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situation zonaux font état de 17 500 personnes évacuées à l’échelle de la région francilienne. Toutefois, cette crue comme les événements cités dans notre tableau, demeurent assez éloignés du scénario d’inondation majeure sur lequel se penchent nos travaux : par leur durée d’une part (à l’exception de la crue de la Somme, il s’agit d’inondations dont la durée dépasse rarement une à deux semaines) ; par les effectifs concernés d’autre part (les inondations de l’Elbe et du Danube ont bien entraîné l’évacuation de 400 000 personnes, mais sur de très vastes territoires, à cheval sur plusieurs pays, et non pas à l’échelle d’une seule région urbaine).

Auteurs Date Pays - Région d'étude

Aléa Taux d'évacuation (pop.

évacuée / pop. en zone inondée)

Effectifs évacués

Plate 2011 Europe centrale (République tchèque et Allemagne) Inondation (Elbe et Danube, 2002) ND >400 000

Jonkman 2007 Pays-Bas Inondation

(Rupture de digue potentielle, 1995)

95% 250 000

CEPRI 2014 Saxe (Allemagne) Inondation (Elbe, 2002)

ND > 100 000

Thieken et al.

2016 Allemagne Inondation (Elbe et Danube, 2013)

ND 80600

Khazai et al.

2013 Allemagne Inondation (Elbe et Danube, 2013)

ND 52 500 (dont 27 000 en Saxe)40

CEPRI 2014 France Sud-Est Inondation

(Rhône, 2003)

ND 27 000

Arbizzi 2012 Arles Inondation

(Rhône, 2003) 65% 6 000 Sauzey et al. 2001 Bassin de la Somme (France) Inondation (Somme, 2001) <50% > 1 100

Tableau 2. Taux et effectifs d'évacuation : comptages effectués lors d'inondations en Europe et en France.

Pour conclure sur cette synthèse, de la littérature scientifique et de la littérature grise, il apparaît une grande variété de situations, aux Etats-Unis comme en Europe occidentale, avec une fourchette de taux d’évacuation large, variant de moins de 40% à plus de 80%. Les évacuations totalement réussies, approchant 100%, sont dans tous les cas très rares (Vogt et Sorenson, 1992) : à ce titre, il faut noter la performance de l’évacuation de 1995 aux Pays-Bas, avec un taux d’évacuation de 95%.

2.2.2 L'identification malaisée des variables discriminantes de l'évacuation et de

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