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francilienne : estimation sous SIG des besoins de prise en charge des

1.2 L ES BESOINS D ' UNE RECHERCHE FONDEE SUR LES EVACUATIONS

1.2.1 Un approfondissement nécessaire des travaux existants et des besoins spécifiques à la région Ile-de-France

L'intérêt donné à la problématique des évacuations, dans le cadre de la thèse, se justifie d'une part par un déficit de connaissances de certains pans de la littérature internationale, d'autre part par des besoins explicites exprimés par les acteurs de la gestion de crise au sein de l'agglomération francilienne, spécifiquement la Préfecture de Police qui commande la Zone de Défense et de Sécurité de Paris.

Lim et al. (2013) présentent, dans le cadre d'un état de l'art des travaux existants, des orientations possibles pour les recherches futures, soulignant en creux les déficits de connaissance sur ces sujets : ces déficits existent en amont comme en aval du processus d'évacuation. En amont, les critères de décision de l'évacuation, par les autorités, semblent constituer un angle de recherche encore peu exploité : les applications SIG conçues pour aider à la préparation de crise et à la planification des stratégies de réponse demeurent peu nombreuses (Masuya et al., 2015) ; celles existantes peinent à fournir une aide opérationnelle aux gestionnaires dans la conception de plans d'évacuation ad hoc (Morel et al., 2015). En aval, les problématiques relatives au retour au logement, et les facteurs qui permettent d'expliquer le retour (ou non) dans la ville d'origine après une catastrophe majeure, demandent à être approfondies. Les besoins en la matière apparaissent en effet importants, du point de vue des autorités : les plans de retour au logement (reentry plans) mis en oeuvre après le passage d'ouragans américains ont été, le plus souvent, des échecs patents, rarement suivis d'effets correctifs sur le comportement des populations ciblées. Or, un retour au logement prématuré peut poser des problèmes aux autorités, dans le maintien de la sécurité et de l'ordre publics, mais aussi aux habitants mêmes, face au risque physique d'effondrement de certains bâtiments, face à l'absence de services publics appropriés et à la fermeture des réseaux, indispensables à la salubrité et la viabilité des quartiers (pas d'eau, pas d'électricité, pas d'assainissement...) (Siebeneck et al., 2013). A l'inverse, un retour trop tardif peut compromettre le retour à l'activité et la reconstruction des territoires sinistrés.

Une troisième orientation à privilégier, transversale, est la capacité de réponse locale des collectivités et des services de l'Etat : il faut ici pouvoir confronter les moyens disponibles en termes de transports en commun et de places d'hébergements aux estimations des besoins de prise en charge des populations, et en particulier des populations non autonomes (CEPRI, 2014). Parmi ces dernières, l'accent doit être mis sur les personnes non autonomes pour des

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raisons de mobilité physique (personnes âgées et/ou handicapées vivant à domicile), mais aussi sur les populations non autonomes pour des raisons matérielles et socio-économiques, notamment les ménages sans voiture (carless population) ; certains auteurs soulignent également le besoin de s'interroger sur la population hors ménage, celle vivant en établissements (institutionalized population), et d'estimer les besoins de prise en charge de l'évacuation de certains d’entre eux, en particulier les hôpitaux (Murray-Tuite et Wolshon, 2013 ; Renne et al., 2011 ; Wolshon, 2009). L'estimation de la capacité de réponse des autorités est aussi fonction des taux d'évacuation, les besoins n'étant pas les mêmes selon les effectifs de population qui évacuent (ou ne le font pas) : les efforts de planification des autorités gagneraient donc à obtenir des estimations prédictives des taux d’évacuation plus précises (Dash et Gladwin, 2007) ; or, ces estimations, quand elles revêtent un caractère prédictif, sont difficiles à établir et sont généralement contredites a posteriori. Elles doivent porter sur les zones qui ont fait l'objet de consignes d'évacuation explicites, mais aussi sur les zones qui font l'objet d'évacuations spontanées (appelées shadow evacuation par Gladwin et Peacock (1997)). Ces évacuations spontanées, non recommandées par les autorités, peuvent avoir un impact néfaste sur la gestion de la crise (en augmentant la demande en termes d'hébergements, en aggravant la situation du trafic routier...)

Au-delà de l'intérêt du sujet du point de vue de la recherche internationale, un besoin spécifique a été exprimé par les autorités franciliennes de la gestion de crise, et plus spécifiquement le Secrétariat Général de la Zone de Défense et de Sécurité de Paris (SGZDS), sous la responsabilité de la Préfecture de Police. Dans ses efforts de planification, cette dernière a besoin de quantifier les moyens à mettre en oeuvre pour assurer l'évacuation de la population, et d'identifier des zones prioritaires d'évacuation (i.e. répartir spatialement les moyens à mettre en oeuvre). Son action s'adresse prioritairement à la prise en charge de la population à domicile, en particulier des populations non autonomes car peu mobiles (comme les personnes âgées et isolées), considérant que la mobilité est le facteur clé de discrimination face au risque. Pour connaître les besoins de prise en charge de la population à domicile au sein d'un quartier évacué, la préfecture de police est particulièrement intéressée par les estimations de l'auto-évacuation et de l'auto-hébergement des populations exposées. Le reliquat, soit les personnes n'ayant ni auto-évacué, ni de solutions d'hébergement au sein du cadre familial ou amical (hébergement chez des proches), ou dans l'offre commerciale existante (location de chambres d'hôtels), est à prendre en charge par les services de l'Etat ou des collectivités locales. Les estimations préliminaires de la Préfecture de Police apparaissent initialement peu précises, en ce qui concerne l'auto-évacuation : une fourchette de 25-75% de la population totale à domicile a ainsi été avancée comme base de travail. A noter, à l'inverse, que la Préfecture de Police considère que la population en collectivité (hors ménage) est amenée à être prise intégralement en charge par les organismes responsables, à l'instar des acteurs médico-sociaux pour les hôpitaux et EHPAD.

Les besoins de la Préfecture de Police, les orientations futures de la recherche sur les évacuations, expliquent l'intérêt donné, dans le cadre du travail de thèse, au développement d'une méthodologie d’estimation quantifiée et cartographiée des besoins en évacuation. Cette méthodologie se fonde sur des retours d'expérience tirés essentiellement d'événements à l'étranger : c'est là le paradoxe de notre objet d'étude. D'une part, le contexte géographique et cinétique de notre sujet, fondé sur l'inondation de plaine de centaines de milliers de logements pendant plusieurs semaines, est exceptionnel et, en ce sens, difficilement comparable aux autres événements documentés dans la littérature internationale : cette dernière illustre presque

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exclusivement des catastrophes de cinétique rapide (ne dépassant généralement pas quelques jours d'occurrence). Il s'agit le plus généralement d'ouragans frappant les Etats-Unis (d'Andrew en 1992 à Sandy en 201232) : la doctrine de gestion de crise américaine donne en effet la part

belle aux évacuations massives, de telle sorte que les Etats-Unis représentent la majorité des cas documentés. D'autre part, il n'existe néanmoins aucun référentiel récent d'évacuation massive en France, et encore moins en Ile-de-France. Les retours d'expérience à l'étranger, même s'ils sont difficilement applicables au cas francilien, demeurent indispensables à la compréhension et à la planification du processus d'évacuation.

1.2.2 Les orientations passées et présentes de la recherche

La recherche sur la problématique des évacuations massives est relativement récente. Les travaux sur la question demeurent ponctuels jusque dans les années 1960 (Drabek et Boggs, 1968), avant de se multiplier au cours des années 1970 en particulier aux Etats-Unis (Kar et Hodgson, 2008) : la recherche se porte d'abord sur la problématique des ouragans, avant de se tourner vers l'aléa technologique et nucléaire à la suite de l'accident nucléaire de Three Mile Island (1979) ; l'évacuation face au passage d'un ouragan revient au premier plan à la suite de l'ouragan Andrew en 1992 (Wilmot et Mei, 2004). Depuis, la recherche a majoritairement porté sur deux volets distincts, qui communiquent rarement entre eux :

(1) Le développement de modèles informatiques et géomatiques censés informer les gestionnaires sur la demande lors d'une évacuation, en particulier du point de vue du trafic routier, et les moyens à mettre en oeuvre subséquemment. Citons, entre autres (Masuya et al., 2015) : (a) les outils, de loin les plus nombreux, simulant le trafic routier et développant des algorithmes de réseau pour identifier des itinéraires d'évacuation ad hoc (Dunn et Newton, 1992) ; (b) des modèles géomatiques visant à identifier des sites possibles pour l'hébergement des populations, en fonction de la demande en populations évacuées, et selon la capacité des hébergements considérés (Gall, 2004 ; Kar et Hodgson, 2008 ; Sanyal et Lu, 2009). (c) Plus récemment, des modèles ont émergé pour estimer les besoins d’hébergement d’urgence en cas de catastrophe (Vecere et al., 2017). L’intérêt de ces derniers vis-à-vis de nos propres travaux est explicité dans la partie méthodologique du chapitre.

(2) Une recherche issue des sciences sociales visant à appréhender le comportement des populations lors d'une évacuation, et spécifiquement à déterminer un taux d'autoévacuation. Les travaux en sciences sociales visent essentiellement à rechercher les caractéristiques propres aux populations qui évacuent, et à identifier les caractéristiques discriminantes des populations qui a contrario n'évacuent pas (par choix ou par incapacité) (Dash et Gladwin, 2007) ; par extension, ces travaux visent à envisager les difficultés qui peuvent être rencontrées par les personnes lors de leur évacuation. Ils débouchent, parfois, sur le développement de modèles conceptuels visant à expliquer le processus réflexif qui mène à la décision d'évacuer (ou de ne pas évacuer) au sein des ménages (Gladwin et al., 2001). Ils peuvent aussi avoir une valeur prédictive pour de futures évacuations : en identifiant les facteurs favorables ou défavorables à l'évacuation, ils essaient de déterminer des taux d'évacuation probables pour un territoire donné. Cette décision d'évacuer est conditionnée par la perception du risque par les ménages : les autorités présupposent souvent, à tort, que les ménages agissent de façon rationnelle en cas

32 Nul doute que le récent ouragan Harvey, ayant frappé le Texas et la ville de Houston, en août 2017, donnera lieu à une recherche prolifique.

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d'évacuation, qu'ils vont entendre l'alerte, réaliser l'imminence de la catastrophe, et évacuer dès qu'une consigne est donnée en ce sens. Ce postulat conduit les autorités à élaborer des plans d'évacuation irréalisables : ainsi le plan d'évacuation de la ville d'Orléans, à activer en cas de rupture de digue et de crue de la Loire, postule une évacuation totale de la population ; or, il y aura nécessairement un reliquat demeurant sur place, qui « vampirisera » tous les moyens disponibles de la sécurité civile ; ces derniers ne pourront vraisemblablement pas être déployés pour assurer l'accompagnement des populations évacuées, rendant de fait caduque le plan d'évacuation33. La réalité est de fait beaucoup plus complexe : nombre de personnes choisissent de ne pas prendre de mesures préventives ou protectives en cas d'imminence d'une catastrophe, pour diverses raisons. Notamment, la perception du risque entre en compte dans la prise de décision d'évacuer : cette perception se construit pour chaque personne selon le contexte culturel, social et économique dans lequel elle évolue ; chacun détermine le risque en fonction de limites perceptives qui permettent de déterminer ce qui relève du danger de ce qui n'en est pas (Dash et Gladwin, 2007).

Enfin, avant que la recherche ne porte spécifiquement sur la perception du risque et le processus d'évacuation, beaucoup d'emphase a été donnée à l'alerte et à la communication, mettant en lumière les caractéristiques d'une alerte efficace pour assurer l'évacuation du plus grand nombre (Dash et Gladwin, 2007). La réponse de la population à une communication officielle des autorités est de fait une conséquence directe, d'une part du risque perçu par les populations et des caractéristiques propres de ces dernières (caractéristiques sociodémographiques, psychologiques, insertion dans des réseaux sociaux...), d'autre part de la teneur du message d'alerte. Un message d'alerte doit pouvoir être cohérent, précis, et spécifique : plus un message d'alerte est spécifique, plus les ménages ciblés sont susceptibles de se sentir concernés et de mettre en oeuvre une réponse adaptée. Ce message doit pouvoir s'appuyer sur des relais efficaces : les médias, mais plus encore les réseaux de voisinage, apparaissent décisifs dans la prise de décision d'évacuer.

Pour conclure, face à une évacuation massive, « solution draconienne » aux impacts multiples et difficiles à prédire, il a été clairement identifié le besoin d’approfondir la recherche sur cette problématique, par le développement d’une méthodologie ad hoc d’estimation des besoins de prise en charge des populations. A ce titre, le contexte géographique de notre étude, français et francilien, interpelle. A l’échelle française, une évacuation massive n’a pas eu lieu dans l’ampleur attendue depuis la seconde guerre mondiale. Dans un contexte francilien, une évacuation massive consécutive à une inondation de plaine représenterait un cas presque inédit, non pas à l’échelle française, mais à l’échelle mondiale. La région Ile-de-France apparaît de fait comme un cas d’étude extraordinaire, du point de vue opérationnel comme du point de vue scientifique. L’étude de ce cas s’inscrit à cet égard à la suite des travaux menés par la recherche internationale.

33 Observation de N. Bauduceau (CEPRI).

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2 ETAT DE LART SUR LA PROBLEMATIQUE DES

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