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VULNERABILITE A LA CATASTROPHE

2.2 L ES APPROCHES COMPLEMENTAIRES DE LA VULNERABILITE

2.2.3 De la résilience à l’amplification sociale du risque

Si la vulnérabilité est aujourd’hui au centre de la recherche sur le risque, elle implique toutefois la mobilisation d’autres notions, en particulier celle relative à la résilience (Hufschmidt, 2011).

La résilience, pendant de la vulnérabilité

Définitions de la résilience

La résilience (du latin « resilio », pour rebondir) est un terme issu des sciences psychiatriques et écologiques (Dauphiné et Provitolo, 2007 ; Turner, 2010). Du point de vue psychiatrique, la résilience représente la capacité à résister à la pression sans se briser (la résilience est alors assimilée à la notion de résistance)16. Le terme a en particulier été utilisé pour comprendre le passage de l’enfance à l’adolescence (Dauphiné et Provitolo, 2007). D’un point de vue écologique, le concept de résilience a été introduit dans les années 1970, pour désigner la persistance d’un système et de ses structures fondamentales, sa capacité à absorber des chocs ou des changements (Gunderson et Holling, 2002 ; Holling, 1973 in Hufschmidt, 2011 ; Serre et Barroca, 2013 ; Toubin et al., 2012). En s’appuyant sur ces deux définitions, un enjeu ou un système exposé à l’aléa peut être qualifié de résilient s’il comprend les caractéristiques suivantes : la capacité à absorber un changement ou un choc, sa force inhérente, son autonomie (demeurer fonctionnel sans appui extérieur), sa capacité de récupération, sa capacité d’apprentissage enfin. Sperenza et al. (2014) met en avant un facteur transversal de la résilience, pour qu’un système présente l’ensemble de ces propriétés : la diversité. Un système diversifié, dans ses fonctions, dans ses composants, est un système résilient car flexible.

La résilience est de ce fait un terme très englobant, polysémique et pluri-disciplinaire (Adger, 2006 ; Mayunga, 2007). La spécificité de la résilience n’est pas toujours évidente, et la distinction peu claire vis-à-vis des notions d’adaptation (ou capacité d’adaptation) et de vulnérabilité (Cutter et al., 2008 ; Hufschmidt, 2011). C’est aussi une notion contradictoire comme le souligne Pigeon (2012) : la résilience comprend la capacité d’un système à se perpétuer ; or, si le système en question n’est pas viable, sa perpétuation n’est pas souhaitable, elle peut avoir au contraire des conséquences particulièrement néfastes. Pigeon (2012) met ainsi en avant le cas de la commune de Faute-sur-Mer et de son système d’urbanisation : ce système favorisait, avant l’occurrence de la tempête Xynthia, le développement de lotissements en zone inondable, protégés par des travaux d’endiguement, et malgré des injonctions de l’Etat. Le système d’urbanisation est donc résilient, provoquant paradoxalement des conditions favorables à l’occurrence d’une catastrophe – Xynthia.

Du fait de ces incertitudes, de cette polysémie, c’est une notion qui, à l’instar de la vulnérabilité, donne lieu au développement de différents modèles (Cutter et al., 2008 ; Gunderson et Holling,

16 Cette approche de la résilience se retrouve aussi dans l’étude des matériaux : un matériau résilient est un matériau résistant (résistant aux chocs et ductile) (Lhomme et al., 2010).

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2002) et à différentes approches. Notons la prépondérance des travaux portés par une approche technique, fondée sur l’analyse sectorielle d’un réseau (énergétique, routier, etc.) ou d’une activité socioéconomique (Cimellaro et al., 2010). L’accent est alors mis sur la capacité du réseau, de l’activité à revenir à un niveau de fonctionnement normal ; la résilience se résume alors à un % de niveau de fonctionnement, comparé à un niveau ex ante17.

Le système-ville et la résilience urbaine

Au sein des études de résilience, un champ spécifique s’est développé sur le créneau de la résilience urbaine. Dans ce champ d’étude, la ville est considérée comme un système (un système urbain ou système-ville), au sein duquel interagissent différents composants représentant des fonctions et services urbains. Les fonctions urbaines représentent des capitaux dont la ville a besoin pour fonctionner, en d’autres termes pour répondre aux besoins fondamentaux de ses habitants (habitat, éducation, activité commerciale et industrielle, administration publique et gouvernance politique). Ces fonctions sont mises en relation les unes aux autres par le biais de services urbains, comprenant notamment des réseaux techniques d’alimentation en énergie, en eau, de communications et de télécommunications (Batica et al., 2013 ; Serre, 2015).

C’est un système axé autour de l’activité économique (Lhomme et al., 2010 ; Serre, 2015) : les relations entre individus, au sein d’une ville, peuvent être définies d’un point de vue économique comme un équilibre dynamique créé par des flux constants de ressources et d’argent (Lindell, 2013). Un ménage paie des entreprises pour des biens et des services, mais aussi des opérateurs pour avoir accès aux réseaux (transport, électricité, gaz, eau, assainissement, télécommunications), et paie enfin les administrations publiques par le biais de l’imposition fiscale et des cotisations sociales. Cet argent est obtenu, dans le cas des salariés, par le biais d’un salaire versé par les employeurs. Ces derniers versent les salaires, mais paient également des fournisseurs, des opérateurs de réseaux, les administrations publiques, pour avoir accès aux réseaux, à des biens et services, permettant d’assurer une production.

Or, cet équilibre est mis à mal par l’occurrence d’une catastrophe naturelle, dans une ampleur variant selon la résilience du système urbain : le retour à cet équilibre varie en particulier selon la capacité du système-ville à maintenir et à récupérer ses fonctions urbaines. En l’occurrence, les réseaux techniques (critiques, essentiels, vitaux) apparaissent comme la clé de voûte du maintien de ces fonctions (Lhomme et al., 2010). Or, du fait de leurs contraintes d’implantation, de leurs structures, de leurs interdépendances, ces réseaux apparaissent très exposés face à l’occurrence d’une catastrophe, tout en contribuant à propager les effets de cette dernière au- delà des seules zones d’impact : la plus petite défaillance de l’un d’eux peut avoir de lourdes répercussions sur les autres types de réseaux, provoquant des effets domino imprévisibles et potentiellement la paralysie du fonctionnement urbain. A titre d’exemple, une inondation provoque une surcharge des réseaux d’eaux pluviales : celle-ci mène à une submersion des voies routières et ferroviaires, affectant la population dans ses déplacements, et donc l’activité des entreprises (Lhomme et al., 2010 ; Serre, 2015 ; Serre et al., 2016).

17 Les problématiques apparaissent alors plus opérationnelles. Bruneau et al. (2003) identifient quatre propriétés pour qualifier un réseau ou une activité résilients : la robustesse (capacité à faire face à un niveau de perturbation, ou de demande, sans perdre en pourcentage de fonctionnement), la redondance (capacité des éléments à être substituables), l’ingéniosité (capacité à établir des priorités et à mobiliser des ressources), la rapidité (capacité à répondre aux priorités en temps et en heure).

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Il est possible de distinguer la résilience de temps court de la résilience de temps long (Toubin et al., 2012) : la résilience de temps court est la capacité des services et fonctions à réagir à une perturbation par un processus d’adaptation, la résilience de temps long par le maintien des fonctions urbaines majeures (du fait de dynamiques socioéconomiques relatives à l’attractivité et à la prospérité de la ville). Trois leviers sont disponibles pour améliorer cette résilience : (1) une stratégie technique visant à limiter le degré de perturbation par une plus grande résistance des fonctions et des services ; (2) la capacité de ces derniers à fonctionner en mode dégradé ; (3) une stratégie organisationnelle visant à accélérer le retour à la normale par une allocation optimale des ressources.

Résilience et capacité d’apprentissage

La résilience, urbaine ou non, est enfin étroitement associée à la notion d’apprentissage18 : une organisation, un enjeu, un système résilient se remodèle après un choc ou un changement : il apprend de ce dernier, il développe de nouveaux savoirs afin de mieux faire face aux chocs suivants (Rochet et al., 2008). La capacité d’apprentissage se définit ainsi comme la capacité d’un système à avoir de la mémoire, d’apprendre en intégrant les expériences passées dans les actions présentes (Sperenza et al., 2014). L’apprentissage, et donc la résilience, est toutefois contraint par la notion de normes. Les normes sociales, en vigueur au sein d’une société, ou d’une organisation, visent à préserver les schémas de représentation et d’interactions existants, communs à l’ensemble des acteurs ; ces normes, par essence conservatrices, sont résistantes au changement.

L’amplification sociale du risque : les enjeux de perceptions

Ces normes ont de lourdes conséquences sur la perception du risque, qui de ce fait évolue difficilement (De Bovis, 2009), y compris après une catastrophe majeure. Cette inertie est une cause majeure de non résilience. Or, les actions d’adaptation, présentées précédemment, ne peuvent être réalisées, du fait des ressources, humaines et financières qu’elles mobilisent, qu’à la condition que le risque soit perçu comme tel par les populations et les autorités compétentes (Hufschmidt, 2011). La volonté et la motivation pour réaliser ces actions (willingness to adapt) sont de ce fait conditionnées par la perception du risque.

L’amplification sociale du risque

A ce titre, il faut rappeler que le risque ne se résume pas à un ensemble de données techniques (Cutter, 2003a) : intervient ici la notion d’amplification sociale du risque, développée par Kasperson et al. (1988) pour mettre en évidence le rôle de la perception, des représentations du risque, des échelles de valeurs morales et politiques, des interactions sociales dans la construction de celui-ci (postulat constructiviste). Le risque interagit avec des dynamiques psychologiques, sociales, culturelles qui peuvent accroître ou diminuer la perception du risque par les populations et modifier en conséquence leur comportement face au risque (D’Ercole et al., 1994). Ces comportements différenciés induisent des conséquences subsidiaires d’ordre social ou économique qui accroissent ou diminuent ce que les auteurs appellent le risque physique (la composante aléa du risque) ; ces comportements peuvent étendre

18 D’autres notions, encore, sont associées plus ou moins étroitement à celle de résilience, comme la problématique de la durabilité (Toubin et al., 2012 ; Turner, 2010).

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considérablement dans le temps et dans l’espace les impacts provoqués par le risque, provoquant des effets domino difficiles à prévoir (rippling effect).

Transmission d’informations et enjeux de communication

Cette amplification sociale du risque se fonde sur deux éléments : l’expérience personnelle et directe du risque d’une part, d’autre part les informations reçues à ce sujet par des intermédiaires (expérience secondaire), généralement les médias. Or, la transmission d’informations n’est pas neutre : en théorie de la communication, l’amplification fait référence au processus qui permet d’intensifier ou d’atténuer des signaux pendant la transmission de l’information (Kasperson et al., 1988). Ainsi, l’information transmise sur le risque est déformée au travers de filtres perceptifs et cognitifs. Un élément fréquemment cité dans la littérature, pour illustrer la construction sociale du risque, est la prépondérance donnée à l’aléa sur la vulnérabilité et la résilience par les populations et les autorités. Ces dernières peuvent ainsi se servir de l’aléa, instrumentaliser sa violence, pour faire oublier des choix de gestion parfois hasardeux, pour se dédouaner de leurs responsabilités, comme Hernandez (2010) a pu l’observer dans le cas de la Nouvelle-Orléans. Accuser les changements climatiques – un processus certes anthropique mais global, sans responsabilité strictement individuelle – est une autre façon d’écarter du champ de la réflexion les problématiques de vulnérabilité et de spatialisation du risque.

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