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BESOINS DE PRISE EN CHARGE DES POPULATIONS

3.1 O BJECTIFS ET INTERET DE LA METHODOLOGIE

3.1.4 Application de la méthodologie Chakraborty et al (2005) au cas d'étude francilien

La méthodologie construite par Chakraborty et al. (2005) consiste en un indice spatialisé représentant la vulnérabilité sociale pour traiter la problématique de l’évacuation, le Social Vulnerability Evacuation Assessment Index (SVEAI).

3.1.4.1 Intérêt et application de l’indice SVEAI à l’échelle francilienne

Il apparaît utile d’adapter cet indice au cas francilien, à deux titres : d’une part, il permet d’identifier des zones prioritaires en cas d’évacuation massive, et c’est bien là l’enjeu de la doctrine d’évacuation de la Préfecture de Police ; d’autre part, la méthodologie SVEAI présente l’avantage d’être aisément applicable, et se trouve de ce fait utile pour tirer un diagnostic territorial global. Le SVEAI est une méthode à l’origine appliquée à la Floride, censée être utilisable pour tous types d’aléas (multi-hazards assessment), en identifiant de façon cartographique les populations prioritaires à une évacuation lors de l’occurrence d’un aléa, selon leur vulnérabilité.

L’indice SVEAI se subdivise en trois dimensions, avec plusieurs variables résumant chaque dimension. Parmi les dix variables originales de la méthode, huit variables équivalentes ont été retenues : la variable « logements occupés sans téléphone » n’a pu être renseignée, faute de données (Tableau 8) ; cette variable apparaît par ailleurs, à l’heure du tout portable, peu pertinente, à l’instar de la variable « nombre de mobil homes », inadaptée hors du contexte américain. Les données brutes relatives à chaque variable ne sont pas comparables entre elles et ne peuvent être directement agrégées : pour ce faire, chaque variable est rationalisée en un indicateur allant de 0 à 1, à partir d’une méthode de normalisation linéaire45.

Les données sont issues de l’INSEE (données de 2011) et, pour la dernière variable, de la Caisse Nationale des Allocations Familiales (CNAF – de 2015). Elles sont disponibles à l’échelle de l’îlot de recensement, à l’exception de la variable relative au % d’allocataires AAH-AEEH46,

disponible à l’échelle communale. Dans ce dernier cas, la variable est également redistribuée à l’échelle de l’îlot de recensement, comme peuvent le faire d’autres études portant sur le développement d’indices synthétiques (Hiete et al., 2012). L’indice SVEAI est calculé par une moyenne arithmétique des différents indicateurs normalisés, sur l’ensemble des îlots de recensement de la région francilienne.

45 Les méthodes de normalisation sont présentées plus loin. Ici, le choix privilégié s’inspire de la méthode suivie par Chakraborty et al. (2005).

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Dimensions SVEAI Indicateurs SVEAI Variables équivalentes

Population et structure Population totale Nombre d’habitants par km²

Nombre de logements Nombre de logements par km² Nombre de mobil homes Aucun équivalent

Accès différencié aux ressources

Population sous le seuil de pauvreté Revenu médian Logements sans téléphone Aucun équivalent

Logements sans véhicules % de ménages sans voiture

Population avec des besoins d’évacuation spéciaux

Population institutionnalisée % de la population hors ménages Population de moins de 5 ans % de moins de 5 ans

Population de plus de 85 ans % de plus de 75 ans

Population handicapée % d’allocataires AAH - AEEH

Tableau 8. Adaptation des indicateurs du SVEAI au cas francilien

Dans la méthode originale, l’indice SVEAI est combiné (par un simple facteur multiplicateur) à un indice de risque géophysique (geophysical risk index), correspondant à la probabilité d’occurrence annuelle d’un aléa donné. Pour le cas francilien, n’est considéré que le seul aléa inondation. Pour représenter ce dernier, les données utilisées sont celles tirées de la cartographie du TRI « Métropole francilienne : celle-ci, mise en œuvre dans le cadre de l’application de la Directive Inondation, comprend trois enveloppes d’aléa : une crue fréquente, dont la fréquence de retour est égale ou inférieure à 30 ans (indice de risque géophysique = 0,033), une crue moyenne, avec une fréquence de retour comprise entre 100 ans et 300 ans (indice = 0,010), une crue extrême, de fréquence millénale (indice = 0,001). Cette cartographie ne porte toutefois que sur 141 communes de l’agglomération francilienne : la combinaison de l’indice SVEAI avec l’indice de risque géophysique ne peut donc porter qu’au sein de ces limites de 141 communes.

3.1.4.2 Résultats

En termes de résultats cartographiques, la représentation du seul indice SVEAI est menée à l’échelle régionale : les îlots de recensement sont classés en déciles, selon la valeur du SVEAI. Cette cartographie souligne, d’une part la densité de peuplement, d’autre part les variables corrélées aux revenus (Figure 7). Les arrondissements du Nord-est de Paris, mais aussi la petite couronne parisienne, en particulier les communes de Seine-Saint-Denis (93), de la partie Seine du Val-de-Marne (94), et du Nord des Hauts-de-Seine (92), apparaissent particulièrement vulnérables. Il faut aussi observer des îlots de vulnérabilité plus ponctuels en grande couronne : Trappes et Mantes-la-Jolie dans les Yvelines par exemple, ou les quartiers de grands ensembles d’Essonne, à Grigny, à Evry, à Corbeil-Essonnes.

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Figure 7. Cartographie de l'indice SVEAI à l'échelle de l'agglomération francilienne (Données : CNAF, IGN, INSEE)

La méthodologie de Chakraborty ne s’arrête cependant pas à la cartographie du SVEAI, mais comprend son croisement avec un indice de risque géophysique. La carte du risque géophysique se restreint, dans notre cas, au seul TRI « Métropole francilienne » (Figure 8) : elle illustre les très forts effets de seuil qui existent entre les trois scénarios d’inondation ; elle témoigne également du niveau d’endiguement différencié des départements de Paris, de petite couronne, de grande couronne, au détriment des derniers. Ceux-ci sont le plus fortement exposés aux crues fréquentes, tandis que la petite couronne (Val-de-Marne et Hauts-de-Seine) est exposée aux crues moyennes, que Paris est le département le plus sensible à l’évolution d’une crue moyenne en crue extrême. Il est ici déjà possible d’anticiper des priorités spatiales variables selon l’ampleur de la crue, dans l’action des autorités publiques en gestion de crise : en cas de crue fréquente, ces dernières ont la possibilité de répartir équitablement leurs efforts sur le territoire régional ; en revanche, dans l’hypothèse d’une crue moyenne (centennale), les priorités des autorités publiques doivent se reporter sur les zones les plus largement affectées, sur la petite couronne parisienne, et sur Paris dans le cas d’une crue extrême (millénale). Encore ne considère-t-on ici que l’enveloppe de l’aléa : or, les zones affectées par la crue moyenne, a fortiori par la crue extrême, sont aussi plus beaucoup plus densément peuplées que les zones exposées à un aléa fréquent.

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Figure 8. Cartographie des scénarios de crue du TRI « Métropole francilienne » (Données : DRIEE, IGN).

Le croisement de cet indice de risque géophysique avec la carte du SVEAI est disponible en Figure 9. Cette cartographie met en exergue, outre l’importance de la fréquence de retour de l’aléa dans l’approche de Chakraborty et al. (2005), des zones particulièrement sensibles au risque : la boucle de la Seine à la sortie du département de l’Essonne, le lit majeur de la Seine dans le département du Val-de-Marne, la boucle de Gennevilliers dans les Hauts-de-Seine.

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Figure 9. Combinaison de l'indice SVEAI et de l'indice de risque géophysique à l'échelle du TRI « Métropole francilienne » (Données : DRIEE, IGN, INSEE).

3.1.4.3 Limites de la méthode

Au-delà des difficultés pour appliquer l’indice sur un terrain d’étude autre que celui pour lequel il a été conçu (hétérogénéité de la résolution des données originales, découpage des îlots de recensement47), il faut surtout souligner les problèmes inhérents à la méthodologie, tant dans la construction de l’indice SVEAI même que dans le croisement de ce dernier à un indice de risque géophysique.

47 Les îlots de recensement peuvent comprendre, en leur sein, des espaces très divers, avec des zones denses et des zones non habitées, des quartiers riches et des quartiers plus pauvres, etc ; de sorte que peuvent apparaître comme vulnérables des zones en réalité non habitée ! Ce problème de maillage spatial n’est pas résolu dans l’application de cette méthode ; il l’est en revanche dans la construction de notre propre méthodologie (choix de résumer l’information sociale à l’échelle du bâti).

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(1) La méthodologie justifie l’utilisation des différents indicateurs retenus pour construire l’indice SVEAI par la littérature générale portant sur la vulnérabilité : et de fait, il s’agit bien d’un indice de vulnérabilité sociale. Cependant, la vulnérabilité sociale n’est pas égale, loin s’en faut, à la capacité d’un ménage à évacuer ou à trouver un hébergement par ses propres moyens : l’état de l’art, mis en œuvre pour les facteurs de l’évacuation et de l’auto-hébergement (Tableau 3 Tableau 7), en témoigne. Plus globalement, c’est un problème récurrent des cartographies synthétiques du risque et de la vulnérabilité, telles que présentées au cours du chapitre précédent : elles apparaissent difficiles à exploiter pour une problématique spécifique et opérationnelle telle que l’évacuation. La fragilité physique des personnes n’est pas égale à leur capacité à évacuer ou à trouver un hébergement, ou encore à la capacité à se remettre d’une catastrophe. De même, les populations (les ménages et leurs groupements) ne sont pas assimilables au territoire qu’elles occupent. L’avantage d’un indice synthétique, regroupant des dimensions individuelles, collectives et territoriales, est, son nom l’indique, de synthétiser l’information : le risque, toutefois, est d’en perdre le sens.

(2) Le croisement de l’indice SVEAI avec des données relatives à l’exposition vis-à-vis de l’aléa (indice de risque géophysique) paraît également relativement inadapté. Cette méthode de croisement tend à gommer les disparités d’ordre socio-spatial au profit de la seule exposition vis-à-vis de l’aléa. Cette dernière se résume par ailleurs à une approche probabiliste, soulignant les zones les plus fréquemment exposées (enveloppe des crues fréquentes) au détriment des autres zones, soumises à des crues certes plus rares mais aussi plus dévastatrices.

La méthodologie du SVEAI est certes utile à plus d’un titre et d’abord comme outil de diagnostic territorial : l’indice cartographié permet d’embrasser, d’un seul coup d’œil, les hotspots de la vulnérabilité sociale de l’agglomération francilienne. Cependant, c’est une méthode peu opérationnelle pour les autorités planificatrices : il apparaît impossible, avec l’indice SVEAI, d’identifier des zones prioritaires où déployer ses moyens, ni de quantifier les besoins des populations ; l’approche probabiliste choisie, pour croiser le SVEAI et l’aléa, interdit par ailleurs de travailler sur un scénario de crue en particulier. C’est aussi une méthode qui confond les problématiques générales de la vulnérabilité avec celles, spécifiques, de l’évacuation. L’indice SVEAI est toutefois un point de départ pertinent pour développer une autre méthodologie, plus adaptée à nos besoins et palliant le manque de références internationales de la littérature scientifique.

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