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VULNERABILITE A LA CATASTROPHE

3.2 L ES MODELES D ’ ENDOMMAGEMENT FACE AUX INONDATIONS

Les modèles d’endommagement s’inscrivent dans le cadre d’études de risque a posteriori (rétrospectives) ou a priori (prospectives) (Hubert et Ledoux, 1999) : l’état de l’art s’interroge ici sur les études prospectives, appliquées au cas spécifique des inondations. Ces estimations ont divers intérêts : l’évaluation et la cartographie de la vulnérabilité ; des analyses

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économiques de type coûts – bénéfices afin d’identifier les mesures de réduction du risque les plus efficientes ou de comparer des scénarios d’aménagement entre eux ; des analyses géographiques comparées ; des estimations assurancielles (Eleuterio et al., 2008 ; Merz et al., 2010 ; Torterotot, 1993).

3.2.1 Typologie des dommages

Ces modèles portent sur les dommages provoqués par une inondation. Les dommages, à l’instar des impacts d’une inondation, peuvent faire l’objet de diverses typologies. Il faut à ce titre distinguer les dommages directs et indirects, et les dommages tangibles et intangibles (Bubeck et Kreibich, 2011 ; Hammond, 2014 ; Merz et al., 2010). Les dommages directs sont provoqués par le contact physique de l’eau, les dommages indirects sont induits par les dommages directs (et peuvent avoir lieu à l’extérieur de l’enveloppe de l’aléa) ; les dommages tangibles sont mesurables sur un plan monétaire, à l’inverse des dommages intangibles :

- Les dommages directs et tangibles comprennent les dommages au bâti et aux stocks, aux infrastructures, aux sols agricoles et au bétail.

- Les dommages directs et intangibles comprennent les pertes et blessures humaines20, le stress psychologique, l’endommagement du patrimoine culturel ou environnemental. - Les dommages indirects mais tangibles impliquent l’interruption des services publics

hors de la seule zone inondée, les pertes d’activité des entreprises hors de la zone inondée, les coûts d’interruption du trafic et des réseaux, les pertes fiscales liées au départ ou la fermeture d’entreprises après l’inondation.

- Les dommages indirects et intangibles peuvent relever de la sphère perceptive et psychologique, incluant par exemple des traumatismes durables ou la perte de confiance dans les autorités.

Cette typologie est celle qui est la plus mobilisée par les modèles d’endommagement que nous citons par la suite, il en existe toutefois d’autres. Meschinet de Richemond et Reghezza (2010) identifient par exemple trois types d’endommagement des enjeux : l’endommagement direct et matériel, évalué sous la forme d’un coût ; l’endommagement fonctionnel, interdisant à un enjeu de remplir sa fonction, également quantifiable sous la forme de pertes d’exploitation ; l’endommagement structurel, jamais calculé ni même considéré, ou peu s’en faut, qui fait référence aux dommages provoqués sur la structure de l’enjeu (par exemple, sur la structure d’un réseau de transport). Les auteurs mettent alors en évidence le primat donné par les gestionnaires à la réduction de l’endommagement matériel, par les ouvrages de protection ou par la maîtrise foncière imposée par les PPRI.

3.2.2 La suprématie des modèles d’endommagement direct

Malgré cette variété sémantique, les modèles d’endommagement s’interrogent prioritairement sur les dommages directs et tangibles (de Moel et al., 2015 ; Hammond, 2014)21. Au sein de ces modèles, l’objectif peut être global (calculer l’ensemble des pertes directes et tangibles sur

20 Notons cependant que les assureurs tendent bien à faire des pertes humaines des dommages tangibles, en les monétisant selon divers critères, d’ailleurs discutables (l’âge de la victime par exemple).

21 La préférence donnée, dans le sujet de thèse, à la notion d’impacts sur celle de dommages, s’explique pour cette raison précisément, du fait de ces implicites sémantiques et méthodologiques : les dommages sont trop généralement compris dans un sens restrictif, à l’inverse de la notion d’impacts. Il faut toutefois remarquer que la littérature peine généralement à faire la distinction entre impacts et dommages (Torterotot, 1993).

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un territoire donné), ou sectoriel : en calculant les dommages sur les entreprises, sur le secteur agricole (Brémond et al., 2013), sur l’habitat (Torterotot, 1993). Les modèles sont généralement développés en trois temps (Bubeck et Kreibich, 2011 ; de Moel et al., 2015 ; Eleuterio et al., 2008 ; Grünthal et al., 2006) : (1) avec une classification des enjeux, (2) une analyse d’exposition, (3) une analyse de susceptibilité – vulnérabilité par le biais de fonctions de dommages. L’agrégation des analyses d’exposition et de susceptibilité permet d’obtenir des résultats exprimés sous la forme de coûts monétaires.

(1) Les enjeux sont regroupés en classes homogènes, considérant qu’il est trop coûteux (sauf pour des modèles micro-scalaires) de prendre chaque objet isolément. Cette classification se fonde généralement sur le critère de la vulnérabilité : on regroupe des enjeux également vulnérables. Le critère socio-économique et l’usage du sol peuvent aussi entrer en ligne de compte dans la classification des enjeux, en distinguant logements, enjeux agricoles, enjeux commerciaux, enjeux industriels, etc. Le modèle FLEMOps fait ainsi la distinction entre trois types de bâtiments (immeuble, maison isolée, maison mitoyenne) et deux types de qualité (bâtiment de faible ou moyenne qualité, bâtiment de qualité élevée) (Bubeck et Kreibich, 2011).

(2) L’analyse d’exposition a lieu sous SIG. Elle comprend deux volets : (a) une estimation du nombre, du type et de la valeur monétaire des enjeux (les méthodes sont variables, peuvent se fonder à l’échelle micro-scalaire sur le coût de construction ou de remplacement du bâti, à l’échelle macro-scalaire sur le capital brut agrégé des immobilisations d’une zone donnée) ; (b) un croisement des enjeux avec les paramètres de l’aléa (enveloppe géographique, intensité, période de retour) pour un scénario donné. Ces paramètres sont calculés par le biais de deux modèles (Gaume et al., 2000 ; Torterotot, 1993) : un modèle hydrologique (permettant de connaître la période de récurrence de la crue, le débit de pointe, la hauteur d’eau maximale sur une station de référence pour un scénario d’aléa donné), et un modèle hydraulique (permettant d’évaluer la surface inondée, la distribution des hauteurs d’eau et des durées de submersion).

(3) L’analyse de vulnérabilité repose sur des fonctions (ou courbes) de dommages, qui permettent de représenter la part de dommages attendus pour un enjeu donné selon un scénario d’aléa donné. Ces fonctions varient selon l’intensité de l’aléa (étendue, profondeur, durée de l’inondation, vitesse d’écoulement, rythme de montée des eaux, date de l’inondation, charge de l’eau) et la résistance des enjeux (nature du bâti, âge de construction, matériaux, nombre d’étages et nombre d’ouverture, état de maintenance, mesures de préparation et de protection, temps d’alerte) (Fedeski et Gwilliam, 2007 ; Hammond, 2014). Les inconnues sont cependant nombreuses dans la relation entre l’intensité et la résistance : en conséquence, nombre d’auteurs ne prennent en considération qu’un seul paramètre pour créer leur fonction de dommages, la hauteur d’eau (de Moel et al., 2015 ; El-Jabi et Rousselle, 1987 ; Hubert et Ledoux, 1999). La hauteur d’eau représente en effet le paramètre le plus significatif, causant au moins la moitié des dommages observables en cas d’inondation (Torterotot, 1993). Certains modèles font toutefois l’effort d’intégrer d’autres variables : le FLEMOps ou sa variante économique, le FLEMOcs, prennent ainsi en considération les mesures mises en œuvre pour protéger les bâtiments de la lame d’eau (Kreibich et al., 2010). Ces fonctions peuvent être estimées à partir d’enquêtes menées auprès d’experts de l’assurance et de l’ingénierie civile, ou dérivées à partir de données empiriques, d’évaluations menées a

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posteriori sur des événements passés : à voir par exemple la base de données HOWAS 21 regroupant 6000 cas d’endommagement observés (Bubeck et Kreibich, 2011). (4) Les résultats sont exprimés en coût relatif (% de la valeur détruite) ou en coût absolu

(valeur monétaire) (Huttenlau et al., 2010). La valeur obtenue peut être annualisée, en divisant le coût total par la durée de retour exprimée en années pour obtenir un coût annuel moyen (expected annual damage) (Eleuterio et al., 2008). C’est utile notamment pour comparer des événements de probabilités d’occurrence différentes, mais aussi dans le cadre d’analyses coûts-bénéfices préliminaires à la construction d’un ouvrage de protection.

3.2.3 Modèles alternatifs et incertitudes méthodologiques

Si les modèles mesurant les dommages directs sont les plus nombreux, certains ont aussi été développés pour mesurer les dommages indirects sur la production économique, liés à l’interruption de l’activité et des flux économiques. Les méthodes ici sont beaucoup plus diverses qu’en matière de dommages directs (Hammond, 2014) 22 : du fait des complexités

méthodologiques inhérentes à un tel exercice, certains auteurs adoptent une méthode empirique simple, consistant à estimer les dommages indirects à partir des dommages directs, en appliquant un coefficient ad hoc (considérant que les dommages indirects représentent une proportion fixe des dommages directs) (Eleuterio et al., 2008). Enfin, quelques modèles se sont attachés à estimer les dommages intangibles, en particulier les dommages sur la santé humaine (Jonkman, 2007 ; Jonkman et al., 2008). Ces modèles rencontrent de grandes difficultés pour quantifier ces dommages, pour des raisons épistémologiques : un dommage intangible n’est pas, par définition, monétisable (Hammond, 2014) !

Les incertitudes relatives à ces modèles d’endommagement sont multiples (Gaume et al., 2000) :

- Des incertitudes sur le calcul des paramètres de l’aléa : la courbe de tarage, la fréquence de retour, les seuils de débordement et de rupture de digue, l’effet des barrages- réservoirs le cas échéant.

- Des incertitudes sur l’information socio-économique : la représentation simplifiée de l’occupation des sols, la valeur des enjeux exposés, les fonctions de dommages en enfin. Les études rétrospectives menées pour estimer les dommages matériels, sur lesquelles se fondent généralement les courbes de dommages, sont en effet soumises à de fortes incertitudes : à titre d’exemple, dans les estimations des dommages provoqués par les crues de la Somme en 2001, il y a un rapport de 1 à 3 dans le montant global estimé des dommages selon les sources (Grelot, 2009).

- Des incertitudes enfin variables selon l’échelle d’analyse : les analyses micro-scalaires peuvent mobiliser des données plus précises, réduisant certaines sources d’incertitudes, à l’inverse des analyses macro-scalaires, qui présentent de leur côté l’avantage d’être mobilisables sur des terrains variés et sur des échelles géographiques beaucoup plus larges, comme l’illustrent par exemple Eleuterio et al. (2008). Ces derniers comparent, dans une analyse de sensibilité, quatre méthodes pour évaluer l’endommagement direct d’une inondation sur des bâtiments. Ces méthodes varient par leur précision, les plus

22 Le chapitre 4, portant sur l’après-crise, permet de revenir sur les modèles portant sur les impacts et dommages économiques : modèles linéaires, modèles économétriques, modèles Input-Output, modèles d’équilibre général calculable, etc.

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grossières ne reposant que sur des bases de données existantes, les plus précises sur des enquêtes de terrain pour évaluer la vulnérabilité du bâti.

Ces modèles d’endommagement, nombreux, sont parfois repris pour le développement d’indices de vulnérabilité (Carreno et al., 2009), un autre volet majeur des études géographiques dans le domaine des risques.

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