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VULNERABILITE A LA CATASTROPHE

2.3 D U RISQUE A LA CATASTROPHE

Le risque est une fiction : c’est un potentiel en attente de se réaliser (Dauphiné et Provitolo, 2013). La réalisation du risque, du fait de l’occurrence de l’aléa sur un espace vulnérable, produit la crise, le désastre, la catastrophe : du point de vue des autorités politiques, la gestion des risques laisse alors place à la gestion de crise (et post-crise). Au-delà des différences abordées plus loin, crise, désastre, catastrophe sont des termes qui désignent tous un événement borné sur un plan spatial et temporel, avec des conséquences négatives (endommagement) sur la société ou des agents de cette dernière, ou sur l’environnement.

2.3.1 La crise

Dans les définitions de la crise, celle retenue par Gotham et Greenberg (2014) apparaît particulièrement pertinente pour notre propre cas d’étude. Ces deux auteurs s’interrogent sur les catastrophes de la Nouvelle-Orléans, en 2005, et de New York en 2001 (attentats du WTC) : ils mettent en évidence le rôle des crises pour promouvoir l’idéologie libérale dans les politiques de développement urbain (crisis driven urbanization), et, en retour, l’emprise de l’idéologie libérale dans les politiques de reconstruction post-crise, avec un accent mis sur le recours au privé et un effacement du secteur public dans la reconstruction de ces deux villes. Ces choix de gestion ont pour conséquence de reproduire et d’intensifier les inégalités spatiales et sociales dans le développement urbain, inégalités qui favorisent l’émergence de nouvelles crises. De ce fait, d’après ces auteurs, la crise peut être abordée de deux façons : (1) la crise est d’abord une période de rupture historique. Cette rupture est causée par l’incapacité à faire face rapidement à l’occurrence d’une catastrophe, par des dommages qui s’éternisent sur le temps long sans se résorber. Cette rupture appelle à des interventions politiques, tout en les justifiant. D’un point de vue épistémologique, la crise vient du grec Krisis – « décision » : une crise appelle donc à la décision et à l’exercice de l’autorité, de l’autorité publique en particulier ; elle

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donne l’occasion aux autorités d’accroître leurs prérogatives. A New York comme à la Nouvelle-Orléans, la crise donne l’occasion aux acteurs politiques, locaux et fédéraux, de justifier des choix de gestion libéraux, de profiter de l’incertitude sociale et du chaos post- catastrophe pour intégrer et imposer ces choix dans les politiques de reconstruction. (2) La crise n’est de ce fait pas qu’une suite d’événements factuels ; elle se constitue aussi de représentations et de discours. Ce sont ces derniers qui permettent de justifier et de reproduire des idéologies et des structures de pouvoirs. Une situation de crise appelle à la création d’un discours autour de « l’état d’urgence » : ce discours permet d’identifier des causes, des coupables, des zones d’impact, des victimes, à partir de catégories morales d’inclusion, ou d’exclusion, qui permettent de légitimer les structures de pouvoir (Gotham et Greenberg, 2014).

La crise peut prendre de multiples formes. La crise peut avoir lieu à différentes échelles (internationale, nationale, locale, organisationnelle – une crise peut concerner le système- monde comme une seule entreprise) et de fait affecter des acteurs très variables. La crise peut être provoquée par des aléas de diverses natures : politique, technologique, naturel. Une crise comprend trois caractéristiques : la mise en péril des objectifs prioritaires du système ; le manque de temps pour remédier aux problèmes qui se font jour du fait de la crise ; le caractère inattendu ou non anticipé de cette dernière (Rochet et al., 2008).

2.3.2 Désastres et catastrophes

La crise est indissociable de la catastrophe, qui la provoque. Un désastre, ou une catastrophe, ne se limite pas à l’occurrence de l’aléa : ce dernier n’est que le facteur déclencheur. Le désastre est défini par Aldrich (2012) comme un événement qui suspend la vie quotidienne, et entraîne des dommages sévères à l’échelle d’un territoire. Désastres et catastrophes sont des termes souvent synonymes : certains auteurs mettent toutefois en avant une différence quantitative et qualitative entre les premiers et les seconds, notamment Quarantelli (2006). Ce dernier établit une hiérarchie entre les urgences quotidiennes (everyday emergencies), les désastres (disasters), les catastrophes (catastrophes) :

- Un désastre apparaît qualitativement différent d’une simple urgence quotidienne, en particulier à l’échelle des organisations (administrations, associations, entreprises) : en cas de désastre, les interactions entre le secteur public et privé sont beaucoup plus étroites, en lien avec un besoin fort de mobilisation de ressources (qui nécessite des réquisitions par le public du privé) ; des ajustements ont lieu au sein des organisations face à une perte d’autonomie et de liberté d’action (les organisations, les individus doivent se mettre aux ordres d’entités sociales qui peuvent ne pas même exister à l’échelle du quotidien, doivent aussi se mettre au service de besoins nouveaux, et de valeurs nouvelles, qui émergent en temps de crise et qui prennent le pas sur les valeurs et besoins du quotidien).

- Une catastrophe diffère également du désastre, à l’échelle organisationnelle, territoriale, et sociétale. Dans l’hypothèse d’une catastrophe : (1) La majorité des structures bâties d’une collectivité est lourdement impactée, forçant de nombreuses personnes à chercher refuge ailleurs chez des proches ; la destruction du bâti concerne non seulement la société civile, mais aussi les bases et infrastructures opérationnelles utilisées par les organisations de secours même ! (2) Les autorités locales (mais aussi les entreprises) ne sont plus à même de jouer leur rôle habituel, ce qui ralentit la reconstruction. (3) L’aide venant des collectivités adjacentes est indisponible, du fait que ces collectivités sont

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elles-mêmes affectées. Les catastrophes affectent de multiples collectivités, ont une échelle géographique plus large ; à l’inverse, pendant un désastre, la collectivité touchée peut compter sur une convergence de moyens massive pour faire face. (4) La plupart des fonctions collectives quotidiennes (écoles, travail, etc.) sont interrompues de façon concomitante. (5) Les médias de masse contribuent à construire les représentations sociales de la catastrophe, par une présence bien plus marquée que pendant un désastre. (6) La sphère politique prend une importance bien plus importante, du fait des facteurs précédents.

- Aldrich (2012) rajoute une quatrième catégorie, celle de la super-catastrophe (megacastrophe), qui est un désastre entraînant la destruction de milliers de structures bâties résidentielles et commerciales, ou le décès d’au moins 1000 personnes.

2.3.3 Apports de l’état de l’art

Pour conclure, les apports de la littérature portant sur le risque et la vulnérabilité sont indispensables dans le cadre d’une étude portant sur les impacts sociaux d’une inondation dans la région francilienne, en ce qu’ils permettent de préciser les termes de nos problématiques de thèse, et l’approche conceptuelle envisagée. Le modèle de Cutter, mettant l’accent sur le caractère spatialisé du risque et ses spécificités géographiques, apparaît comme l’un des plus pertinents. Toutefois, la conduite de la thèse nécessite de mobiliser les deux approches : par la vulnérabilité biophysique et par la vulnérabilité sociale. La vulnérabilité biophysique permet de mettre en avant le rôle fondamental de l’exposition vis-à-vis de l’aléa. La thèse est l’occasion d’identifier des zones à évacuer et des zones à reconstruire ; or, ces dernières varient selon l’exposition à l’inondation. Toutefois, la vulnérabilité biophysique est insuffisante pour expliquer pourquoi, au sein d’une population donnée, certains ménages ont tendance plus que d’autres à faire appel à l’hébergement collectif ; pourquoi, au sein d’une zone sinistrée, certains quartiers se reconstruisent à un rythme plus élevé que d’autres, pourquoi certaines communes périclitent et d’autres gagnent en attractivité. La vulnérabilité sociale, en particulier les causes profondes et les pressions dynamiques exposées par le modèle PAR, donne des clés d’explication à ces phénomènes.

Cet état de l’art permet aussi de mettre en évidence la spécificité de notre cas d’étude. A ce titre, l’accroissement de la vulnérabilité, observé à l’échelle mondiale du fait des dynamiques démographiques et urbaines, peut aussi être constaté sur notre terrain de recherche. Certes, une inondation francilienne de grande ampleur n’aurait pas les conséquences d’un vaste séisme dans l’agglomération tokyoïte. C’est toutefois un des scénarios de risque les plus dévastateurs à l’échelle nationale et européenne, et non pas tant pour ses conséquences économiques que pour ses conséquences sociales : le nombre de personnes à évacuer, l’ampleur des destructions territoriales. Ainsi, une inondation francilienne majeure pourrait représenter une crise d’ampleur quasi-inédite à l’échelle française. Cette crise serait provoquée par l’occurrence non seulement de l’aléa (la montée et la stagnation sur plusieurs semaines des eaux), mais surtout par ses conséquences multiples sur un territoire densément peuplé : provoquant, non pas une urgence à traiter, ni même un désastre d’ampleur moyenne19, mais bien une catastrophe voire

19 La crue de juin 2016 peut s’inscrire dans la catégorie du désastre d’ampleur moyenne : un événement qui sort certes du quotidien, qui a des conséquences sur la vie des populations sinistrées, mais qui a un impact local et ne remet pas en cause le fonctionnement routinier de la société. Notre étude porte sur la méga-catastrophe que constituerait une crue centennale ou supra-centennale.

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une super-catastrophe entraînant l’évacuation de centaines de milliers (voire de millions) de personnes sur plusieurs semaines et la destruction ou l’endommagement de dizaines (ou plutôt de centaines) de milliers de logements. C’est l’occasion de définir la dernière expression non explicitée de notre sujet, l’inondation majeure : il n’existe pas d’échelles de classification standardisée pour caractériser l’intensité d’une inondation et de ses impacts, de sorte qu’une inondation majeure peut définir en effet des événements d’ampleur très variable selon les auteurs (Boudou, 2015). Dans cette thèse, une inondation majeure doit être comprise comme une inondation provoquant l’occurrence de la catastrophe dans la région francilienne, entraînant des dommages dépassant très largement les moyens disponibles à l’échelle régionale mais aussi nationale.

3 LES METHODES DEVALUATION DU RISQUE

Le risque est une notion performative, qui appelle à la prise de décision (Cardona, 2003) : les études de risque, comme celle proposée par cette thèse, visent donc à appuyer les gestionnaires et autorités responsables dans la gestion du risque. Après un historique très succinct des études de risque, deux grandes orientations méthodologiques issues de la littérature sont approfondies : d’une part les modèles d’endommagement appliqués au cas spécifique des inondations, d’autre part le développement d’indices de vulnérabilité.

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