Dynamiques territoriales et organisations sociales dans le Périsalar de l’Altiplano Sud
Carte 9 : Taux net de migration interne en Bolivie (1996‐2001)
Carte 9 : Taux net de migration interne en Bolivie (1996‐2001)
Source : recensement INE, 2001. Extrait de Cortes, 2008. Réalisation S. Coursière.
Dans notre zone dʹétude, les taux annuel net de migration (Figure 11) sont négatifs pour tous les municipes du Périsalar, excepté pour celui de Santuario de Quillacas. Des taux négatifs particulièrement élevés (plus de 10%, pouvant aller jusqu’à 27%) sont lisibles dans certains municipes, en particulier pour ceux en position très périphériques à l’ouest et au sud du salar d’Uyuni. Cela signifie donc que ces municipes « expulsent » plus de population qu’ils n’en reçoivent. Par ailleurs, nous avons vu que la croissance démographique entre les deux derniers recensements était positive, ce qui signifie qu’elle serait uniquement dû à l’accroissement naturel.
données de recensement, l’intensité des mouvements migratoires dans cette région avec des taux d’émigration, pour les années 1990‐2000, particulièrement élevés. Ces tendances sont à mettre en rapport, de toute évidence, avec les réalités économiques et sociales de cette région périphérique de la Bolivie.
2.3. Difficultés et vulnérabilités d’une région à dominante agricole
2.3.1. Une économie locale basée sur l’activité agricole et pastorale
Le recensement de 2001, à l’échelle de la Bolivie, indique que 45% de la population active travaille dans le secteur primaire, 14% dans le secteur secondaire et 40% dans le secteur tertiaire (Tableau 12). Le pourcentage relatif du secteur primaire est étonnamment élevé au regard de la part de la population urbaine qui s’élève à 62,4%29. Ces données traduisent l’importance de l’activité agricole encore largement dominante, et parfois exclusive, dans les espaces ruraux boliviens.
Ce schéma est celui de la région du Périsalar, dont la base de l’économie locale est le secteur primaire, principalement l’agriculture et l’élevage. La diversification des activités au niveau local est très peu marquée, limitée aux activités minières et touristiques (cette dernière concernant surtout le sud du salar), auquel on peut rajouter l’extraction de sel mais qui reste très marginale. Si la région est riche en ressources minières, celles‐ci sont exploitées cycliquement, et selon les cours du marché. La région est restée à l’écart du développement industriel qui est au demeurant, assez faible en Bolivie, tandis que les commerces et les services restent très concentrés dans quelques bourgs ruraux ou dans la ville d’Uyuni.
Les données statistiques du recensement de 2001 sur l’emploi, c’est à dire sur le secteur de l’activité principale déclarée par les individus30, confirment cette caractéristique. Précisons cependant que les données sont d’usage limité du fait d’une part considérable de « sans réponse » variant de 41 à 73% selon les municipes. Quoiqu’il en soit, que l’on tienne compte ou
Agustín Colcha "K" Uyuni Llica San Pedro de Q
TMN 5,72 ‐4,69 ‐8,25 ‐8,3 ‐13,26 ‐13,93 ‐15,23 ‐19,79 ‐27,83
‐30
pas de ces « sans réponse », la distribution des municipes par ordre d’importance du secteur d’activité reste identique. Le Tableau 13 montre, sans surprise, la prédominance du secteur primaire pour l’ensemble des municipes sauf pour celui d’Uyuni où le secteur tertiaire arrive logiquement en première position (emplois dans les services et l’administration dans la ville d’Uyuni). Notons, cependant, un gradient spatial de l’importance du secteur primaire. Les municipes frontaliers (San Pedro de Quemes, Llica) et ceux de la partie sud (San Augustin, Colcha ʺKʺ) indiquent un secteur tertiaire plus important (entre 21% et 36% de la population active). Nous retrouvons ici les quatre municipes où les conditions climatiques sont les plus extrêmes, limitant fortement l’activité agricole. Le municipe de San Pedro de Quemes est tourné vers le commerce transfrontalier avec les Chili alors que la tertiarisation de l’économie dans le municipe de Llica est liée à la présence d’un grand centre éducatif (École Normale). Dans les municipes de Colcha ʺKʺ et San Agustín, c’est l’activité touristique qui explique la relative importance du secteur tertiaire. Effectif % Effectif % Effectif %
Tahua 1013 842 83,1 35 3,5 136 13,4
Salinas de Garcí Mendoza 4261 3455 81,1 134 3,1 672 15,8
Pampa Aullagas 1265 929 73,4 87 6,9 249 19,7
San Agustín 367 264 71,9 20 5,4 83 22,6
Santuario de Quillacas 1446 1035 71,6 81 5,6 330 22,8
Colcha ʺKʺ 3173 2218 69,9 286 9,0 669 21,1
Llica 1153 766 66,4 52 4,5 335 29,1
San Pedro de Quemes 267 157 58,8 15 5,6 95 35,6
Uyuni 6419 2655 41,4 699 10,9 3065 47,7
Source : INE, recensement 2001.
Le problème majeur des statistiques ici considérées réside dans le fait que les individus ne déclarent qu’une seule activité : leur activité principale. Ces données ne captent donc pas la pluriactivité des individus et le secteur de ces différentes activités. Selon H. Guétat‐Bernard (1998 : 261) : « L’une des faiblesses des études statistiques est de sous‐estimer l’ensemble des occupations et des types d’emplois des individus et des ménages, pour ne privilégier, pour chacun, qu’un type majeur.
[...] Les estimations des recensements sur la population active engagée selon les types d’activités économiques proposent souvent une classification des travailleurs selon leur secteur principal d’emploi, classification qui, inévitablement sous‐estime l’ampleur de la pluriactivité ».
Pour la population de l’Altiplano Sud, la pluriactivité est une réalité ancienne qui se poursuit aujourd’hui (Molina Rivero, 1986 ; Laguna, 2003 ; Parnaudeau, 2006 ; Gasselin, 2009 ; Vassas et Vieira Pak, 2010), tout comme plus largement dans les Andes (Altamirano, 1992 ; Zoomers, 1998, 2002 ; Spedding et Llanos, 1999 ; Alber, 2005). La population pratique la pluriactivité pluri‐localisée, ce qui signifie que si l’économie locale est quasi exclusivement basée sur l’agriculture et l’élevage, l’économie familiale est, elle, plus diversifiée. Il n’est d’ailleurs pas certain que l’agriculture locale soit l’activité principale, que ce soit en termes de temps de travail ou de revenus, puisque la plupart des individus vont chercher des revenus en dehors de leur communauté de résidence comme salariés dans l’agriculture, la construction, le commerce ou encore le service domestique pour les femmes. Cette question de la pluriactivité sera largement part de sa population se trouvant en situation de pauvreté. La Carte 10 indique la part de la population qui vit en dessous du seuil de pauvreté31, par municipe.
À l’exception de cinq municipes de l’extrême nord du pays, les poches d’extrême pauvreté se situent dans les municipes à dominante rurale et dans la zone andine, en particulier sur les hautes terres. Les zones les plus pénalisées concernent la région du Nord Potosi, les secteurs frontaliers avec le Pérou à l’ouest et ceux avec l’Argentine et le Chili à l’extrême sud‐ouest du pays, ainsi que les campagnes de l’Altiplano au sud de La Paz.
Si nous observons l’évolution de cette donnée depuis 1992 pour la population rurale (figure 12), nous constatons qu’à l’échelle nationale la part de la population en situation de non pauvreté a augmenté de 4,5% entre 1992 et 2001 (9,2% contre 4,7%). Selon les catégories de l’INE, la diminution de la part de la population en situation de « marginalité » et d’« indigence » s’est faite au profit de la « pauvreté modérée ». Ainsi, si les niveaux de pauvreté se sont atténués, ils de logement et d’accès aux services (eau, santé, électricité, éducation) ne permettent pas de satisfaire les besoins élémentaires selon une norme minimale prédéfinie. G. Cortes (2008) indique que les données des enquêtes ménages (base MECOVI Amélioration des enquêtes et de la mesure des conditions de vie en Amérique latine et Caraïbes‐CEPAL/BID/Banque mondiale), plus complètes puisqu’elles intègrent aussi dans le calcul les niveaux de revenus et de consommation, ne font pas varier la configuration générale de l’incidence de pauvreté dans le pays.