Une approche des mobilités par les trajectoires de vie
Carte 13 : Aire des destinations migratoires des 139 individus enquêtés dans cinq communautés de l’Altiplano Sud (selon le nombre de citations du lieu entre 1934 et 2008)
originaires des autres régions de Bolivie (Benencia et Karasik, 1995 ; Cortes, 2008 ; Sassone, 2008). Autrement dit, sur l’Altiplano Sud, la migration internationale se cantonne à ces deux pays frontaliers et, qui plus est, aux espaces à proximité du haut plateau bolivien.
Carte 13 : Aire des destinations migratoires des 139 individus enquêtés dans cinq communautés de l’Altiplano Sud (selon le nombre de citations du lieu entre 1934 et 2008)
Source : A. Vassas Toral, enquêtes par entretiens 2007/2008. Réalisation S. Coursière, 2010.
La carte montre une aire globale des destinations migratoires relativement étendue, avec une dispersion des destinations dans 86 localités. Trois échelles de destinations se dégagent : l’échelle régionale, nationale et internationale.
Ainsi, les logiques de proximité, et donc le rapport à la distance‐temps, déterminent les effets de polarisation migratoire et l’aire spatiale des destinations. Cette tendance est confirmée par le fait que l’échelle régionale (départements d’Oruro et Potosi) regroupe 53% des destinations alors que les échelles nationales et internationales représentent respectivement 22% et 25% des destinations.
L’analyse peut être complétée par la prise en compte de l’autre indicateur, à savoir les lieux pratiqués au moins une fois par les individus au cours de leur trajectoire. Parmi les 86 lieux cités, nous retenons ici les destinations les plus récurrentes, c’est‐à‐dire celles qui sont pratiquées par au moins 5% des individus de l’échantillon (tableau 29). Si l’ordre d’importance des pôles migratoires ne change pas, 19 localités au total sont citées par plus de 5% des migrants, et une seule (Uyuni) par plus de 30% des migrants.
Tableau 29 : Principales destinations migratoires citées au moins une fois dans la trajectoire des individus migrants (en % des 139 individus migrants)
Localisation Caractère Destination % d’individus ayant cité le lieu
La géographie migratoire des populations de l’Altiplano Sud, cependant, ne prend pas les mêmes configurations pour les cinq communautés d’étude. Comme pour les temporalités migratoires, leur localisation spatiale apparaît comme un facteur de variabilité des aires des destinations. Pour chaque communauté, celles‐ci sont représentées dans les cartes suivantes, selon le critère du nombre d’événements de mobilité pour chaque lieu.
La communauté de San Juan se distingue des autres par l’importance des destinations internationales puisque 77% des individus ont migré vers l’étranger contre 65% vers des destinations régionales et seulement 22% à l’échelle nationale (voir en annexe 17 l’aire
d’extension des destinations migratoires des individus migrants). La communauté, en effet, située au sud en position frontalière, est fortement tournée vers la façade pacifique, à savoir le Chili (carte 14). En termes de distance‐temps, la ville chilienne de Calama est plus accessible que les centres urbains d’Oruro et, a fortiori de La Paz. Par ailleurs, dans cette région des confins occidentaux de la Bolivie, les traditions d’échanges économiques, sociaux et culturels avec le littoral chilien, province bolivienne jusqu’à la fin du XIXe siècle, sont très anciennes. Parmi les cinq communautés étudiées, c’est aussi celle où la migration vers l’Argentine est la plus prégnante (Buenos Aires et Mendoza) même si, depuis la crise économique qui a frappé ce pays en 2001, les flux migratoires se sont réorientés vers le Chili ou les proches localités boliviennes.
L’aire des destinations migratoires de Palaya (carte 15), communauté située le plus à l’ouest de notre zone d’étude, également en position frontalière avec le Chili, est orientée vers deux axes.
À l’échelle régionale, qui reste l’aire préférentielle des flux migratoires pour 83% des migrants (contre 28% hors de la région et 39% à l’étranger), la localité très proche de Llica et celles du département de Potosi (Uyuni, Tupiza) constituent des pôles migratoires privilégiés. Cette tendance est liée au fait que cette zone en Bolivie a bénéficié très tôt d’une politique d’éducation et, donc, plusieurs membres de la communauté de Palaya sont des professeurs ruraux qui partent résider sur leur lieu de travail, soit dans le bourg de Llica, soit dans des zones rurales un peu plus éloignées. Le deuxième axe de polarisation, tout comme la communauté de San Juan, est le Chili où les populations depuis longtemps partent travailler, notamment dans le secteur agricole de l’oasis de Pica ou bien à Iquique. Enfin, de par sa position la plus extrême à l’ouest de l’Altiplano Sud, Palaya est la seule communauté où aucun migrant n’a cité l’Argentine comme lieu de destination.
Les communautés de Chilalo et d’Otuyo (cartes 16 et 17), dans la zone Intersalar, ont en commun d’avoir une extension plus restreinte de leur aire de destinations migratoires puisque ce sont celles où la migration internationale est la moins représentée (respectivement 29% et 12% des migrants ont une expérience migratoire à l’étranger). Chilalo est la communauté dont l’extension de l’aire migratoire en Bolivie est la plus réduite (84% des migrants ont migré à l’échelle régionale contre 45% en dehors de la région), et en particulier dans des localités relativement proches d’Uyuni, Atocha ou Oruro. L’aire des migrations à Otuyo, à l’inverse, a une extension plus élargie en Bolivie (56% des migrants ont migré dans la région et 80% en dehors), avec des flux préférentiels vers la ville de La Paz. Comme l’indique la carte 15, le Chili devient une destination attractive depuis les dernières années pour la communauté de Chilalo, depuis qu’une nouvelle filière s’est mise en place avec l’installation d’un membre de la communauté dans la ville d’Iquique.
Adoptant une configuration très différente des précédentes, l’aire de destinations des migrants de Candelaria (carte 18) est très dispersée, surtout à l’échelle régionale (85% des migrants ont expérience migratoire à cette échelle contre 52% hors de la région et 40% à l’étranger). Les populations de Candelaria sont des mineurs de longue date et, de fait, la configuration spatiale de leurs trajectoires de mobilité résidentielle suit les contours de la géographie minière du pays, notamment dans les départements d’Oruro et Potosi. Notons également la polarisation sur les centres urbains de Cochabamba ou encore les plaines tropicales, correspondant à des mineurs relocalisés qui ont participé à la colonisation agricole de l’Oriente dans les années 1960, phénomène qui a drainé une partie des populations boliviennes vers les plaines de l’est de l’Alto Béni et de Santa Cruz (CODEPO, 2004 ; Blanchard, 2005). Il faut rappeler aussi que cette communauté rurale bénéficie d’une plus grande proximité aux axes de circulation.
Le nombre total de destinations citées par communauté, reflet du degré de dispersion des migrants, est ainsi fort variable puisqu’il est compris entre 17 destinations à Otuyo et 43 à Candelaria.
Carte 14 : Destinations migratoires entre 1955 et 2008 des migrants de San Juan