• Aucun résultat trouvé

Conjonctures et conjonctions du boom de la quinoa

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 100-103)

Le bouleversement des systèmes agraires   lié au boom de la quinoa

Encadré 4  : Quinoas ‐ Altiplano Sud

3.1.1.  Conjonctures et conjonctions du boom de la quinoa

Les processus du changement dans la région de lʹAltiplano sud relèvent d’un faisceau de  facteurs à la fois exogènes et endogènes, de nature tant économique que sociale ou écologique. 

C’est la  conjonction  de ces  divers  facteurs  ‐ pour  certains  cernés  au travers de  données  objectives, pour d’autres repérés dans la parole des acteurs ‐ qu’il s’agit ici d’expliciter comme  préalable à la compréhension des transformations nées du boom de la quinoa, elles mêmes liées  à l’organisation en amont et en aval du marché et de la filière.  

3.1.1.1. Les prémices du changement 

Le réchauffement climatique est apparu comme une donnée récurrente dans le discours des  paysans,  même  si  elle  peut  être  formulée  autrement  ou  indirectement.  L’ensemble  des  producteurs interrogés sʹaccordent sur le fait quʹil est désormais possible de cultiver des plaines  qui étaient autrefois gélives. Cela ne signifie pas qu’elles sont exemptes de gelées, comme le  montrent  Pouteau  et al.  (2011),  mais  le risque a  suffisamment diminué  et  le  marché  est  suffisamment porteur pour que la production agricole devienne économiquement viable. 

Un autre facteur, d’ordre social cette fois, renvoie au célèbre slogan de la révolution nationale  de 1952 : « la terre appartient à celui qui la travaille ». Si la réforme agraire nʹa pas eu de  répercussion dans cette région de Bolivie, et nʹa pas influencé les organisations paysannes non  plus, il apparaît que ce mot dʹordre a eu un retentissement suffisant pour justifier un nouveau  mode d’accès aux ressources. 

Un troisième fait de grande importance tient à la mécanisation généralisée de la zone, lʹarrivée  des premiers tracteurs datant de la fin des années 1960. Dans cette région, le travail agricole  était jusque là entièrement réalisé à la main. Or lʹintroduction du tracteur, qu’il ait été importé  par des étrangers via des organisations non gouvernementales comme dans le sud du salar,  acheté par des coopératives locales avec un financement national comme dans la zone inter‐

salar, ou encore introduit par les migrants eux‐mêmes au terme d’un processus d’accumulation,  parfois lié à une période de migration à l’étranger (Laguna, 2003), révolutionne les systèmes  productifs agricoles et démultiplie la puissance de travail. La mécanisation de la culture sʹest  faite en deux temps puisque le tracteur est arrivé simplement équipé de charrues à disques,  utilisable pour le défrichage et le labour. C’est seulement dans le milieu des années 1980 que le  semoir mécanique a été mis au point, utilisé pour le semis cette fois. 

Enfin,  il  convient  de  ne  pas  négliger  dans  ce  processus  de  changement,  le  rôle  du  développement des voies de communication et des moyens de transport. L’amélioration des  infrastructures, fortement liée aux évolutions économiques et politiques du pays au cours des  deux dernières décennies (éducation, décentralisation, politiques d’aménagement), a ouvert la  porte à une circulation plus aisée des marchandises et des populations. 

3.1.1.2. Croissance de la demande et organisation de la filière quinoa 

La demande de quinoa bolivienne est d’abord venue du Pérou voisin qui, depuis plusieurs  décennies, en est le premier consommateur (Laguna, 2002). En effet, suite à une politique  nationale d’encouragement à la consommation de quinoa, la production du Pérou s’avèrera  insuffisante pour couvrir les besoins du pays. Dans un deuxième temps, la promotion de la  quinoa comme aliment de qualité (notamment par la FAO), équilibré et riche en protéines, fait  émerger une nouvelle demande venant des États‐Unis, du Japon puis dʹEurope de lʹOuest, ce  qui permet à la graine de franchir les océans pour alimenter le marché des pays du Nord à  partir de 1986, date de la première exportation officielle (Carimentrand, 2008). Mais cʹest la mise 

en place de la filière de quinoa certifiée « biologique » en 1991 qui va véritablement impulser un  marché  extrarégional,  renforcé  ensuite  par  le  développement  de  la  filière  du  commerce  équitable à partir de 2005 (Laguna et al., 2006). Le Pérou restant, en dehors de ces filières de  qualité, le premier importateur de quinoa bolivienne. 

Le volume d’exportation officiel est passé de 1 400 tonnes en 1995 à 15 558 tonnes en 2010 pour  une valeur de 47 millions de dollars (INE, 2011). À ces volumes, s’ajoutent les exportations vers  le Pérou effectuées sans déclaration dʹexportation (selon les estimations, ces volumes seraient  très importants).  L’augmentation de la demande en  quinoa  sʹest traduite par  une hausse  considérable des prix de vente : si dans les années 1970 les conditions dʹéchange dans la région  étaient de deux quintaux44 de quinoa pour un quintal de farine de blé, en 2008 un quintal de  quinoa est vendu lʹéquivalent dʹun salaire mensuel minimum en Bolivie (70 USD), soit deux  quintaux de farine. La figure 15 montre lʹévolution des prix en dollars par tonne entre 1963 et  2010 et fait ressortir les fluctuations interannuelles des prix et, surtout, leur hausse fulgurante  depuis 2005 et le doublement du prix de vente entre la campagne 2007 et celle de 2008. Ce prix 

Source : Laguna com. pers. de 1963 à 1983 ; Laguna 2003 de 1984 à 2001 ; Fundación Autapo 2009 de 2002 à  2008 ; données du marché de Challapata pour 2009 et 2010. 

Le  réseau  de  production  et  de  commercialisation  s’est  progressivement  organisé.  Deux  organisations de producteurs ont été créées pour lʹappui à la production et la promotion de  quinoa (assistance technique et commercialisation). La  CECAOT (Central de Cooperativas  Agropecuarias Operación Tierra) créée en 1974 compte en 2008 sept centres régionaux. De son  côté ANAPQUI (Asociación Nacional de Productores de Quinua), créée en 1983, compte en  2008 treize groupements, soit environ 1 600 producteurs au total pour les deux organisations. 

Ces organisations de producteurs exportent seulement de la quinoa certifiée biologique. À  partir  des  années  1990,  des  entreprises  privées  sʹintéressent  également  au  commerce  de  quinoa45

Ainsi, alors qu’autrefois les acheteurs venaient dans les communautés pour troquer la quinoa  contre des produits de consommation courante, les producteurs d’aujourd’hui ont plusieurs  moyens de vendre leur production. Ils peuvent, s’ils produisent de la quinoa biologique en  suivant  un  cahier  des  charges  de  production,  être  membres  d’une  coopérative ou  d’une  association  (organisations  de  producteurs),  auquel  cas  leur  production  y  est  directement  acheminée. L’autre possibilité est de vendre à une société privée (de façon individuelle ou  regroupée), impliquant ou non un mode de contractualisation. Certains producteurs optent  pour une vente directe sur le marché de Challapata ou à un intermédiaire de la communauté  (soit contre des marchandises, soit contre de l’argent). Les modalités de commercialisation  diffèrent toutefois selon les communautés. Historiquement, le processus de développement de  la quinoa d’exportation a conduit à la formation de coopératives et d’associations dans certaines  communautés que l’on peut dire pionnières, situées notamment dans les municipes de Salinas,  Llica et Colcha ʺKʺ. Dans d’autres communautés, la création de coopératives est très récente, ou  encore  absente.  La  proximité  géographique  de  Challapata,  seul  marché  local  où  est  commercialisée la quinoa conventionnelle (non certifiée biologique), joue un rôle également  important. L’éloignement, notamment pour les producteurs des communautés rurales de la  zone sud du salar, empêche la vente directe sur ce marché. 

3.1.1.3. Évolution des superficies cultivées et de la production 

Grâce à la mécanisation, le besoin de main‐dʹœuvre à lʹhectare est beaucoup moins important  quʹauparavant. De fait, les superficies cultivées par exploitation augmentent de façon très  significative, en réponse à la hausse de la demande. La croissance de la production est donc liée  beaucoup plus à une extensification de l’agriculture qu’à une logique d’intensification puisque  c’est l’augmentation des surfaces cultivées qui permet de suivre la demande en quinoa et non  l’amélioration  des  rendements.  Lʹespace  cultivable  nʹétant  pas  infini,  cette  dynamique  dʹextension rencontre aujourdʹhui ses propres limites. 

Les  deux  graphiques suivants (figures 16  et  17) montrent  lʹaugmentation  des superficies  cultivées en quinoa ainsi que la production pour lʹensemble de la Bolivie. P. Laguna (2002)  signale que, depuis la moitié des années 1980, les superficies cultivées ont essentiellement  augmenté sur les rives du salar d’Uyuni et que, depuis 1989, la production de cette région  représente plus de la moitié de la production nationale et de la superficie cultivée. Si la  superficie totale a plus que triplé en 40 ans, les écarts entre les zones sont importants. 

Figure 16 : Évolution de la superficie cultivée en quinoa en Bolivie de 1967 à 2008  

Source : FAO, 2011.   

0 10000 20000 30000 40000 50000

1967 1970 1973 1976 1979 1982 1985 1988 1991 1994 1997 2000 2003 2006 Superficie 

cultivée (ha)

.

Figure 17 : Évolution de la production de quinoa en Bolivie de 1967 à 2008 

  Source : FAO, 2011. 

Une autre source concernant l’augmentation des superficies cultivées permet d’affiner l’analyse. 

En effet, Jean‐Rémi Duprat a réalisé, dans le cadre d’un stage au sein du programme Equeco en  2008, une étude sur les changements d’usage des terres dans six communautés du Périsalar. La  méthode  a  été  basée  sur  l’interprétation  de  photographies  aériennes  de  1963,  d’images  satellitaires USGS de 1972, SPOT de 1990 et 1999 et CBERS de 2005, 2006 et 2008. La culture de  quinoa est très peu dense et la végétation naturelle reste basse et éparse lors des jachères courtes  (Joffre et Acho, 2008), ce qui empêche de les différencier par télédétection. Cʹest donc lʹensemble  du domaine agricole, incluant parcelles cultivées et parcelles en jachère, qui a été cartographié à  différentes dates. D’après cette étude, pour six communautés du Périsalar, les superficies  cultivées entre 1963 et 1972 ont augmenté de 63% et, entre 1963 et 2006, elles ont augmenté de  326% (figure 18). 

Figure 18 : Évolution de la superficie du domaine agricole de six   communautés du Périsalar, 1963, 1972 et 2006  

Source : Duprat, 2008.   

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 100-103)

Outline

Documents relatifs