Dynamiques territoriales et organisations sociales dans le Périsalar de l’Altiplano Sud
Encadré 1 : Paysages et végétation naturelle de l’Altiplano Sud
2.2. Les dynamiques de peuplement depuis 1950 : l’Altiplano Sud en déprise démographique ? démographique ?
Est‐ce que cette zone de la Bolivie, à l’écart de l’axe structurant de développement du pays (La Paz‐Cochabamba‐Santa Cruz), est en phase de dépeuplement ? Les villages « fantômes » que l’on traverse sur l’Altiplano Sud signalent‐ils une phase structurelle de dépeuplement ? Sont‐ils réellement déserts, à l’abandon ?
L’Altiplano Sud revêt l’image d’une région marquée, dans des proportions plus fortes que d’autres dans le pays, par un processus d’exode rural et de déprise démographique. A.
Spedding et D. Llanos (1999), pour le cas des vallées inter‐andines de Cochabamba, parlent de dépeuplement à partir des années 1970 tandis que W. C. Plata Quispe et al. (2002), dans une étude de l’Altiplano Nord, parlent de la désertion des campagnes à partir de 1952, lors de la révolution nationale bolivienne et de la réforme agraire qui a suivi. Enfin, E. Madrid Lara (1998) dans une étude de l’Altiplano Central situe également le déclenchement de l’exode rural à partir de cette même date mais note que la croissance de la ville d’Oruro a été déterminante dans cette phase d’émigration avec un gradient de distance à la ville (dès les années 1950 pour les communautés proches, seulement dans les années 1970 pour les communautés plus éloignées).
L’année 1952 est donc une date importante en Bolivie, avec de fortes répercutions sur la vie politique et sociale du pays, mais aussi sur son organisation spatiale, et notamment sur la distribution des foyers de peuplement. Par ailleurs, l’année 1950 est précisément la date d’un recensement national en Bolivie, à partir de laquelle nous pouvons saisir les évolutions démographiques et sociales.
Ainsi, pour traiter des dynamiques démographiques contemporaines de l’Altiplano Sud, nous mobilisons les données statistiques issues des différents recensements de population boliviens, avec une attention particulière portée au dernier recensement de 2001. Nos observations de terrain complèteront ce panorama par une analyse des formes d’habitat et des données de population à l’échelle des communautés étudiées.
2.2.1. Statistiques de la population par municipe de 1950 à 2001 : une très faible croissance
Les données statistiques relatives à l’évolution démographique de la Bolivie proviennent des recensements effectués par lʹINE (Instituto Nacional de Estadísticas) en 1950, 1976, 1992 et 2001.
À l’échelle nationale, les données indiquent, en premier lieu, un accroissement de 207% sur la période 1950‐2001, la population étant passée de 2 704 165 habitants en 1950 à 8 274 325 en 2001 (tableau 5).
Tableau 5 : Population totale de Bolivie (recensements de 1950, 1976, 1992 et 2001)
Recensement 1950 1976 1992 2001
Population 2 704 165 4 613 486 6 420 792 8 274 325 Source : INE, recensements 1950, 1976, 1992 et 2001.
Cependant, la croissance démographique est contrastée selon les départements et l’aire géographique rurale ou urbaine (figure 6). Nous observons que tous les départements ont eu, sur la période 1950‐2001, une forte ou très forte croissance de la population urbaine (sauf le Pando) tandis que l’accroissement de la population rurale est plus contrasté. En effet, dans les départements de Santa Cruz et Cochabamba, la croissance de la population rurale a été importante alors qu’elle est beaucoup plus faible dans le reste du pays. Les deux départements qui concernent notre étude (Oruro et Potosi) font partie de ceux ayant connu un accroissement démographique très faible sur la période 1950‐2001.
Figure 6 : Évolution de la population rurale et urbaine des départements boliviens lors des quatre derniers recensements nationaux (1950, 1976, 1992 et 2001)
Source : INE, recensements 1950, 1976, 1992 et 2001.
0 200 400 600 800 1 000 1 200 1 400 1 600
Pop. Urbaine Pop. rurale Pop. urbaine Pop. rurale Pop. urbaine Pop. rurale Pop. urbaine Pop. rurale Pop. urbaine Pop. rurale Pop. urbaine Pop. rurale Pop. urbaine Pop. rurale Pop. urbaine Pop. rurale Pop. urbaine Pop. rurale
La Paz Santa Cruz Cochabamba Potosi Chuquisaca Oruro Tarija Beni Pando
Milliers d'habitants
1950 1976 1992 2001 Date de recensement
En part relative, nous observons que le pays s’urbanise de façon croissante depuis une cinquantaine d’années, puisque la part de la population urbaine est de moins de 30% en 1950 contre un peu plus de 60% en 2001. Cette croissance s’opère à un rythme plus faible cependant à partir des années 1990 (figure 7).
Figure 7 : Répartition de la population bolivienne par secteur urbain et rural, 1950‐2001
Source : INE, recensement 2001.
Parallèlement à ce phénomène d’urbanisation du pays, on assiste à partir de 1960 à un glissement de la population vers les terres basses et le département de Santa Cruz, suite aux politiques de colonisation agricole et d’équipements de l’Oriente (figure 8).
Figure 8 : Répartition de la population bolivienne par grandes zones écologiques 1900‐2001
Source : Blanchard 2005, p. 66 (données de Ledo 1999 et INE recensement 2001).
Dans ce contexte global, les régions rurales de l’Altiplano, notamment dans les départements d’Oruro et Potosi, figurent parmi celles qui connaissent la plus faible croissance démographique depuis 1950. Concernant plus spécifiquement la dynamique démographique du Périsalar de l’Altiplano Sud, signalons tout d’abord les difficultés pour analyser les données des quatre recensements. La première tient au fait que le découpage administratif a subi des changements en Bolivie au cours de la période, ce qui complique l’interprétation des données. Ensuite, le niveau de désagrégation des données en 1950 et 1976, limité aux cantons23, est inférieur à celui
23 Pour celui de 1976, le distinguo entre population dispersée et population regroupée dans des villages (ou centres
peuplés) est réalisée pour l’ensemble du canton.
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100
1950 1976 1992 2001
% de la population
totale
Population rurale Population urbaine
des recensements suivants, prenant en compte les localités24. D’autre part, les découpages administratifs et lʹéchelle de la plus petite unité à recenser ne sont pas identiques. La lecture des données disponibles nous permet de réaliser des regroupements au niveau des municipes, exception faite pour ceux de la province du Nor Lipez pour 1976 (municipes de San Agustín, San Pedro de Quemes et Colcha ʺKʺ). Par ailleurs, nous avons constaté des erreurs de regroupements dans les recensements de 1992 et 2001, notamment l’inclusion de localités dans des municipes ne leur correspondant pas. Nous avons donc procédé à des corrections pour avoir les chiffres réels au niveau du municipe.
Nous présentons ci‐après le tableau récapitulatif de l’évolution de la population par municipe de la zone d’étude de 1950 à 2001 (tableau 6). L’accroissement démographique pour la période 1950‐2001 se situe aux alentours de 7%, loin des 207% comptabilisés au niveau national.
Salinas de Garci Mendoza 7477 8695 5761 8 595
Pampa Aullagas 1834 2107 1602 2975
Santuario de Quillacas 4452 3879 2265 3305
Potosi
Tahua 1508 1209 1369 1847
Llica 3306 4358 3261 3348
San Agustín 810
9162
1313 1640
San Pedro Quemes 773 587 815
Colcha ʺKʺ 5427 7733 9645
Uyuni 22110 20227 19639 18705
Total 47697 49637 43530 50 875
Source : INE, recensements 1950, 1976, 1992, 2001 (données redistribuées selon les limites administratives pour Salinas, Tahua et Llica, 2001).
Il convient de noter que le municipe d’Uyuni abrite l’ensemble de la population urbaine des neufs municipes25, du fait de la présence de la ville d’Uyuni : 58% en 1992 (11372 individus) et 56% en 2001 (10 551 individus). Pour ce municipe, entre les deux derniers recensements, nous avons une croissance légèrement négative hors aire urbaine.
Nous présentons sur la carte 5 l’évolution de la population par municipe. De manière générale, la population des municipes d’étude a augmenté durant la période 1950‐2001 sauf dans celui d’Uyuni et de Santuario de Quillacas. En effet, la ville d’Uyuni était le centre ferroviaire le plus important du pays, par où transitaient les minerais. La fermeture de nombreuses mines aux alentours en 1986 a provoqué le déclin de cette ville. La croissance démographique reste donc faible par rapport à la phase de transition urbaine dans laquelle se trouve le pays.
24 Les localités statistiques sont un niveau inférieur aux communautés mais leur définition est parfois ambigüe pour
qui connaît le terrain.
25 Les zones urbaines sont définies par l’INE par le seuil de 2000 habitants.