Le bouleversement des systèmes agraires lié au boom de la quinoa
Encadré 5 : Différents aspects des territoires communautaires
Photo 20 : Otuyo, manto de kakawinto
Photo 21 : Une partie de l’immense territoire de San Juan
Photo 22 : Chilalo, un territoire montagnard
Photo 23 : Palaya, entre montagne et plaine
Photo 24 : Candelaria, de grandes plaines entaillées de montagnes
Source : clichés A. Vassas Toral 2008.
Il convient de préciser quelques éléments concernant les mantos. En effet, nous n’avons pas rencontré le système comme ceux décrits par X. Albó (1994) ou D. De Morrée (1998)46 qui attestent de l’existence de six aynoqas/mantos, voire plus. Dans la région du Périsalar, on trouve au maximum deux ou trois mantos. La multiplication des aynoqas/mantos signifie des temps de jachère relativement longs, autrement dit des temps plus importants de récupération de la fertilité des sols, notamment par le pâturage, ainsi qu’un système de rotation de cultures. Dans notre région d’étude, les mantos, lorsqu’ils existent, sont trop peu nombreux pour permettre la récupération de fertilité de la terre ou la rotation des cultures. Cette organisation a pour but essentiel de faciliter le gardiennage des troupeaux, en divisant en deux le territoire villageois : une partie destinée à la culture et l’autre au pâturage.
Si l’agriculture sèche est largement dominante en termes de surfaces cultivées, certaines communautés bénéficiant de sources d’eau développent une petite agriculture irriguée (luzerne
46 « À Qochapampa, les familles ont en moyenne 2‐3 parcelles dans chacune des 12 soles (zones où sont semés une seule culture)
de la communauté, et, chaque année ils décident en réunion quelle culture va être semée dans quelle sole et ils s’accordent sur les soles en jachère » (traduction de l’espagnol) (De Morrée, 1998 : 350). Qochapampa est une communauté située au nord du département de Potosi.
et fève principalement). Ces périmètres sont localisés dans les zones de montagne où les familles ont des parcelles clôturées. Les surfaces irriguées n’ont pas connu de changement important en termes de superficie et sont toujours cultivées.
Les zones de pâturage, enfin, se dispersent sur l’ensemble du territoire de la communauté (les pâturages communs à plusieurs communautés sont très rares) et sont gérées de façon alternée au cours de l’année : tout d’abord, les troupeaux pâturent les parcelles non cultivées recouvertes d’espèces herbacées ou buissonnantes (dans la plaine et dans la montagne), puis ils pâturent entre la récolte et le semis les résidus de culture. L’expansion de la culture de quinoa s’étant réalisée sur des zones anciennement dédiées au pâturage, les zones de pâturage ont drastiquement diminué depuis le boom de la quinoa.
Les modes d’organisation socio‐spatiale du partage et de l’usage des ressources correspondent finalement à la mise en place de « zones de production », telles que les conçoit E. Mayer (1992) au Pérou. E. Mayer part du principe selon lequel on ne peut se contenter d’étudier les étages écologiques (et donc les ressources présentes) pour comprendre les modes d’occupation du territoire. En effet, c’est le groupe social qui a fabriqué, géré et entretenu ces zones. L’auteur met donc l’homme au cœur de la compréhension de l’agriculture et de son organisation spatiale. La zone de production est « un ensemble territorial de ressources productives, géré par la communauté, et dans lequel la production est réalisée de façon spécifique. [Chaque zone de production] possède des infrastructures caractéristiques, un système particulier de répartition des ressources et des mécanismes permettant la régulation dans lʹutilisation de ces ressources. Les unités de productions individuelles (les familles paysannes) détiennent des droits dʹaccès sur des portions identifiées et différenciées ; tous les produits quʹelles y obtiennent par leur travail leur appartiennent sans réserve ; elles ont le droit de les transmettre à dʹautres » (op.cit. : 163). Enfin, E. Mayer (op. cit. : 165) décrit très bien l’organisation sociale de ces zones de production : « C’est un système de décision dual. Au premier niveau, lʹunité domestique (la famille) est lʹunité réelle de production ; au deuxième niveau, la communauté gère et administre le territoire à travers le contrôle quʹelle exerce sur les familles. Les unités de production individuelles ont accès à la terre dans chaque zone de production, mais ne peuvent les utiliser quʹaux conditions établies par les autorités. Elles peuvent influer sur ces conditions, en participant aux assemblées ou en faisant pression sur les autorités. Si la production est spécialisée par zones, les unités de production individuelles sont diversifiées. » Si, jusqu’à une période récente, les territoires communautaires étaient divisés en zones de production clairement délimitées, nous allons voir que pour les zones de culture nouvellement établies en plaine, il est plus difficile de parler de zonage de production.
Les modes d’occupation des sols et l’organisation de l’usage des ressources territoriales montrent une très grande diversité de situation selon les communautés. Les croquis des territoires communautaires des cinq communautés d’étude (figure 19) illustrent cette diversité tant au niveau de la superficie du territoire que de la topographie et des usages.
Figure 19 : Relief et usages agricoles des territoires communautaires
Source : élaboration propre.
Précisons qu’il n’existe pas de base de données cartographiques où apparaissent les limites des territoires communautaires (et donc leurs superficies exactes). Il n’existe pas non plus de cadastre foncier permettant le repérage des limites du parcellaire au sein de ces territoires47. Sur la carte 12, nous avons indiqué la localisation du « village centre » pour l’ensemble des communautés du Périsalar. La densité des points nous révèle indirectement la taille des territoires communautaires48.