Une approche des mobilités par les trajectoires de vie
Carte 24 : Les cycles migratoires de la communauté de Palaya de 1950 à 2008
4.4. Quels modèles migratoires ?
Ainsi, chaque communauté est différente du point de vue de sa géographie et de son histoire migratoire, que ce soit en termes de lieux, d’activités, ou de temporalités. Chacune a connu une évolution singulière de son aire de polarisation migratoire entre Chili, Argentine et Bolivie. Il est important de rappeler également que les communautés rurales de l’Altiplano Sud ont été particulièrement sensibles aux conjonctures et cycles économiques de la Bolivie ou des pays voisins. Si jusque dans les années 1980‐1990, l’emploi dans les centres miniers a joué un rôle fondamental dans les stratégies du quotidien pour les populations rurales de l’Altiplano, il ne reste important que pour deux communautés : Candelaria de Viluyo (mines de Potosi et Porco) d’emploi pour les populations de l’Altiplano Sud, mais questionne également l’existence de filières géographiques liées à certaines niches professionnelles. À partir de nos entretiens, nous pouvons identifier, d’un côté, les lieux de migration où se pratiquent les activités professionnelles et de l’autre, les activités pratiquées dans chaque lieu de migration (voir tableaux en annexe 20). Il en ressort, certes, que certaines activités sont liées à la croissance urbaine (construction, commerce) ou à la hausse des niveaux de vie (employées domestiques85), que le travail dans les mines, de toute évidence, est déterminé par la localisation de la ressource et sa valorisation sur le marché des matières premières. Mais les niches de travail restent très mouvantes et les individus se déplacent en fonction des opportunités, que ce soit en milieu rural (mine, agriculture) ou urbain (fabrique, atelier, commerce, restauration, emploi domestique).
Le fait que les activités ne soient pas exclusives de lieux, excepté dans le cas des centres miniers ou de localités rurales où s’exerce l’activité de professeur ou d’infirmier, induit une certaine dispersion de lieux de migration. On rencontre en effet des destinations « isolées », citées qu’une seule fois : Catamarca un employé agricole ; Cobija, un bûcheron ; Córdoba, un employé de restaurant ; Coroico un commerçant indépendant ; Jugar, un employé de commerce ; La Rivera, un maçon ; Ledesma, un employé agricole, etc. Dans d’autres destinations très représentées au contraire, l’activité est diversifiée. Il s’agit principalement des grandes villes (Oruro, Uyuni, La Paz, Cochabamba, Mendoza, Iquique, Buenos Aires, Calama, Potosi et Santa Cruz) où nous avons répertorié plus de sept activités.
Les systèmes de mobilité des populations de l’Altiplano Sud sont donc fort éloignés de ceux d’autres régions en Bolivie où l’on observe une certaine spécialisation à la fois des destinations et des secteurs d’insertion professionnelle. R. Benencia (2004), par exemple, a pu observer que les populations rurales originaires de Potosi travaillent préférentiellement dans l’agriculture comme ouvrier, métayer ou même chef d’exploitation dans la ceinture horticole de Buenos
85 L’activité d’employée domestique peut se pratiquer dans toutes les villes de Bolivie mais le travail est mieux rémunéré à l’étranger. C’est d’ailleurs une activité qui s’est développée depuis le développement économique des pays frontaliers.
Aires ou d’autres villes argentines. A. Hinojosa Gordonava et al. (2000) montrent également que les populations originaires des campagnes de Tarija travaillent dans l’agriculture en milieu rural, de l’autre côté de la frontière, dans le nord ouest de l’Argentine. G. Cortes (2004), concernant également les migrations vers l’Argentine, met en évidence des effets de couple de lieux et de micro‐filières (par communautés rurales) aussi bien dans la région de Cochabamba que de Tupiza.
Dans l’Altiplano Sud, la spécialisation géographique de la migration est très peu marquée et il est difficile de dégager un modèle de migration selon ce critère. Il est probable que dans cette région de Bolivie, soumise plus que d’autres à des conditions difficiles de subsistance, les populations aient diversifié au maximum les champs possibles de la pluriactivité et la polyvalence, de manière telle que leurs logiques spatiales de migration ne se cantonnent pas aux limites de simples filières collectives. L’accumulation d’expériences individuelles et familiales obéit à des trajectoires aléatoires, où chacun démultiplie ses stratégies socio‐spatiales de mobilité, tout en s’appuyant sur les réseaux communautaires.
4.4.2. Migrations et cycle de vie
L’analyse des liens entre migrations et cycle de vie des individus renvoie, non plus à la logique des lieux en tant que telle, mais à la logique sociale qui organise la mobilité. À l’instar de B.
Baccaini (1994 : 64), nous considérons que le cycle de vie est défini par « la succession des événements d’ordre familial ou professionnel qui segmentent la vie de l’individu en étapes distinctes ». Et à l’instar de D. Courgeau (1984 : 488) il s’agit « d’éclairer les relations qui peuvent exister entre les diverses caractéristiques familiales, économiques, politiques de l’individu et de son comportement spatial.
Nous ne cherchons pas de relations causales au niveau individuel, car une causalité ne peut jamais être montrée avec certitude. […] Nous parlerons donc ici d’interactions entre mobilité spatiale et étapes du cycle de vie ». T. Bruslé (2005) qui a travaillé sur les migrations des Népalais en Inde parle quant à lui des « âges de la migration », pour aborder le cycle de vie, les projets et les rapports à l’espace des migrants.
Il s’agit donc de considérer les comportements migratoires (changements, ruptures, etc.) au fil des différentes étapes du cycle vital de l’individu : enfance, jeunesse, constitution du ménage, âge adulte avec enfants, retraite et vieillesse. Nous emprunterons à G. Cortes la distinction qu’elle fait entre différents « cycles migratoires » définis par « la mise en évidence de la cohérence interne du rythme migratoire en relation avec le cycle vital de l’individu et ses projets de vie qui ont abouti. À la notion de cycle migratoire sont donc sous‐jacent les choix d’investissement du migrant dans sa communauté d’origine, eux‐mêmes dépendant de son potentiel d’épargne » (1998 : 268). Elle distingue deux cycles distincts : celui « d’initiation et d’installation », qui correspond aux premières expériences migratoires de l’individu liées à la volonté de fonder un foyer, et le cycle de « construction et de consolidation » lié à la volonté de consolider les assises économiques du groupe familial. Dans le cas qu’elle décrit, la consolidation se fait dans la communauté, c’est‐à‐
dire que les cycles migratoires reflètent une volonté de « partir pour rester ».
Avons‐nous le même schéma sur l’Altiplano Sud ? Retrouve‐t‐on des caractéristiques communes à l’ensemble des trajectoires de mobilité selon les différentes étapes du cycle de vie ? La migration est‐elle vécue comme un moyen d’installation et de consolidation de la famille dans la communauté ? Finalement, est‐ce que le projet (et donc les moyens mis en œuvre pour le réaliser) est de consolider une assise territoriale rurale ?
4.4.2.1. La migration de jeunesse
Pendant la période de l’enfance, c’est‐à‐dire jusqu’à 12/13 ans, la mobilité est passive : les enfants suivent leurs parents. Jusque dans les années 1960, l’éducation n’était pas une priorité : les jeunes hommes partaient travailler très jeunes dans les mines ou travaillaient pour d’autres familles de la communauté. Aujourd’hui, tous les enfants vont à l’école, ce qui retarde la date du premier départ en migration économique mais n’empêche pas des mobilités pour du travail saisonnier lors des vacances scolaires, en général chez un parent. En revanche, les femmes sont moins insérées dans le système éducatif et elles partent souvent vers 15 ans86.
Après l’école donc, les enfants ou jeunes adultes deviennent des acteurs migrants plus autonomes. La période de célibat apparaît très souvent comme une étape cruciale dans le processus d’apprentissage migratoire, constituant ainsi une étape d’initiation. Dans une étude très approfondie sur les populations originaires de l’Altiplano et des vallées résidentes à Santa Cruz, S. Blanchard (2007) s’est intéressée aux parcours et aux expériences des jeunes migrantes.
Concernant la période de jeune célibat, elle écrit : « Le travail domestique [est] une étape dans les parcours migratoires. Le travail domestique apparaît en première analyse comme une forme classique d’initiation des jeunes femmes paysannes qui vont travailler en ville loin de leur famille. [...] Il s’agit d’une activité exercée principalement par des jeunes (voire très jeunes) femmes, qui quittent le foyer familial soit pour travailler chez des parents, soit pour prendre une certaine indépendance vis‐à‐vis de leur famille. […] En Bolivie, le parallèle masculin de cette forme d’éducation est le service militaire » (op.
cit., 2007 : 270). Nous retrouvons la même situation dans nos communautés d’étude ; la première migration des hommes se fait après le service militaire et après l’école pour les femmes. Cette migration a une vocation économique (migration de travail) et/ou éducative (migration pour études87) et obéit à une trajectoire complexe, avec plusieurs destinations successives. Lors de la période de jeune célibat, les individus n’ont pas en général de résidence fixe. Ils partent en migration dans différents lieux, au gré des opportunités, des réussites ou échecs successifs. C’est ce que l’on peut appeler « l’errance résidentielle ».
Au cours de cette étape migratoire, les retours dans la communauté sont sporadiques, en général à l’occasion des fêtes. Cette période de migration est l’occasion soit de se former, soit de capitaliser dans la perspective de constituer un foyer, parfois les deux en même temps.
Rappelons que les jeunes migrants masculins n’ont pas accès à des terres en leur nom propre tant qu’ils n’ont pas de foyer.
Avant les années 1960, les femmes étaient exclusivement des migrantes passives c’est‐à‐dire qu’elles suivaient leur mari, soit dans leur communauté où ils fondaient leur ménage, soit sur leur lieu de migration. Aujourd’hui, la migration autonome des femmes tend à se développer : elles partent seules en migration et ont leur propre trajectoire. Elles partent souvent en migration autour de 15 ans, pour ensuite constituer leur ménage.
Ces migrations « d’initiation » sont souvent décisives pour la suite de la trajectoire de vie de l’individu : le but est soit de retourner dans la communauté et donc de consolider une « assise territoriale rurale » (Blanchard, 2007), soit de s’installer plus durablement en dehors de la communauté.
86 Selon l’INE, au niveau national, en 2001, le taux d’analphabétisme des femmes est de 19,3% alors qu’il est de 6,9%
pour les hommes. En milieu rural, les taux atteignent 37,9% pour les femmes et 14,4% pour les hommes.
Parallèlement à cet indicateur, nous disposons de celui du nombre moyen d’années d’étude. Au niveau national, celui‐ci s’élève à 8,2 ans pour les hommes et 6,7 pour les femmes, et en milieu rural, la moyenne tombe à 5,2 années pour les hommes et 3,1 années pour les femmes.
87 La migration pour études touche encore peu de jeunes de la région (sauf autour de Llica) car les études supérieures
commencent à peine à être valorisées. Ce motif, même s’il est parfois un alibi pour partir (finalement l’individu abandonne vite ses études et travaille), mérite d’être signalé.
4.4.2.2. L’étape de constitution du foyer : où s’installer ? où rester ?
L’étape de constitution du ménage ou « d’installation » (Cortes, 2000) constitue nécessairement un tournant important dans le cours de la trajectoire des individus. D’après B. Baccaini (1994 : 65), concernant une étude au Mexique, « le mariage se traduit le plus souvent dans l’immédiat par la migration d’au moins l’un des deux futurs conjoints, il a aussi de profondes répercutions sur le comportement migratoire ultérieur des individus ». Dans notre cas, nous observons que, traditionnellement, le mariage ‐ ou sinon la « mise en concubinage » ‐ signifie le départ de la femme de sa communauté et l’installation du nouveau ménage dans celle du mari (ce modèle a ses exceptions comme nous l’avons vu précédemment). Les mariages d’autrefois se contractaient très souvent entre individus du même ayllu mais on assiste actuellement à l’élargissement de l’espace de nuptialité par le mariage avec des individus qui ne sont pas originaires du même ayllu. Cet élargissement n’est pas généralisé mais lorsqu’il se produit et qu’il correspond à une rencontre des deux individus sur leur lieu de migration, il est souvent synonyme de l’installation du ménage dans ce même lieu.
Un critère fondamental pour envisager la constitution du ménage dans la communauté est d’avoir accès aux ressources locales (et notamment à la terre) et de pouvoir en retirer un revenu assurant l’autonomie du couple. Vu les conditions d’accès aux ressources que nous avons détaillées dans le chapitre précédent, l’homme peut envisager de constituer son ménage dans sa communauté d’origine car il peut prétendre à des terres, alors que la femme n’a pas ce choix. À moins d’habiter la même communauté que son futur mari, elle devra quitter sa communauté d’origine si elle souhaite constituer un foyer. Selon les situations, l’installation du ménage se fait dans la communauté ou ailleurs. Mais ce lieu d’installation n’est pas déterminant pour l’ensemble de la trajectoire, nous avons vu que nombreuses sont les trajectoires faites d’alternance ou de retour, ce qui signifie donc des installations dans la communauté parfois postérieures à la constitution du ménage.
L’extension de la culture de quinoa modifie les trajectoires de mobilité des individus puisque les communautés tendent à devenir un espace d’installation résidentielle dès la constitution du ménage. En effet, ces retours à moyen terme avaient quasiment disparu (sauf à San Juan) ayant provoqué une baisse de la croissance démographique dans les communautés. La tendance est donc à un rajeunissement de ces campagnes.
Tel que nous l’avons vu, la constitution du ménage ne constitue pas pour autant un arrêt des migrations et une stabilisation résidentielle, ni pour le couple, ni pour les enfants qui suivront.
L’élargissement de la famille, lié à la naissance des enfants, n’entraîne pas nécessairement une stabilisation dans la trajectoire de mobilité résidentielle, mais plutôt une intensification de la circulation de travail de manière à augmenter les revenus. Lorsqu’il y a nouvelle migration, elle peut prendre la forme d’une dispersion du ménage. Aussi, la phase de consolidation du foyer ne rime pas toujours avec la cohabitation pérenne du couple. C’est à cette période que se mettent en place généralement des ménages bipolaires (le mari et la femme résident dans deux lieux différents) ou des logiques de double résidence. Signalons que les migrations liées à l’éducation des enfants prennent une importance nouvelle. Comme partout en Bolivie depuis une période récente, on décèle un lien fort entre stratégie migratoire et éducation, qu’il s’agisse du niveau primaire ou secondaire. Le développement des infrastructures éducatives ainsi que la hausse générale du niveau d’éducation à l’échelle nationale ne laisse pas la région en marge.
Signalons enfin que lorsque les individus n’ont plus d’enfants à charge et qu’ils ont terminé leur cycle de vie active, le retour dans la communauté est loin d’être systématique. Autrement dit, les migrations de retour liées à la retraite ne sont pas un phénomène très marqué dans la région.
On rencontre de plus en plus d’individus des communautés qui ont passés leur vie à l’extérieur de celle‐ci et qui y restent pour leur retraite.
4.4.3. Un modèle régional de mobilité fondé sur la proximité, les relations ville‐
campagne et la polyvalence
En considérant la littérature existante sur les dynamiques migratoires en Bolivie, le modèle de mobilité spatiale des populations de l’Altiplano Sud semble se distinguer par un espace et des formes migratoires singulières, en comparaison avec d’autres régions. Plusieurs caractéristiques méritent d’être ici synthétisées et mises en perspective.
En premier lieu, ce sont des logiques de proximité, à l’échelle régionale ou transfrontalière, qui guident les polarisations migratoires historiques et actuelles de la région. À ce titre, la région est ainsi restée en marge de la mondialisation des migrations internationales et des destinations lointaines que sont le Brésil, les États‐Unis, l’Europe (l’Espagne, l’Italie), Israël ou le Japon que connaissent d’autres régions de Bolivie, comme celles de La Paz, Cochabamba ou Santa Cruz (Cortes, 2002, 2004 ; Blanchard, 2006 ; De La Torre Avila, 2006 ; Souchaud et Beaninger, 2009 ; Marzadro, 2010). Ces logiques de proximité, à l’échelle régionale et transfrontalière, se retrouvent en revanche dans d’autres zones rurales de la Bolivie, comme celle de Tarija frontalière avec l’Argentine (D’Andrea, 2004 ; Domenach et al., 2007). Ainsi, pour notre région de l’Altiplano Sud, la ville la plus proche qu’est Uyuni, les capitales départementales du haut plateau et des vallées (Oruro, La Paz, Potosi) et les sites transfrontaliers ruraux et urbains au Chili (Iquique notamment) sont les pôles migratoires les plus importants. L’effet de proximité, avec le boom de la quinoa, tend aujourd’hui à s’accentuer plus encore avec une rétraction globale de l’espace migratoire, comme l’illustre la figure suivante qui segmente en deux grandes périodes, et en les synthétisant, les dynamiques de mobilité de la région (figure 43).
Figure 43 : Espace migratoire de la zone Périsalar de l’Altiplano Sud (1950‐2008)
Source : A. Vassas Toral, enquêtes de terrain. Réalisation en collaboration avec G. Cortes, d’après S. Coursière, 2008.
La deuxième caractéristique du modèle migratoire de l’Altiplano Sud, corollaire de la précédente, concerne ce que nous pourrions appeler la polyvalence socio‐spatiale des individus.
Polyvalence des lieux tout d’abord. Si les migrants de chaque communauté privilégient certaines destinations plus que d’autres, du fait de la proximité de ces lieux, il n’y a pas de véritables filières migratoires collectives au sein même des communautés rurales. De même, nous avons constaté que les destinations successives sont généralement choisies en fonction de la diversité des opportunités de travail parallèlement aux réseaux sociaux. Autrement dit, l’itinéraire migratoire se construit en le poursuivant. S’il y a une logique individuelle des lieux, nous n’avons pas identifié de logique collective des lieux c’est‐à‐dire qu’on ne rencontre pas de succession de destinations pour tous les individus (ou tout au moins pour une majorité) correspondant à des étapes migratoires bien déterminées au fil de leur cycle de vie. Le modèle n’est pas celui de l’apprentissage dans un lieu de destination puis consolidation dans un autre, tel que l’ont observé M. Vargas (1998) à propos de migrants qui commencent par l’agro‐
industrie en milieu rural avant d’aller en ville ou G. Cortes dans ses travaux sur les migrations rurales des « Cochabambinos » qui partent d’abord en Argentine ou dans les villes boliviennes, avant d’engager une migration plus lointaine aux États‐Unis ou en Europe. Polyvalence des activités ensuite. Si l’on détecte certaines niches professionnelles, comme l’agriculture ou le travail domestique au Chili, les activités pratiquées, parallèlement à l’agriculture dans la communauté, sont remarquablement diversifiées et la correspondance entre logique des lieux et logique de travail est très peu lisible ; il n’y a donc pas de logique « communautaire » avec un réseau propre, avec sa ou ses filières géographiques, avec une transmission générationnelle des lieux et des activités. Ce phénomène est, a priori, assez paradoxal. On aurait pu supposer que des sociétés « traditionnelles », telles que celles des populations rurales aymaras ou quechuas de l’Altiplano, entretiennent des attaches fortes avec certains lieux exclusifs. C’est tout au moins ce qui organisait le modèle du troc auparavant quand, tablant sur les complémentarités de ressources offertes par l’« archipel vertical », chaque communauté entretenait un lien très privilégié avec une ou plusieurs autre(s) communauté(s). La polyvalence socio‐spatiale des individus, continuellement remise en jeu au gré des opportunités économiques, montre qu’aujourd’hui c’est bien la capacité adaptative des logiques et des réseaux sociaux qui guide les trajectoires de mobilité.
Cette double logique de proximité et de polyvalence socio‐spatiale s’accompagne, en dernier lieu, d’une forte complémentarité ville‐campagne lisible dans les effets d’alternance résidentielle ou de double résidence, mais aussi dans les combinaisons du système d’activité (poly et pluri activité). Nous verrons ultérieurement comment ces combinaisons s’organisent au niveau familial et comment elles s’articulent à l’activité agricole.