Dynamiques territoriales et organisations sociales dans le Périsalar de l’Altiplano Sud
Carte 6 : Répartition de la population dans les communautés du Périsalar en 2001
Carte 6 : Répartition de la population dans les communautés du Périsalar en 2001
Source : INE, 2001. Conception : A. Vassas Toral. Réalisation : S. Coursière, 2010.
Dans quelle mesure ces données du recensement de 2001 correspondent‐elles à la réalité, et plus encore à la situation de 2008, année de réalisation de nos enquêtes ? Dans les communautés, il s’est avéré extrêmement difficile de déterminer avec certitude le nombre d’habitants.
Comptabiliser le nombre de résidents dans les communautés est, en effet, une entreprise complexe, y compris pour les populations locales car les acceptions du terme « d’habitants » sont différentes selon les interlocuteurs. Parle t’on de la population permanente ? De la population qui cultive ? De la population née dans la communauté ? De la population
« membre » de la communauté ? Autrement dit, le critère peut être celui de la résidence (avec toutes ses ambigüités de définition), de l’origine ou encore de l’accès aux ressources.
Selon le critère de résidence, la seule source officielle dont nous disposons pour l’ensemble des communautés est le recensement général de population de 200127 or nous savons que de nombreux individus originaires des communautés se sont faits recenser dans leur communauté alors qu’ils n’y résidaient pas, ou alors de manière discontinue (bi‐résidence). Les données du recensement sont utiles car elles nous donnent une estimation minimale du nombre d’individus membres de la communauté. Mais elles ne reflètent pas la réalité de la population résidente.
Pourtant, en Bolivie, ces données de l’INE de 2001 sont un référent pour l’ensemble des politiques publiques. Elles fixent les budgets municipaux, comme déjà évoqué, mais elles déterminent également les modalités d’intervention dans les domaines de la santé et l’éducation. Pour la santé, par exemple, l’indice de croissance démographique calculé par l’INE pour chaque municipe selon les données 1992‐2001 sert à déterminer le volume de population, et c’est sur cette base que les moyens sont alloués annuellement aux centres de santé. Mais chacun sait que la population réelle est moindre, et certains centres de santé ont donc réalisé leur propre recensement pour connaître la population à soigner. Nous avons pu avoir accès à cette information seulement pour deux communautés d’étude : San Juan et Palaya. Pour les deux communautés que sont Otuyo et Chilalo, faiblement peuplées, nous avons pu réaliser notre propre recensement et, dans le cas de Candelaria, nous avons utilisé la liste des producteurs ayants droit de la communauté (contribuyentes) que nous avons complétée avec l’aide du représentant de la communauté. Les résultats sont indiqués dans le tableau 9 suivant. Totale + 15 ans(1)
San Juan 582(2) 429 429 (PS) 299 (PS) 15 40
Candelaria 256(3) 183 (AVT)(5) 153 (AVT)(5) 8 62
Palaya 213 180(4) 107 (AVT) 66 (AVT) 28 23
Chilalo 78 37(AVT)(6) 18 (AVT)(6) 9 15
(4) Document utilisé : « Nomina de habitantes de la comunidad de Palaya », liste fournie par lʹassistant sanitaire, complétée avec le représentant de la communauté de 2008.
(5) Document utilisé : « Lista de contribuyentes », fournie par les autorités locales, complétée avec le représentant de la communauté de 2007.
(6) Recensement personnel.
(7) Population qui vient régulièrement dans la communauté mais qui n’y réside pas.
Pour conclure sur le thème de la population, on peut dire qu’il n’y a pas, selon les sources officielles du recensement, de déprise démographique sur l’Altiplano Sud sur la décennie 1990‐
2000. De même, la féminisation et le vieillissement des campagnes, phénomène classique dans les régions rurales de forte émigration, n’est pas une caractéristique de la zone. Les pyramides des âges de 2001 sont en effet relativement équilibrées. En revanche, les indicateurs de l’habitat et la fermeture de certaines écoles nous montrent une population en baisse. De même, les
27 Les recensements de 1950 et 1976 n’ont pas été effectués à l’échelle des communautés et celui de 1992 est très difficilement exploitable à cette échelle.
recensements locaux ou notre propre comptage indiquent une diminution de la population, tout au moins de celle résidant en permanence dans les communautés. Toutefois, comme nous le verrons plus loin dans l’analyse des trajectoires de mobilité, la diversification et la complexification des systèmes résidentiels dans les années récentes participent à une nouvelle dynamique démographique et économique aux échelles locales.
2.2.5. Caractérisation statistique de la migration interne sur l’Altiplano Sud
Il est habituel de distinguer, dans l’étude des mobilités, les migrations internationales des migrations internes. Nous verrons dans l’étude plus ciblée des trajectoires de mobilité des populations de l’Altiplano Sud, que cette distinction tend à s’effacer dès lors que l’on considère la diversité et la continuité des événements de mobilité dans le cycle de vie des individus. De fait, l’aire de destinations migratoires dans cette région dépasse les frontières nationales, ce dont ne rendent pas compte les données de recensement de l’INE du fait de l’absence de variable relative aux mobilités internationales28. À partir des données de l’INE, nous proposons donc de considérer ici strictement les mouvements internes de population. Quelle place tiennent‐elles dans les dynamiques de peuplement de la région ? Quelles sont les destinations migratoires ? À l’inverse, quelle est la provenance des immigrants dans la zone ?
Parmi les questions posées lors du recensement de 2001 appliqué à toute la population du pays, deux avaient trait à la migration : tout d’abord le lieu de naissance, et ensuite le lieu de résidence cinq ans avant la date du recensement (1996). Il n’y avait donc pas de question concernant l’année d’installation dans la résidence actuelle. Fondé sur le principe de la résidence unique, ce recensement ne posait pas non plus de questions sur d’autres lieux éventuels de résidence de l’individu.
Si les données de recensements permettent de connaître les stocks de migrants et les flux intercensitaires, elles ne rendent pas compte des mouvements temporaires, des migrations successives ou des mouvements réversibles (Domenach et Picouet, 1995 : 17). Nous utilisons ici les informations sur les immigrants et les émigrants, à partir de trois indicateurs : le lieu de naissance, le lieu de résidence en 2001 et le lieu de résidence en 1996. L’échelle spatiale de recensement de l’INE est celle du municipe.
2.2.5.1. Part des émigrants et des immigrants dans les municipes d’étude selon le lieu de naissance
Sur la base des données de l’INE de 2001, le municipe de naissance est soit identique, soit différent du municipe de résidence. Il s’agit ici de dénombrer la population qui a changé de résidence depuis sa naissance. De toute évidence, cela ne signifie par que les individus résidant en 2001 dans le même municipe que leur municipe de naissance, n’aient jamais changé de résidence entre le moment de leur naissance et celui du recensement.
De manière à identifier la part des émigrants de longue durée des municipes de notre zone d’étude, à partir des lieux de résidence de l’ensemble de la population en 2001 née dans les municipes d’étude, nous avons croisé deux bases de données issues du même recensement : la population née dans l’un des municipes de la zone d’étude et résidente dans un autre municipe et la population résidente dans les municipes de la zone d’étude qui y est née (tableau 10).
28 Contrairement d’ailleurs au recensement de population de certains pays latino‐américains comme le Mexique ou
l’Équateur.
Uyuni 18125 16923 35048 51,7
San Pedro de
Quemes 738 738 1476 50,0
Llica 2367 2723 5090 46,5
Salinas de Garci
Mendoza 3432 8121 11553 29,7
Colcha ʺKʺ 3801 9038 12839 29,6
Tahua 741 2056 2797 26,5
Santuario de
Quillacas 920 3077 3997 23,0
San Agustín 476 1590 2066 23,0
Pampa Aullagas 809 2849 3658 22,1
Source : INE, recensement 2001.
Nous pouvons observer dans la figure 10 la part des émigrants de longue durée selon le municipe de naissance. Trois municipes se démarquent par une part importante de la population née dans les municipes et n’y résidant pas en 2001 (plus de 40%) ; il s’agit du municipe d’Uyuni dont nous avons déjà signalé le déclin de son pôle urbain (la ville d’Uyuni) et des mines alentours ; les municipes de Llica et San Pedro de Quemes qui sont tous deux des municipes frontaliers avec le Chili et des zones où l’activité agricole est très aléatoire à cause des conditions environnementales.
Mis à part ces trois municipes, la part d’émigrants de longue durée n’est finalement pas très importante, ce qui peut relativiser l’idée d’exode rural dans ces municipes.
Considérons dès lors le poids des immigrants dans les municipes d’étude, toujours selon le critère de la naissance. Il convient au préalable de relativiser cette catégorie « d’immigrant » car une part de la population venue s’installer dans les municipes de la zone d’étude concerne en réalité des individus originaires des communautés, à savoir des enfants de migrants nés sur le lieu de travail de leurs parents (mines, ville), puis revenus avec eux comme « immigrants passifs ». Une autre part concerne les femmes qui s’installent dans le municipe de leur mari au moment de leur mariage.
Quoiqu’il en soit, la part des immigrants de longue durée dans les municipes d’étude varie entre 7% et presque 28% (tableau 11). Les résidents « originaires » (au sens du lieu de naissance) sont largement majoritaires dans la totalité des municipes (au moins 70%).
Tableau 11 : Part des immigrants parmi les résidents dans les municipes d’étude en 2001 (selon le lieu de naissance)
Municipes
Population recensée en
2001*
% d’immigrants (population résidant dans
un des municipes de la zone d’étude et née dans
un autre municipe que celui de sa résidence)
Uyuni 18705 27,4
San Pedro de Quemes 815 23,3
Santuario de Quillacas 3305 18,8
Llica 2901 13,0
Colcha ʺKʺ 9645 12,5
Tahua 2166 12,3
Salinas de Garci Mendoza 8723 10,0
San Agustín 1640 7,0
Pampa Aullagas 2975 7,0
* Non corrigé car cette information n’est pas disponible au niveau de la localité, ce qui ne permet pas de corriger les regroupements par municipe.
Source : calcul d’après les données de l’INE, recensement 2001.
2.2.5.2. Lieu de résidence des émigrants des municipes d’étude et origine des immigrants, selon le lieu de naissance
Les cartes suivantes (7 et 8) indiquent le lieu de résidence des émigrants et l’origine des immigrants pour l’ensemble des municipes selon le critère de la naissance.
Carte 7 : Résidence en 2001 des émigrants des municipes d’étude