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6.4- Les stratégies : entre coping et défense : un continuum de lutte contre la souffrance au travail

«Reconnaitre la souffrance qui précède et génère la violence (….). Si la violence se dévéloppe, c’est toujours dans la logique de stratégies de défense contre la souffrance.»

(Dejours, 2012). 6.4.1- Coping et défense : quelles différences ?

Le terme mécanisme de défense a connu une évolution depuis le 19ème siècle pour désigner au début, tout ce qui est réactions défensives inconscientes utilisées par les individus pour « détourner, déformer ou déguiser des affects et pensées inacceptables », selon la description de Freud. Ensuite, il parlait plutôt de « répression », (Freud, 1926). Puis, le mot défense, a été utilisé dans un sens général, et a été répandu dans d’autres disciplines allant au-delà de la psychanalyse. (Bruchon-schweitzer, 2001).

Freud, ainsi que sa fille A. Freud, ont décrit plusieurs mécanismes de défense, et ils les ont classés en mécanismes « fonctionnels » et d’autres « dysfonctionnels ». Pour les derniers, ils sont souvent liés à certaines pathologies psychiatriques. Toujours, Selon la théorie psychanalytique, ces moyens défensifs peuvent devenir pathologiques lorsqu’ils sont mobilisés d’une manière intensive, et inadaptée à l’individu ou à la situation. Cette classification, a été retenue par la classification américaine qui a intégré les mécanismes de défense dans le glossaire du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-III-R), et dans l’échelle de fonctionnement défensif (DSM-IV).

Perry et Cooper, quant à eux, et toujours dans la continuité de cette association, (défense/ pathologies), ont conçu une typologie de mécanismes défensifs, qu’ils nomment immatures : projection, hypocondrie, ... ou névrotiques comme par exemple ; intellectualisation, répression, formation réactionnelle, et matures, relatifs aux mécanismes, comme sublimation, humour, suppression. (Perry et Cooper, 1989). C’est vers la moitié du 19ème siècle, que le terme « coping », a commencé à voir le jour, et apparaitre dans les revues de psychologie aux USA, en 1967 ; (Psychological Abstracts). Au début, le coping désignait les mécanismes de défense les plus « adaptés » comme (humour, sublimation...). Ensuite une sorte de confusion entre les deux concepts mécanismes de défense et coping fût alors maintenue entre 1960 et 1980. Durant cette

période, plusieurs travaux ont été effectués et ont apporté quelques éléments de clarification, comme le travail de Haan, (1977). L’auteur a tenté de les distinguer, à travers certains points, que nous résumons, dans (cf. Annexe 3).

Au final, les partisans de la différenciation restent, tout de même, opposés à cette équivalence faite entre les mécanismes de défense et le Coping, mais de nombreux auteurs défendent l’idée de ce continuum entre coping et défense, et comme nous l’avons évoqué plus haut au début de ce chapitre, ces auteurs associent les deux thèses, en les considérant comme complémentaires. 6.4.2- La violence serait-elle une forme de défense en soi ?

La violence peut être commise de façon consciente, comme on vient de le citer, elle peut également, émerger d’une manière inconsciente, sous forme de mécanismes de défense, tels qu’expliqué par S. Freud. Elle pourrait se manifester par l’agressivité ou la projection de l’agressivité lors d’une relation thérapeutique, que l’on peut transposer dans notre cas, dans la relation « infirmier-patient ». (Formarier et Jovic, 2012).

Un mécanisme de défense est un processus psychique permettant à un individu de lutter contre l’angoisse issue des conflits intérieurs et/ou des menaces extérieures (réelles ou perçues en tant que telles). Certains auteurs, comme Monat & al, définissent les mécanismes de défense comme : « Les mécanismes de défense sont des processus psychiques inconscients visant à

réduire ou à annuler les effets désagréables des dangers réels ou imaginaires,

enremaniant les réalités internes et/ou externes et dont les manifestations -comportements, idées ou affects - peuvent être inconscients ou conscients. » (Ionescu et al, 1997, p. 27)). Dans un milieu hospitalier et en particulier dans un service d’urgence, il est fortement possible de réagir par l’agressivité ou la violence, que ce soit de la part du soignant ou du patient, ou de ses proches, sans en être conscient. En effet, dans ce contexte hospitalier, très spécifique, le patient ressent souvent de la peur. La peur de la maladie, de la mort…, en tous les cas, de la souffrance physique et psychologique. Et face à l’impuissance devant la maladie, et la perte du contrôle, le patient, ou sa famille, est susceptible de sentir de l’incompréhension, de la colère, et plusieurs émotions négatives envers les soignants ou envers eux-mêmes. Et dans la recherche d’un équilibre psychologique perturbé par l’altération de sa santé, l’auteur de violence ou d’agression, qu’elle soit actionnelle ou réactionnelle, serait parfois en proie à un style de défense inadéquat que ce soit consciemment ou inconsciemment. (Dejours, 2012).

6.4.3- Le point de vue de la psychodynamique du travail (PDT) sur les stratégies de défense chez les infirmiers face à la souffrance délétère

« Le " choix " de la stratégie se fait en fonction de la distance entre le sujet et le théâtre où s’exercent directement violence, injustice et mal contre autrui. »

(Dejours, 1998)

Si dans notre recherche, on s’est focalisé sur les stratégies de coping à partir du modèle transactionnel de Lazarus et Folkman, (1984) et d’Endler et Parker (1990) il, serait aussi pertinent et enrichissant d’aborder le point de vue de l’approche psychodynamique du travail, de son fondateur, Dejours, en 1980. Nous allons brièvement présenter les stratégies de défense telles qu’appréhendées par cette approche, en vue de distinguer les deux concepts (coping et défense), qui font souvent confusion dans la littérature, mais aussi, pour fournir des éléments de réponses plus riches à la fois, dans l’explication et dans la complémentarité qui existent entre les moyens d’adaptation ou d’ajustement et ceux de défense, mobilisés par les infirmiers, face

à leur souffrance délétère au travail. Il ne s’agit point ici de comparer deux modèles théoriques différents, (le modèle transactionnel, et le modèle compréhensif de la psychodynamique du travail), mais plutôt, de montrer qu’ils se complètent, sur plusieurs registres, en ayant comme objectif optimal, d’atténuer la perception de la souffrance délétère des travailleurs et de s’y adapter, et de préserver une bonne santé au travail. (Molinier et Flottes, 2012).

Il convient de rappeler que les stratégies défensives, permettent de réagir face à un environnement de travail contraignant, difficile, ou lorsqu’il est dépourvu de sens. Selon Marie Alderson, les stratégies de défense, peuvent se révéler défaillantes dans certaines situations ou lorsqu’elles sont utilisées à long terme, et affecter ainsi négativement la santé mentale de l’individu. (Alderson, 2004). Nous allons donc décrire ici les fondements théoriques de ces stratégies défensives sous l’angle de la PDT, et essayer de dégager l’intérêt qu’elles peuvent porter avec le coping chez notre population d’infirmiers, lors de la partie empirique de notre étude.

Au premier abord, il importe de définir ces stratégies défensives. Pour Rhéaume et al, 2000 : « Les stratégies défensives sont des dispositifs mis en place pour contenir l’angoisse et la souffrance. Individuelles ou collectives, elles s’enracinent dans l’histoire de chacun, son éducation, sa personnalité, son désir et son rapport au travail, mais elles expriment une intentionnalité plus ou moins structurée et organisée qui prend sa source en relation avec l’organisation du travail ». (Rhéaume et al, 2000, p. 67). Dans cette même lignée, Alderson, précise que les stratégies défensives, ne servent pas à transformer les situations difficiles, mais plutôt de permettre aux individus de bien s’y adapter. (Alderson, 2004).

Selon le point de vue de la psychodynamique du travail (PDT), les stratégies défensives se traduisent par des attitudes ou des comportements sains et utiles à la santé mentale, en aidant les individus à résister aux agressions de l’organisation du travail ou à vaincre la peur face à certains risques du travail (Dejours, 1987). Elles peuvent être individuelles, ou collectives, dans le cas où un collectif de travail est absent, dans le lieu de travail.(Trudel, 2000).

Pour mieux comprendre les fondements de ces défenses, il importe de définir principalement trois concepts clés selon l’angle de la PDT, à savoir ; les collectifs de travail, les stratégies de défense individuelles et collectives.

6.4.3.1- Un collectif du travail

Le collectif du travail est d’après, Goffart (2004) : « Comme étant un rassemblement de professionnels ayant un objectif commun et travaillant en interdépendance et en collaboration à travers un lien de confiance ». (Cité dans, Boivin-Desrochers, et Alderson, 2014, p. 87). Quant à Cru, « Un collectif du travail, c’est lorsque plusieurs travailleurs concourent à une œuvre commune dans le respect des règles ». (Cru, 1987, 46). C’est via ces règles qu’un bon travail se réalise. Ces règles sont construites et adoptées par les professionnels, pour assurer des fonctions de régulation, de cohésion et de protection contre toute attaque venant de l’extérieur du collectif. En fait, il s’agit d’un système social qui implique plusieurs valeurs, comme ; l’engagement, la mobilisation, la collaboration, la solidarité, des liens de confiance réciproque entre ses membres. Néanmoins, ces collectifs demeurent dépendants aux pratiques managériales et organisationnelles, spécifiques à chaque organisation (Vézina, 1999).

6.4.3.2- Stratégies défensives individuelles

Il s’agit de stratégies que l’on rencontre fréquemment, lorsque les défenses collectives sont effondrées. Elles sont nombreuses, nous-nous contenterons de présenter ici quelques-unes d’entre elles :

➢ La résilience

Considérer la résilience comme étant une stratégie de défense chez les infirmiers, un constat qui a été soulevé par plusieurs chercheurs. A titre d’exemple, Dean, (2012), stipule que la résilience, permet aux travailleurs de se protéger et de survivre dans leur travail. C’est une caractéristique individuelle, qui diffère d’un individu à un autre. Pour Jackson et al, elle est efficace, dans la mesure où elle permet une meilleure adaptation aux exigences du travail, en minimisant d’un côté la fragilité des infirmiers face aux contraintes du travail et d’un autre côté en améliorant l’environnement de travail, ainsi que des effets positifs sur les pratiques professionnelles et d’une manière générale sur le bien-être du professionnel. (Jackson et al, 2007).

➢ Les départs ou les demandes de transferts de milieu de travail

Il a été démontré dans les travaux de Molinier, (2008), que les départs ou les demandes de transferts de milieu de travail, représentent, une stratégie individuelle de défense, mobilisée par les infirmières et les infirmiers, quand ils ressentent la dissonance entre le travail exercé et leurs valeurs personnelles, ou encore lorsqu’ils sont désespérés par rapport au changement de la situation. De ce fait, ils envisagent alors de demander leur mutation vers un autre service de soin voire démissionner et changer catégoriquement de métier. (Molinier, 2008).

➢ L’activisme

Certains soignants, dont les infirmiers, recourent à l’activisme ou l’hyperactivisme, C. Dejours (2004), comme stratégie individuelle de défense. Cette stratégie consiste à se surinvestir dans son travail, autrement dit, travailler durement sans compter les heures, et sans penser à éviter l’épuisement. Et le plus souvent, elle est non reconnue et non récompensée, en plus qu’elle soit susceptible d’engendrer des conflits entre collègues de travail, et impacter négativement la vie personnelle du travailleur. (Molinier, 2008).

➢ La rationalisation

La rationalisation, constitue, elle aussi, une de ces stratégies individuelles défensives, qui est déployée par les infirmiers pour conjurer la souffrance subie au travail, et en atténuer les répercussions. (Alderson, 2001).

➢ Le déni, le manque d’engagement et l’individualisme

Alderson, (2006), rajoute à ces stratégies individuelles, le manque d’engagement, le déni et l’individualisme, qui sont souvent mobilisés par les professionnels infirmiers pour se protéger, contre la détresse et la souffrance au travail. (Alderson, 2006). Cette auteure Canadienne, précise aussi, que le recours au déni de perception est une stratégie défensive utilisée par le personnel infirmier consciemment ou inconsciemment, notamment, lors des rapports difficiles avec les pairs, générant de la souffrance. (Alderson, 2009).

➢ « Les œillères volontaires »

Mettre des « œillères volontaires », est un concept inventé par Dejours, qui le désigne par une stratégie individuelle défensive, qui consiste à développer de l’indifférence vis-à-vis de la souffrance d’autrui. En l’utilisant, le travailleur ne ressent aucune volonté d’action ni même de jugement. Elle se caractérise par l’ignorance, ou en d’autres termes : « j’ignorais, je ne savais

pas », l’objectif, est toujours la recherche de soulager et masquer la peur et la souffrance au travail. (Dejours, 1993).

6.4.3.3- Les stratégies défensives collectives

En l’absence de collectifs de travail, les stratégies de défense ne peuvent être qu’individuelles ; elles peuvent néanmoins être partagées par plusieurs travailleurs (Trudel, 2000).

Selon la PDT, lorsqu’un collectif est présent dans un groupe de travailleurs, les stratégies collectives de défense deviennent prédominantes. Quoique la souffrance de chaque individu soit singulière et subjective, une stratégie de défense commune à tous les professionnels peut les unir contre un élément déstabilisant, comme des conditions de travail contraignantes, une organisation de travail rigide et injuste, violences subies au travail… P. Canouï et A. Mauranges, disaient : « S’unir dans l’adversité […] préserve la vulnérabilité individuelle. Le principe est collectif mais la souffrance reste toujours singulière » « (…) Il ne faudrait pas perdre de vue que les stratégies collectives de défense peuvent se radicaliser et devenir une fin en soi ; on parle alors « d’idéologie défensive ». Elle se caractérise par un ensemble de comportements valorisés par le groupe et considérés comme une norme de référence qui n’est plus à discuter et à laquelle on est obligé de se conformer sous peine d’être marginalisé ou exclu » (Canouï et Mauranges, 2001, p.85).

Résumé

Il semble, au regard de cette analyse du phénomène de la souffrance et des contraintes vécues par les professionnels infirmiers, au travail, que le recours à des stratégies de coping ou de défense qu’elles soient individuelles ou collectives est importante et nécessaire. Nous-nous sommes basés dans le présent chapitre sur le modèle transactionnel de Lazarus et Folkman, pour analyser et décrire ces stratégies, et nous avons aussi évoqué l’utilisation de l’outil CISS, qui a été adapté par Endler et Parker (1990), pour évaluer le degré d’utilisation des stratégies de coping par notre échantillon à l’étude, que nous allons explorer dans la partie empirique.

Par ailleurs, nous avons jugé pertinent de présenter le point de vue de l’approche psychodynamique du travail (PDT), qui nous a permis de décoder d’autres éléments sur la compréhension des souffrances dont la violence au travail, telles qu’expérimentées par le professionnel infirmier. Elle nous éclaire aussi sur certains moyens défensifs autres que les mécanismes de défense, relevant du registre psychanalytique. Ces moyens ou stratégies défensives telles qu’analysées par la PDT, (stratégies de défense individuelles et/ou collectives), renforcées par un collectif du travail solide et unis, jouent souvent un rôle déterminant à atténuer ces situations de détresse, qu’elles soient causées par la violence ou autres difficultés au travail.

Au final, ce chapitre nous amène à constater que face à tous les risques psychosociaux vécus dans le travail infirmier, et à la lumière de ce qui a été présenté, sur le couple « souffrance / défense et coping », faire face à ces risques, impliquent non seulement, la responsabilité des managers et de l’organisation du travail, mais également une bonne gestion des capacités défensives de la part des infirmiers, pour préserver leur santé mentale.

Rappelons aussi que ces défenses, ne peuvent être comprises que dans un cadre communicationnel, et relationnel, qui est le contexte de soins dans notre cas, et l’objet d’étude du prochain chapitre.

7- DYNAMIQUE RELATIONNELLE ET

COMMUNICATIONNELLE ENTRE L’INFIRMIER, LE

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