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La stratégie de légitimation de ses politiques par la Banque

existant ou espérées entre les ONG et les organisations intergouvernementales

A) La Banque Mondiale, promotrice d’une relation avec les ONG de base

3) La stratégie de légitimation de ses politiques par la Banque

Pendant quelques mois a figuré, en 1998, sur le site Internet de la Banque, un document qui proposait aux gouvernements des pays en développement ne disposant pas encore d’une loi dans ce domaine, une méthodologie pour créer un cadre légal pour les ONG. C’était l’œuvre d’une institution privée américaine, « International

Center for Not for Profit Law » (ICNL). Elle se référait largement aux concepts

anglo-saxons en vigueur dans ce secteur (dont les associations unipersonnelles) et visait explicitement la structuration juridique des « communautés de base ».

Avec l’aide de la Banque, ICNL a joué, au cours des dix dernières années, un rôle essentiel dans l’éclosion d’un droit des ONG (ainsi intitulé en rupture avec les traditionnelles appellations de droit des associations ou de droit des « charities ») dans les pays d’Europe de l’Est. Des séminaires, tout d’abord au niveau national, puis associant différents pays, ont réuni experts juristes, dirigeants syndicaux et de grandes associations, fonctionnaires des ministères de la justice, de l’intérieur et des affaires sociales, parlementaires et ministres pour identifier les besoins. Une réunion internationale, tenue à Cracovie, en 1999, a débouché sur un modèle proposé aux pays de l’Europe orientale, susceptible d’adaptations nationales marginales. Plusieurs pays, particulièrement soucieux de complaire à la Banque Mondiale, ont suivi la proposition et se sont dotées d’une législation sur les ONG décalquée de ce modèle. Dans plusieurs pays africains, où la Banque joue un rôle puissant, non seulement de bailleur de fonds importants, mais de coordonnateur de l’ensemble de l’aide internationale, des

gouvernements ont également modifié leurs législations en sorte d’y donner droit de cité aux ONG telles que les promeut la Banque Mondiale.

Parallèlement, celle-ci développe des efforts pour amener les investisseurs privés internationaux à se doter de codes de bonne conduite et à s’organiser, pour cela … en ONG. Ainsi, en 1999, à l’instigation de Nike, qui avait vécu durement des campagnes d’ONG contre ses « sweatshops », une association s’est formée entre cette entreprise, Gap, Inditex (Zara) et la Banque pour améliorer les conditions de vie des salariés et des communautés environnant leurs implantations dans les pays en développement, qui finance des dispensaires, cliniques, programmes de formation. D’autre part, la Banque, dans le cadre de son « Groupe de travail des ONG » et dans celui des travaux préparatoires aux « Cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté », sélectionne et finance des organismes dont elle fait ses interlocuteurs privilégiés et qu’elle adoube devant les pouvoirs publics nationaux.

Elle peut à l’inverse entraver le développement d’autres ONG.

Le site Internet de Transparency International raconte les difficultés que la Banque Mondiale a posées sur le chemin des premiers développements de cette ONG qui se proposait de faire la chasse à la corruption, tant au niveau des corrompus que des corrupteurs. « La proposition d’un financement important de la Banque Mondiale s’est

heurtée à l’opposition de son département juridique, dont certains membres s’opposaient activement au projet de nous soutenir au motif que nos financeurs pourraient être poursuivis en justice pour diffamation. (…) Une nouvelle opposition de la Banque se fit jour lorsque TI lança l’idée d’un ‘pacte d’intégrité’ (… jugé ) source de contraintes anti-compétitives (‘Certaines compagnies n’aimeront pas signer des documents déclarant qu’ils ne paieront plus de commissions’), et une tentative de l’introduire au Népal fut bloquée sur instructions de Washington.” »

Les réseaux personnels des dirigeants de TI leur permettent de rencontrer régulièrement, toutefois, d’autres dirigeants de la Banque, qui manifestent un « appétit

dévorant » pour leurs idées. « Un changement important intervient en 1995 lorsque (…) James Wolfensohn, prend la présidence. Il est rapidement convaincu que la corruption n’est pas un problème aussi politique que ce que les juristes prétendaient

mais une question économique ayant des effets directs et négatifs sur l’efficacité des programmes de la Banque. TI est invitée à diriger un séminaire d’une journée sur le sujet pour Wolfensohn et son équipe. Et comme les juristes continuaient de s’opposer à ce que la Banque finance l’ONG, Wolfensohn engage (le président et son adjoint) comme consultants pour aider au développement d’une stratégie anti-corruption pour la Banque. (…) Ultérieurement, un certain nombre de hauts dirigeants de la Banque commencèrent à soutenir notre travail, mais l’interdit de nous financer persiste. (…) Nous sommes surpris : un changement majeur de politique, dont nous pensions qu’il prendrait dix ans pour se produire, s’était accompli en moins de deux années. »

Un récit qui montre combien de grandes organisations intergouvernementales peuvent être tiraillées entre plusieurs logiques, mais œuvrent collectivement à attirer sur leurs positions les ONG susceptibles de les déstabiliser : M. Wolfensohn a su séduire l’état major de Transparency International, sans que des changements fondamentaux s’en soient ensuivis dans la politique de la Banque.

Pour Maxime Haubert (IEDES-Paris I), « l’examen des discours et actions (de la Banque Mondiale) concernant le ‘renforcement de la société civile’ montre que

celle-ci ne doit en fait jouer qu’un rôle subsidiaire et instrumental, moins important même en définitive que celui de l’Etat ‘ajusté’. C’est pourquoi les trois qualités essentielles attribuées et réclamées à la société civile sont d’agir à la base, sans but lucratif et sans objectif proprement politique : autrement dit de relayer les interventions du secteur privé lucratif, de l’Etat ‘ajusté’ et des bailleurs de fonds internationaux dans les domaines où elles se heurtent à la diversité des situations, des valeurs, des aspirations et des comportements ; de mobiliser les ressources des pauvres pour le développement, favorisant ainsi les progrès du marché sans participer aux profits correspondants et de prendre en charge les coûts ‘sociaux’ et autres ‘externalités négatives’ de la restructuration économique ; et d’éviter les ‘dialogues sur les politiques’ – en se concentrant uniquement sur les modalités de gestion des programmes de restructuration économique. Les mobilisations pour le développement économique et social se muent en mobilisations pour la transformation de l’ordre

dominant. Ce sont ces vertus qui sont sublimées dans les organisations non gouvernementales ».43

Cette critique est à rapprocher du «guide» qui proclamait : «Malgré leur diversité, le

secteur des ONG manifeste des forces spécifiques communes : des liens forts avec la base, des capacités d’innovation et d’adaptation, une approche privilégiant les processus dans le développement, des méthodes et des outils méthodologiques participatifs, des capacités d’engagement à long terme et un souci de la soutenabilité, un bon rapport coût-efficacité. »

Le Rapport 2000 de la Banque Mondiale (section 3) affirme : « La mondialisation

sollicite les gouvernements nationaux pour une recherche d’accords de partenariats – avec les autres gouvernements nationaux, les organisations internationales, les organisations non gouvernementales, (ONG) et les entreprises multinationales – par l’intermédiaire d’institutions supranationales ». Ses ambitions ne sont donc pas

moindres que celles du système des Nations Unies à être le chef d’orchestre des régulations mondiales, en incluant les ONG dans le régime qu’elle souhaiterait bâtir.

La préférence avouée de la Banque mondiale pour les communautés de bases et autres ONG nationales des pays en développement, son soutien à l’émergence d’ONG reflétant les points de vue patronaux font partie d’une stratégie politique qui semble viser à alléger la pression qu’exercent les ONG des pays du Nord. Celles-ci se sont arrogées, de façon illégitime selon l’institution financière, une fonction de représentation et de porte parole des « pauvres » des pays du Sud.

Les manifestations de rue qui entourent les réunions bisannuelles de la Banque sont certainement un stimulant actif dans l’affinement de cette stratégie. « La Banque

Mondiale dispose désormais de deux cents spécialistes des sciences sociales, contre quatre au début des années 1990, pour se pencher sur la ‘société civile’. Après Seattle, elle a fait un pas de plus en embauchant du personnel chargé de faire le lien avec les ONG. 44»

43

Maxime Haubert : Le risque idéologique – Le Courrier de la planète, n° 63, 2001, p. 13

44

Isabelle Sommier – Le renouveau des mouvements contestataires – Champs Flammarion – p. 264, qui se réfère à Christian Losson et Paul Quinio, Génération Seattle, les rebelles de la mondialisation

Les résultats sont assez minces puisque la Banque Mondiale est devenue aujourd’hui, avec le FMI et l’OMC, l’une des organisations les plus systématiquement prises à partie par le mouvement alter-mondialiste qui dénonce aussi bien les arrière-plans politiques et antiécologiques de ses opérations d’infrastructure, que les insuffisances des programmes de lutte contre la pauvreté qu’elle coordonne dans une philosophie générale qui ne fait que tempérer les effets violemment anti-sociaux des abaissements de barrières douanières qu’elle exige des pays pauvres.