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La perspective transnationaliste : les acteurs dépassent les frontières

des relations internationales

C) La perspective transnationaliste : les acteurs dépassent les frontières

Ce qui caractérise ce courant de pensée, c’est d’une part de voir « dans les individus et

la société civile des acteurs à part entière de la politique mondiale ; de l’autre de soulign(er) les liens d’interdépendance reliant entre eux l’ensemble des acteurs, étatique et non étatiques71 ».

Si cette « vision » a aujourd’hui acquis une certaine importance, c’est du fait de la mondialisation économique et en matière d’information, qu’accompagne notamment le développement des entreprises « transnationales » et des organisations non gouvernementales internationales : « La mondialisation comprend des réseaux de

collaboration complexes, qui mobilisent, par l’intermédiaire des organisations internationales, des ONG et des entreprises transnationales contrôlées par les élites socioculturelles du Nord et du Sud.»72

Mais la question a été soulevée bien avant la fin du XXe siècle . Ainsi, dès 1955 Quincy Wright, suggérait-t-il que « c’est à des types de groupes divers - nations,

Etats, gouvernements, peuples, régions (…) et même organisations industrielles, culturelles, religieuses - qu’il faut s’intéresser par l’étude des relations internationales. »73 En 1969 Karl Kaiser proposait « de compléter l’approche

classique (par les) termes de ‘société transnationale’, (c'est-à-dire) un système d’interaction (…) entre des acteurs sociétaux appartenant à des systèmes nationaux différents ». Et il distinguait parmi eux des « organisations relativement structurées avec des unités opérant dans différents Etats »74: Eglise romaine, firmes multinationales, organisations internationales non gouvernementales, et d’autres, à peine organisées comme les mouvements d’étudiants et le tourisme.

71

Dario Battistella, Ibid., p 178

72

Pierre de Senarclens, Ibid., p. 174

73

Quincy Wright - The study of international relations - Appleton-Century, 1955, p. 6

74

Karl Kaiser - La politique transnationale. Vers une théorie de la politique multinationale - 1969, cité par Dario Battistella, Ibid., p. 181

Bertrand Badie et Marie Claude Smouts argumentent ainsi en faveur de la thèse transnationaliste : « Les paramètres se multiplient sur lesquels les diplomaties n’ont

que peu de prise : flux migratoire, ou flux de capitaux, circulation des idées ou des hommes, dégradation de l’environnement, dissémination des armements. Dans un tel contexte, la politique ne s’élabore plus dans un lieu unique mais se trouve de plus en plus éclatée en centres multiples de production internationale dont la coordination est de moins en moins assurée. Les acteurs économiques, les groupes de pression, les acteurs culturels, les villes, les partis politiques, les leaders d’opinion émettent chacun une politique extérieure et disposent de moyens, plus ou moins performants, pour en commencer l’application. »75

En des termes voisins, mais en situant sur le terrain de la philosophie du droit, Jürgen Habermas définit en ces termes les fondements de la pensée « transnationaliste » :

« Jadis, l'Etat-nation était la réponse convaincante à un défi historique : trouver un équivalent fonctionnel aux formes d'intégration sociale, en voie de dissolution, des débuts de la modernité. Nous sommes aujourd'hui, confrontés à un défi analogue. La mondialisation des échanges et de la communication, de la production économique et de son financement, du transfert de la technologie et des armes, et, surtout celle des risques écologiques et militaires, nous placent devant des problèmes qui ne peuvent plus trouver de solution, ni dans le cadre de l'Etat-nation ni par la voie, jusqu'ici courante, des accords entre Etats-souverains. Sauf erreur de ma part, la souveraineté des Etats-nations continuera à se vider de sa substance et appellera la construction et le développement de capacités d'action politique à un niveau supranational, dont les amorces sont déjà observables. »76

Une activité transnationale n’implique pas nécessairement la disposition ou la mise en œuvre d’une institution puissante et dont les moyens dépassent les frontières nationales. James N. Rosenau77, qui établit un distinguo entre les acteurs de « niveau

micro » et ceux de «niveau macro », affirme que tous, virtuellement, ont une capacité

à jouer un rôle international aujourd’hui, du fait de l’intensité des réseaux de communication qui font, de chaque homme ou presque, un individu concerné par

75

Bertrand Badie et Marie ClaudeSmouts, Ibid., p. 228

76

Jürgen Habermas - L’intégration républicaine – Essai de théorie politique – Fayard 1998, p. 97

77

l’international, et ce d’autant plus qu’il le devient de plus en plus structurellement par le phénomène de la multi-appartenance : par exemple un Français est aussi citoyen de l'Union Européenne, membre de l’espace francophone… Les capacités d’action des citoyens, en particulier organisés, sur la dimension internationale apparaissent sans précédent.

Dans une filiation gramscienne, Thomas Risse souligne la capacité d’action internationale des « ‘communautés épistémiques’ définies comme des réseaux de

professionnels exigeant avec force une transparence dans les conséquences des politiques. (…)Les réseaux d’organisations de défense, communautés épistémiques et autres acteurs transnationaux peuvent parvenir à des effets substantiels sur les politiques des Etats, sur la création de normes internationales et sur l’introduction de ces normes dans les pratiques domestiques78». La question du mode de constitution de tels groupements, appelés à exercer une influence sur les organismes normalisateurs lui semble essentielle.

Les transnationalistes, voient dans les relations internationales de nombreuses et diverses marques d’une participation directe et indirecte d’acteurs non gouvernementaux. Parmi les facteurs qui ont porté cette thèse sur le devant de la scène, figurent des évènements comme l’intervention croissante d’entreprises multinationales dans les affaires internationales. Ainsi de celle de la firme ITT en tant qu’acteur du coup d’Etat militaire au Chili en 1973. De même l’impact accru des opinions publiques sur les décisions d’engagement militaire, par exemple pendant et depuis la guerre du Vietnam, a-t-il marqué les esprits.

Que ce soit dans une dimension nationale ou transnationale, politique ou économique, qu’elles soient parties prenantes ou non à des réseaux… les rôles joués par les acteurs non gouvernementaux, dans le cadre de relations interactives et intersubjectives avec les autres acteurs, semblent de plus en plus dignes d’intérêt pour les « transnationalistes ».

Mettant en exergue l’importance de l’interdépendance du monde contemporain, facteur d’optimisme parce que « l’attractivité du recours à la violence à des fins

78

politiques diminue au fur et à mesure qu’augmente l’interdépendance 79», la thèse transnationaliste peut déboucher sur des déclarations d’un certain lyrisme quant au pouvoir des ONG : « La diplomatie transnationale des ONG (est) capable d’organiser

des événements à l’appui d’un plaidoyer et des activités de lobbying en s’affranchissant des frontières. Les ONG transfrontalières opèrent au niveau international, telle Greenpeace, créateur de coalitions s’opposant à l’OMC, au Forum Economique Mondial, au FMI ou à des entreprises transnationales. »80

Les limites de cette thèse sont sans doute dans les excès de l’expression de certains de ses promoteurs : mettre sur le même plan l’individu politiquement conscient membre d’une micro-ONG d’une part, et le gouvernement d’une grande puissance d’autre part n’a pas de sens. Les « réalistes » ne manquent pas de le souligner : « L’approche

transnationaliste ignore la complexité des choses. C’est une théorie réductrice, fondée sur une logique binaire : plus d’acteurs transnationaux = incapacité de l’Etat. (…) Cette approche ne tient pas compte de l’extraordinaire hétérogénéité des ‘deux mondes’, celui des Etats et celui des acteurs non étatiques81 ». Une analyse

excessivement sévère, si l’on prend en compte le fait que des auteurs parmi les plus importants de la mouvance transnationaliste, Robert Keohane et Joseph Nye,

« constatent que les acteurs sont en situation d’interdépendance asymétrique les uns par rapport aux autres (… et que) la vulnérabilité des différents acteurs en général et

(…) des Etats en particulier (est) variable selon les enjeux. (…) Il s’ensuit une

redistribution, voire un éclatement de la puissance entre les différents Etats et entre Etats et acteurs non étatiques.82 »

Au delà de ses excès, cette théorie mérite une attention particulière car c’est sans doute celle qui donne à l’acteur ONG (au sens large) la place la plus importante tout en soulignant son interdépendance avec les autres.

79

Jaap de Wilde - Saved from oblivion, interdependance theory in the first half of the twentieth century - Aldershot 1991, p. 8

80

Raymond Saner et Lichia Yiu - Site internet de l’Institut néerlandais de relation internationales - janvier 2003

81

Samy Cohen, Ibid., p. 235-236

82

Dario Battistella, Ibid. p. 185, résumant Power and Interdependance de Robert Keohane et Joseph Nye- Addison-Wesley, 2001