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La lente ouverture de l’Association des Nations du Sud Est Asiatique

existant ou espérées entre les ONG et les organisations intergouvernementales

C) La lente ouverture de l’Association des Nations du Sud Est Asiatique

Soucieux de ne pas verser dans l’européocentrisme, nous avons tenu à examiner la façon dont certaines organisations intergouvernementales régionales non européennes géraient le modèle des statuts consultatifs. L’organisation des pays du Sud-Est asiatique, qui a fait le choix de ce type d’institutionnalisation de ses rapports avec les ONG, nous a paru intéressante à observer à cet égard.

Une patiente exploration du site Internet de l’ASEAN35 permet de découvrir que 53 ONG bénéficient d’une « accréditation » qualifiée, un peu plus loin de « statut

d’affiliation », signe intéressant d’une certaine confusion conceptuelle. D’autre part ce statut ne figure pas dans les parties du site qui présentent la structure juridique de

l’ASEAN.

Le lent processus qui a conduit à la création de l’ASEAN contemporaine, laquelle, à sa fondation en 1967, n’était qu’une entité informelle qui n’a commencé à se doter d’organes de fonctionnement qu’à partir du début des années 1970, explique pour

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Marcel Merle : Un imbroglio juridique, Ibid., p. 8

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partie ce flou. Le Secrétariat et l’Organisation interparlementaire n’existent que depuis une vingtaine d’années.

1) Le statut d’affiliation

Les 53 ONG accréditées ont dû satisfaire aux obligations habituelles dans les autres institutions internationales dotées de statuts consultatifs, mais en outre, démontrer être actives dans tous les pays de l’ASEAN, à moins que les gouvernements des pays non couverts, par exception, n’aient donné leur accord à l’admission. C’est dire qu’elles ont été triées sur la base d’exigences pratiquement hors d’atteinte d’organismes purement privés et donc soumis à une appréciation politique discrétionnaire. Du reste les intitulés signalent que ce sont toutes des entités créées par l’ASEAN elle-même36 et que « la plupart » des ONG bénéficiant du statut sont « spécifiques et techniques » et que seulement six s’intéressent au « développement social », ce qui limite les risques de dérive politique

Les droits qui leur sont consentis sont de faire des recommandations et de donner des avis, ainsi que d’assister à des réunions, mais avec l’accord exprès du président de séance et l’accès à l’information.

2) La revendication d’un dialogue amélioré

Doit-on en conclure que, grâce à ces précautions statutaires, l’ASEAN a réussi à cadenasser le risque que des organisations des sociétés civiles asiatiques aient l’audace de vouloir se mêler des activités de cette organisation intergouvernementale régionale active dans une région où la majorité des gouvernements est loin d’être démocratique ? Doit-on également supposer que les ONG asiatiques sont moins revendicatrices que celles d’autres régions d’un accès aux tribunes internationales et ne contestent pas la place dérisoire que leur organisation régionale réserve à leurs représentants, au demeurant quelque peu fabriqués ?

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ASEAN Association for Planning and Housing (AAPH - Philippines), Committee for ASEAN Youth

Cooperation (CAYC- Malaysia), ASEAN Confederation of Women's Organisations (ACWO - Singapore), Federation of ASEAN Economic Associations ( Indonesia), ASEAN NGOs for the Prevention of Drugs and Substance Abuse ( Malaysia) et ASEAN NGO Coalition on Aging in Chiang Mai ( Thailand ).

La réponse est doublement négative : Rodolfo C. Severino, Secrétaire général de l’

Association of Southeast Asian Nations, s’exprimant le 30 August 2002devant l’

ASEAN People’s Assembly, après avoir déclaré partager la conviction des gouvernements que bien des problèmes qui se posent dans la région ne trouveront leur solution qu’au travers d’une intégration plus poussée, ajoutait que la question du dialogue avec les sociétés civiles d’Asie du Sud Est se pose autour de la question :

« Comment les organisations civiques peuvent-elles porter leurs opinions et leurs préoccupations à la connaissances des instances intergouvernementales ? » Puis il

suggèrait deux voies : « Que l’ASEAN People’s Assembly et ou ses organisations

membres aient des rencontres avec les institutions officielles de l’ASEAN. Cela aurait une valeur hautement symbolique, un grand impact sur l’opinion publique et serait utile à une prise de conscience de groupe parmi les gouvernements de l’ASEAN.

(Ensuite) les organisations civiques pourraient être régulièrement consultées par le

Secrétariat de l’ASEAN. »

Ainsi l’institution en trompe l’œil d’une relation faussement décalquée des statuts consultatifs des Nations Unies, conçue comme une concession de la part d’une organisation internationale composée en majorité d’Etats autoritaires, n’est-elle pas suffisante pour faire barrage au germe de la revendication d’un partage du pouvoir.

Le fait même que la question soit publiquement posée sur son site et non censurée par l’ASEAN constitue déjà un signe d’évolution.

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La méthodologie de gestion des relations avec les ONG conçue par le système des Nations Unies a fait école auprès d’une partie des organisations intergouvernementales. Le Conseil de l’Europe illustre en quoi une imitation respectueuse de l’esprit ayant présidé à l’organisation des rapports entre organisations non gouvernementales et système onusien peut être riche de conséquences.

Les deux derniers exemples évoqués, Organisation Internationale de la Francophonie et ASEAN illustrent en revanche l’ambiguïté et les limites de la notion de « statut

consultatif » : l’affichage d’un intérêt pour un partenariat peut être démenti par une pratique sélective dans l’attribution du statut ; le respect annoncé de l’autonomie peut être infirmé par des procédures de contrôle étroites ; l’intérêt déclaré pour la dynamique que la participation des ONG peut apporter à certains sujets, comme la promotion de la démocratie et des droits de l’homme, peut être annulé par des pratiques inspirées par l’angoisse d’être débordé…

Le système des « statuts consultatifs » se prête donc à des jeux de stratégies offrant aux organisations non gouvernementales une assez large gamme de possibilités d’action.

L’examen de ces pratiques soulève deux questions :

- pourquoi une institution multilatérale créée par des gouvernements peu enclins à donner la parole aux organisations de leurs sociétés civiles trouve-t-elle opportun de se livrer à un ersatz de concertation au travers de mécanismes complexes, alors qu’il serait plus simple de ne rien prévoir du tout ? Longtemps telle a été du reste la position de la plupart des organisations régionales. L’explication est qu’aujourd’hui la pression des pays démocratiques les plus puissants pour introduire la démocratie chez leurs « partenaires » peu allants sur ce chapitre est telle que ces derniers élaborent des stratégies défensives ; parmi lesquelles figurent des concertations institutionnalisée avec la société civile. Les statuts consultatifs en font partie, et s’y prêtent fort bien.

- pourquoi les ONG défenderesse de droits et non inféodées à des gouvernements ne protestent-elles pas contre l’existence de telles pratiques qui se traduisent par leur tenue à l’écart ? Cette question rejoint celle, déjà identifiée, de la sociologie des ONG occupant les positions de notabilité au sein des instances officielles des Nations Unies : le fait que les ONG occupant des postes en vue dans les organisations intergouvernementales n’aient guère de légitimité au regard de leurs collègues, produit un principe déjà évoqué, que l’on pourrait qualifier de « notabilité otage ». Chacune des parties est consciente de la faiblesse de l’instance « truchement » ; cette conscience fait partie du fonctionnement de l’institution ; les ONG « notables » exercent une fonction de mise en relation entre les secrétariats des organisations intergouvernementales et les ONG « ténors » qui choisissent de rester en dehors (pour

ne pas se compromettre, ne pas donner l’impression qu’elles se notabilisent, ou parce qu’on les tient à l’écart) du dispositif institutionnel, tout en entendant user de leur notoriété pour peser sur son fonctionnement. Otages de cette relation indirecte, mais aussi forts de la pression exercée par les ONG « ténors », les responsables des ONG « notables» s’efforcent de négocier des inflexions dans les positions des organisations intergouvernementales et, indirectement des gouvernements des Etats-membres. Les ONG « notables » exercent aussi une fonction de vigie, alertant les « ténors » sur les sujets qu’elles pensent susceptibles de les faire réagir.

Il en va ainsi, tout particulièrement dans la préparation et le fonctionnement des grandes conférences et plus généralement réunion intergouvernementales où des strapontins sont offerts aux « notables »: l’autre partie des ONG organise ses « contre sommets » et autres « forums alternatifs » qui ont pignon sur écrans et exerce une pression médiatique, tandis que l’information circule entre les deux scènes (il y a théâtralisation). On n’en est pas encore arrivé là concernant l’OIF et l’ASEAN, mais sans doute les ONG non créées par des institutions publiques font-elles le pari que c’est l’évolution qui se produira probablement

Ces deux questions permettent de comprendre un peu plus par quelles voies, parfois tortueuses, passe la conquête de leur autonomie par les ONG, notamment celles de l’alibi et du truchement, vis à vis d’organisations intergouvernementales peu ouvertes à leur endroit.

III. Deux modèles alternatifs : Banque mondiale, Union européenne et

un de leurs épigones, l’Union Africaine

Le régime conçu par l’Organisation des Nations Unies, s’il est largement répandu et imité, n’est pas le seul. Plusieurs organisations intergouvernementales ont cherché à organiser d’autres modes de relations avec leur environnement. Cette ingénierie organisationnelle exprime des conceptions très différentes tant sur les organisations des sociétés civiles avec lesquelles elles souhaitent coopérer que quant à la hiérarchie qu’elles établissent entre les acteurs internationaux.

On présentera ici deux institutions qui ont conçu des régimes originaux et fort différents, la Banque Mondiale et l’Union Européenne. Pour illustrer la force de conviction qui est la leur, on présentera une toute jeune institution, l’Union Africaine, qui s’apprête à en tenter la synthèse.

Ces modèles sont originaux, mais aussi contestés : Banque Mondiale et Union Européenne, en dépit de leur inventivité dans leurs rapports avec les organisations des sociétés civiles, se sont trouvées tout autant violemment agressées, au cours de ces dernières années, que des institutions comme le Fonds Monétaire International, l’Organisation pour la Coopération en Europe, l’Organisation Mondiale du Commerce ou encore cette entité politique qu’est le G 7- G 8, toutes dénuées de mécanisme de concertation avec les ONG,. La dureté de la contestation qui vise aujourd’hui Banque Mondiale et Union Européenne contraste avec l’empathie présidant aux relations entre les institutions du système des Nations unies et les ONG. Cette différence est souvent mise, au moins partiellement, sur le compte d’une mauvaise gestion des relations avec ces dernières. Essayons de comprendre.