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Si les ONG sont de plus en plus impliquées dans des rapports de proximité avec un nombre important d’institutions multilatérales, ceci ne signifie pas nécessairement que le lien historique qui les rattache à l’Etat qui les a vu naître s’en trouve distendu. Bien au contraire.

Les différentes interprétations philosophiques de la notion de société civile soulignent, depuis le début du XIXe siècle, l’existence d’un fort rapport de production réciproque entre celle-ci et l’Etat. La plupart des organisations de la société civile est le produit d’une relation particulière à ce dernier : réaction à ses politiques ou désir de pallier l’une de ses carences. Chacune est liée à une histoire, une culture où dominent, le plus souvent, des caractéristiques nationales partagées avec un Etat.

La question de la prégnance du niveau national se pose avec vigueur, y compris pour les ONG dites transnationales. Lorsque Thomas Carothers affirme : « Aujourd’hui

déjà, plus de 5 000 organisations non-gouvernementales travaillent au niveau international », il corrige avec juste raison aussitôt : « Elles ont leur siège dans un pays bien précis mais œuvrent aussi souvent dans d’autres pays »1, soulignant la force du niveau et de la dimension nationaux.

Les ONG ne pouvant prétendre à la qualité d’être transnationales (nous préciserons cette notion dans le Titre III) sont, quant à elles, des dizaines de milliers (voire des centaines de milliers selon la définition de la Banque Mondiale2) et constituent une écrasante majorité. A fortiori leur réalité est d’abord nationale. Leurs interlocuteurs

principaux sont d’abord étatiques. C’est donc avec l’Etat que se pose, pour elles, en premier lieu la question de l’autonomie d’action. « (Les ONG ont) des

caractéristiques institutionnelles distinctes propres à leurs structures et cultures organisationnelles dont l’origine se trouve dans l’environnement institutionnel national. (…Elles) opèrent dans un environnement institutionnel qui est largement déterminé par les structures domestiques de l’Etat-nation. »3

« Attaquée de toutes parts, la forme étatique avec les privilèges qui lui sont liés a gardé toute sa séduction sur la scène internationale. (…) Les acteurs, publics ou privés concourent(…) à entretenir cette fiction d’un ordre inter étatique (…) parce que l’Etat reste encore le principal producteur de normes, le seul qui puisse prendre des décisions obligatoires pour l’ensemble de la population sur un territoire donné. »4

Les Etats jouent, à l’endroit des organisations de la société civile, plusieurs rôles porteurs de contraintes : ils fixent le cadre juridique au sein duquel elles exercent la réalité de leurs activités ; ils organisent des institutions favorisant un dialogue centré sur le partage de valeurs ; et ils maîtrisent des règles budgétaires contraignantes dans leur sophistication. Jusqu’à quel point ces contraintes brident-elles réellement toutefois leur capacité à se comporter comme des acteurs autonomes ? C’est autour de ces quatre idées et de cette question que s’articulera la suite de ce chapitre.

Une difficulté méthodologique particulière se pose ici : chacun des près de deux cents pays composant la planète présente, de façon quasiment tautologique, une spécificité pour ce qui est des relations entre l’Etat et les ONG qui y ont leur siège et/ou y travaillent : c’est le produit de son histoire.

Il n’est pas question d’établir ici un répertoire des relations entre tous les Etats et ONG du vaste monde qui passerait en revue chacune des situations nationales. Ce travail titanesque, a déjà été partiellement réalisé et jugé par son auteur lui-même 2

La Banque estime à entre 6.000 (Gezelius and Millwood, 1991, p. 282) et 30.000 (Dichter, 1991, p. 69) les ONG nationales dans les pays en développement et à des centaines de milliers les CBOs. (Guide book for relation between Worldbank and NGOs, site Internet www.world-bank 2003)

3

Thomas Risse - Transnational actors and world politics - Handbook of international relations - Oxford University Press, 2002, p. 261

4

Bertrand Badie et Marie-Claude Smouts – Le retournement du monde – Presses de sciences Po – 1999, p. 115-116

insatisfaisant5. On retiendra pour double parti pris (1) qu’on ne connaît vraiment, sur un tel sujet, que les situations que l’on a intimement vécues, à peine d’analyses sommaires, et que (2) l’on peut toutefois, par sondages organisés à l’intérieur d’un schéma interprétatif distinguant des différences assez marquées au niveau des continents, procéder à des comparaisons pertinentes. Aussi les analyses qui suivent seront-elles centrées sur le cas français qui tiendra lieu de point de référence pour des comparaisons qui distingueront sommairement pays développés et en développement.

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Michel Doucin, dir.– Guide de la liberté associative dans le monde : les législations des sociétés civiles de 138

I. Un objet juridico-politique toujours ramené à sa réalité nationale

La notion d’ONG est paradoxale. Tout le monde croit comprendre de quoi il s’agit. Elle est pour cela d’usage courant. Mais, outre qu’elle couvre des champs réels très divers pour ceux qui l’utilisent (du sens étroit réservé aux « humanitaires » au sens très large de toute organisation d’une société civile, quelle que soit sa taille et son objet), elle demeure largement une fiction puisqu’elle évoque un « leurre » juridique, ainsi que le signalait Marcel Merle. Et elle est, de fait, ramenée à une réalité politique : celui d’un rapport étroit avec l’Etat de son siège. Car son inscription dans un cadre de droit national détermine plusieurs conséquences fortes.

On peut, certes distinguer trois situations génératrices, à priori, de rapports différents avec les Etats : le cas où le droit applicable est celui, formaliste des associations, fondations et autres institutions du contrat à but non lucratif ; celui du mouvement informel ; et celui où l’expression organisation non gouvernementale entre dans le droit positif. Il en résulte, dans chacune de ces situations, que l’ONG est tenue à avoir des relations fortes avec l’Etat de son siège principal. Celles-ci se prolongent par des liens politiques interactifs qui ont la priorité, sauf exception, sur la vocation « transnationale » de l’organisation.

A) Les contraintes du droit national formel

Le Guide de la liberté associative dans le monde6 met en évidence combien les

législations applicables aux organisations de la société civile (associations, fondations et syndicats ) entraînent toujours l’obligation, pour les ONG, de se soumettre à des relations comportant une part de négociation avec les administrations des pays où elles ont leurs sièges : certes, certains Etats connaissent théoriquement les ONG de fait, non contraintes à enregistrement auprès des pouvoirs publics. Mais il s’agit d’exceptions n’emportant quasiment aucun pouvoir d’action juridique. La règle est un certain formalisme qui entraîne des pratiques de communication, et finalement un dialogue

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