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Le pacifisme au milieu de la mêlée idéologique

l’Etat moderne

B) Les porte parole du désir de paix

2) Le pacifisme au milieu de la mêlée idéologique

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Marc Agi, Idem, p. 44

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René Cassin - Les anciens combattants français et la SDN, P.U.F., 1925

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Marc Agi – René Cassin, 1887 – 1976, Prix Nobel de la Paix, père de la Déclaration universelle des droits de

l’homme – Perrin 1998, p. 48

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Marc Agi - De l’idée d’universalité, Idem, p. 299

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A l’approche de la fin du conflit, les fondateurs de l’Organisation des Nations Unies s’efforcent de tirer les leçons de l’échec du pacifisme de l’Entre-deux-guerres (nous rapportent René Cassin et Stéphane Hessel, qui participent aux discussions): l’apocalypse qui allait s’achever n’était-elle pas aussi la conséquence d’une défaite philosophique et morale due à l’abdication de la pensée européenne devant le racisme, la xénophobie et le culte primitif du héros ? Les fondateurs des Nations Unies, en institutionnalisant des concertations avec les organisations intellectuelles et morales, cherchèrent en elles des relais potentiels dans le combat pour l’établissement d’un nouvel ordre international pacifié.

Dès février 1945 des représentants des affaires et du travail sont inclus comme « conseillers » dans la délégation américaine à la Conférence interaméricaine sur les

problèmes de guerre et de paix. « L’article 63 de la Charte des nations unies portant création de la Commission des droits de l’homme ( …) est ‘du pour une large part (à ces) consultants’ »56. A partir de cette expérience, l'administration du président Roosevelt désigne 42 ONG comme conseillers de la délégation américaine pour la conférence des Nations Unies sur les organisations internationales57.

En réponse à la sollicitation explicite des fondateurs de l’Organisation des Nations Unies, des fédérations et des unions internationales sont fondées qui ambitionnent de seconder celle-ci dans sa mission de consolidation de la paix et des libertés publiques et privées : ligues et unions internationales d’éducateurs, de femmes, de militants antiracistes, de défenseurs des droits de l’homme, de protecteurs du patrimoine, de l’enfance et des minorités.... En 1947 René Cassin déclare : « La clé de voûte des

droits de l’Homme repose, sur le plan international comme à l’intérieur de chaque pays, sur le contrôle et le soutien de l’opinion publique (...) Je milite depuis 1918 dans les ONG, travaillant pour la paix et l’amélioration de la condition humaine »58. Les institutions naissantes du système des Nations Unies s’appuient ostensiblement sur les clubs UNESCO, les sections nationales de l’UNICEF, l’Association Internationale

de Médecins contre le Nucléaire et le Mouvement pour une Alternative Non-violente

pour l’information des opinions publiques sur les valeurs de la paix et du

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Marc Agi - René Cassin, Idem, p. 308

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Site Internet de la Commission internationale des Droits de l’Homme, octobre 2004

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désarmement. La Dotation Carnegie pour la Paix joue un rôle essentiel dans l’adoption, en 1967, du Protocole portant révision de la convention de Genève de

1951 sur le statut des réfugiés.

Mais le pacifisme a, à cette époque, en Europe, « une double connotation négative.

D’une part, il est présenté comme une recherche de la paix ‘à tout prix’, qui peut conduire aux pires errements, ceux des ‘Munichois’, (…qui ont) cru naïvement qu’on pouvait ‘pactiser’ avec Hitler. D’autre part, (comme) le pacifisme des ‘partisans de la paix’ et de l’appel de Stockholm (1948) dévoyé par les manipulations staliniennes ».59

L’affaire Rosenberg illustre dramatiquement la difficulté, pour ce mouvement, de s’autonomiser par rapport au conflit Est/Ouest. L’attribution du prix Nobel de la paix, en 1962, au déjà prix Nobel de chimie (1956), l’Américain Linus Pauling, très engagé dans le mouvement pacifiste, qui avait eu maille à partie avec le Maccarthysme, a, de ce fait, suscité une vive controverse.

Certaines ONG travaillent, sur d’autres champs. Ainsi le Mouvement Européen est-il à l’origine directe de la création du Conseil de l’Europe, organisation dont il espérait qu’elle rendrait structurellement les guerres impossibles sur ce continent et qui a inspiré pour partie le projet politique de l'Union Européenne ; l’International Lawyers

Association a fondé le Comité maritime international, producteur d’un droit maritime

qui doit mettre fin aux conflits commerciaux en mer…

Dans le contexte des affrontements idéologiques et guerriers entre démocraties et dictatures fascistes d’une part, démocraties libérales et dictatures communistes d’autre part, la question de la paix a soulevé, tout au long des deux tiers du XXe siècle, des questions qui dépassaient largement l’approche philosophique héritée des Lumières. Beaucoup d’organisations des sociétés civiles se sont rangées dans l’un ou l’autre camp. Celles qui s’en sont tenues à une orientation non partisane ont trouvé dans les organisations multilatérales, dont elles ont été des partenaires très proches, le champ véritable de leur pratique. D’où un jeu de miroirs en abîme sur lequel nous reviendrons plus loin.

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Bernard Dréano, président de l’Assemblée des citoyens d’Helsinki – La belle Irène, l’éléphant et le

La fin de la Guerre froide offre une marge de manœuvre nouvelle pour une action militante en faveur de la paix. Le troisième volet des Accords d’Helsinki (1975), le plus important, accepté par tous les signataires, concernait le respect des droits de l'Homme, notamment la liberté de pensée et de religion, et les contacts entre les personnes. Les mouvements de dissidence (par exemple les signataires de la Charte 77) prirent au mot les dirigeants communistes, leur demandant de respecter les accords, et en profitèrent pour se relier à des organismes internationaux comme Amnesty International.

« Dans l’appel de la Fondation britannique Bertrand Russel pour la Paix (1980) on

pouvait lire: ‘Il faut que nous commencions à agir comme si l’Europe unifiée, neutre et pacifique, existait déjà. Nous devons apprendre à orienter notre allégeance non pas vers l’Est ou vers l’Ouest, mais les uns vers les autres et nous devons négliger les interdictions et les limitations imposées par un Etat-nation quel qu’il soit.’ (…) Dans de nombreux pays, les gens se sont organisés par professions ou groupes d’affinités, pour le désarmement : médecins contre la guerre nucléaire, ménagères, employés de banques, enseignants... soldats et même officiers généraux de l’OTAN pour le désarmement ! A côté des manifestations traditionnelles (manifestations considérables en 1981 et 1983 impliquant des millions de personnes), les chaînes humaines (parfois longues de plusieurs centaines de kilomètres !), où chaque individu paraît à la fois plus vulnérable et plus engagé, illustrent cette dimension. De manière très significative, les mouvements féministes radicaux ont imprimé leurs marques à ces manifestations, loin des images véhiculées auparavant de femmes pacifistes parce que ‘ douces‘. Ces ‘nouveaux mouvements de paix indépendants’ s’étaient dotés de divers lieux de débats et de confrontations, en particulier les conventions annuelles END, vastes forums de plusieurs centaines de militants.(…) En juillet 1988 certains d’entre eux décidaient de pérenniser leur action Est-Ouest dans une organisation : la Helsinki Citizens’ Assembly »60

Ces pressions ont joué un rôle important dans les révolutions démocratiques qui secouent le bloc de l'Est à partir de la fin 1989 et qui s'achèvent par la chute du Parti communiste soviétique en août 1991 et l'éclatement de l'Union soviétique.

Au seuil du XXIe siècle, alors que la situation internationale est en plein bouleversement, et que le système multilatéral issu de la Seconde guerre mondiale est placé devant un certain nombre de défis graves, ce mouvement semble rencontrer des difficultés à se renouveler. « Aujourd’hui les luttes pour la paix (…) demeurent trop

isolées et ne porteront leurs fruits que si leurs expériences se diffusent au sein d’un mouvement alter mondialiste trop indifférent à leur égard. (…). En lutte contre un système planétaire, de surcroît dominé par l’hyper puissance militaire américaine, nombre de militants alter mondialistes simplifient les réalités concrètes des nouvelles guerres au nom d’analyses schématiques de type économiste (les causes des conflits se réduisent aux effets du néolibéralisme) ou anti-impérialistes (les conflits s’expliquent d’abord par les stratégies américaines). Cette presbytie empêche toute action concrète pour la paix sur le terrain, elle explique par exemple la scandaleuse non-intervention d’une partie de la gauche européenne face aux ultra nationalismes serbes et croates en 1990-95 en Yougoslavie, ou la difficulté de cette même gauche à faire face à la guerre civile algérienne ou à la sale guerre en Tchétchénie ». 61

Thomas Carothers, vice-président du service de politique internationale de la Fondation Carnegie Endowment for International Peace, confirme ces difficultés du mouvement pacifiste, qui remâche l’amertume de son échec des années 30 et doute de son avenir, quitte à entraîner tout le mouvement ONG dans son introspection négative : « Dans un essai que certains ont ironiquement baptisé ´Bowling with Hitler’, Sheri

Berman, de l’université de Princeton aux Etats-Unis, a présenté une étude dégrisante sur le rôle de la société civile pendant la République de Weimar. Dans les années 1920 et 1930, l’Allemagne avait une vie associative d’une richesse exceptionnelle. Nombre d’Allemands étaient affiliés à des fédérations professionnelles ou à des associations culturelles, des groupements que l’on compte parmi les piliers les plus importants d’une société civile favorable à la démocratie. Or Berman constate que cette société civile particulièrement active non seulement n’a pas soutenu les valeurs libérales, mais les a aussi franchement sapées. Les institutions politiques faibles n’étaient pas en mesure de répondre aux exigences de nombreux groupements de citoyens, ce qui incita ceux-ci à se tourner vers les groupements populistes,

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Bernard Dréano, Idem

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nationalistes, puis finalement nazis. En fin de compte, le dense réseau de la société civile allemande a même facilité l’établissement de l’appareil politique nazi. »62

D’où des relations complexes avec les institutions publiques contemporaines, qui vont de la collaboration étroite (les témoins de paix en Colombie, qui interviennent à l’appui des initiatives de l'Union Européenne, les boucliers humains qui, en Palestine, protègent le chef de l’autorité palestinienne) à la dénonciation (manifestations contre les sommets de l’OTAN). Et toujours l’angoisse de se tromper.

De l’histoire du mouvement pacifiste se dégage, finalement, une leçon centrale : la nécessité pour certaines ONG, pour atteindre leurs objectifs, de nouer des alliances avec des institutions publiques, Etats et organisations intergouvernementales, d’être attentives à ne pas se trouver réduites au rôle de supplétifs et de conserver une lucidité leur permettant de percevoir les conséquences à long terme de leurs engagements. Des critères subtils qui s’imposent à la démarche d’un nombre finalement assez grand d’entre elles.

Une problématique voisine s’est posée aux organisations issues de la décolonisation.