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Les grands rassemblements et conférences thématiques

existant ou espérées entre les ONG et les organisations intergouvernementales

D) Les grands rassemblements et conférences thématiques

L’ONU a, dès sa création, tenu nombre de conférences sur les sujets les plus divers, et elle y a invité, dans des rôles variables selon les sujets, de celui d’expert à celui d’auditeur, des ONG. Dès le lendemain de la Guerre, une trentaine d'ONG a été invitée à prendre part à la première Conférence pour la convention des réfugiés ; en 1955, le Conseil économique et social des Nations Unies organisa une conférence pour les ONG intéressées par l'éradication des préjudices et des discriminations ; en 1956, certaines participèrent à la Conférence des Nations Unies sur la Convention

supplémentaire pour l'abolition de l'esclavage. C’est avec le tout début des années

1990, toutefois que l’ONU a développé une formule faisant aux organisations des sociétés civiles une place significative, tant au niveau de la préparation, qu’à celui de

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l’apport en concepts et projets de normes, et encore quant à la communication : les conférences thématiques avec mécanisme de révision régulier.

Le Sommet de la Terre, tenu à Rio de Janeiro en 1992, fondé sur le rapport Bruntland, dont l’auteure s’était livrée à une vaste consultation associant un bon nombre d’organisations non gouvernementales, est généralement considéré comme ayant inauguré une ère nouvelle.

Ce rapport, largement communiqué, avait suscité un très important intérêt. La procédure d’enregistrement des ONG accréditées pour cette conférence fut placée sous le contrôle d’Etats favorables à une participation large. Un bon millier a reçu l’accréditation à participer et a pu déployer un lobbying de tous les instants sur les délégations, s’attachant à présenter des contre-propositions aux textes en négociation. Elles sont parvenues à accaparer l’attention de la presse, démontrant un grand professionnalisme dans la communication. Les délégations gouvernementales ont dû accepter d’adopter une Déclaration sur l’environnement et le développement assortie d’un Agenda 21 dotés d’un mécanisme de vérification périodique des engagements pris (déjà évoqué). Un certain nombre de protocoles traitant de l’environnement en est issu.

Le moule était coulé. Les autres conférences mondiales, qui vont se succéder à rythme rapproché, vont, le plus souvent, imiter, parfois essayer de se démarquer de Rio : dans ce dernier cas, le souci des organisateurs est d’éviter une trop grande pression des organisations des sociétés civiles.18 Leurs impacts sont variables, quelques fois importants non pas tant par les résultats concrets produits (souvent décevants et pour cela suscitant une prise de conscience ex post) que par le rapport de forces qui a été mis à jour (avec l’aide de la presse), les coalitions d’intérêt qui se sont formées, les

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Ce sont la Conférence mondiale des droits de l’homme de Vienne (1993), la Conférence

internationale sur la population et le développement du Caire (1994), le Sommet mondial du Développement social de Copenhague (1995), la Conférence mondiale sur les droits des femmes de

Pékin (1995), la Conférence mondiale sur les établissements humains d’Istanbul (1996), le Sommet

mondial de l’Alimentation de Rome (1997), la Conférence des Nations Unies pour l'Établissement d'une Cour Pénale Internationale de Rome (1998), la Conférence sur l'éducation pour tous de Dakar (2000), la Conférence sur les pays les moins avancés de Bruxelles (2001), la Conférence mondiale contre le racisme à Durban (2001), la Conférence sur le financement du développement de Monterrey (2002), le Sommet mondial du développement durable de Johannesburg (2002) et le Sommet mondial de la société de l’information de Genève (2003).

propositions innovantes qui ont été formulées, les nouveaux acteurs qui sont apparus (collectivités locales à Istanbul). Chaque conférence se conclut par un calendrier comprenant de nouveaux rendez-vous, en général cinq ans plus tard. Dans les mécanismes de suivi et de vérification des engagements pris, les secrétariats qui en sont chargés font souvent une place aux ONG les plus représentatives et compétentes. Ainsi s’instaure une quasi co-gestion du suivi des conférences mondiales.

« Dans le cadre des ‘forums’ qui leur ont été attribués, les OING se sont comportées

comme les représentants d’une sorte d’opinion publique mondiale au sein de laquelle se sont souvent affrontées des propositions contradictoires. En fait, ces manifestations ont surtout joué le rôle de groupe de pression tentant d’influencer les travaux des experts ou des délégués gouvernementaux qui siègent dans les conférences officielles. Le dialogue entre les deux catégories d’instances a parfois souffert de certaines formes de surenchère démagogique et de la confusion qui en résultait. Mais, de toute façon, ces expériences ne valaient aucune reconnaissance au profit des invités, en dehors de la durée des sessions.19 »

L’actuel Secrétaire général des Nations Unies a montré un intérêt tout particulier pour ces grands rassemblements thématiques qui se sont multipliés depuis le début de son mandat. Il a, ainsi, attaché un grand soin à organiser, en septembre 2000, un Sommet

du millénaire (à New York), qui avait été précédé de la réunion d’un Forum du millénaire auquel un bon millier d’ONG avait participé. La déclaration finale du Sommet a recensé l’ensemble des engagements pris par les gouvernements au cours de

la décennie passée, les a réunis et mis en cohérence en les assortissant d’un calendrier à horizon de 15 ans : les Objectifs du sommet du millénaire pour le

développement (the development millenium goals). Dans son discours devant les

nombreux chefs d’Etat qui avaient fait le déplacement, Kofi Annan a longuement cité les conclusions du Forum des ONG, laissant entendre qu’il en était le porte parole, et au-delà, des sociétés civiles du monde entier.

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Cette circonstance et d’autres permettent d’entrevoir la stratégie du Secrétaire général vis à vis des ONG et, au delà, comment fonctionnent souvent de façon symbiotique, au sein du système des Nations unies, les rapports entre les administrations des instances onusiennes et les acteurs non gouvernementaux.

L’intérêt que le Secrétaire général des Nations Unies porte à la participation des ONG aux différentes instances des Nations Unies n’est pas partagé par la majorité des Etats membres. Mais cela ne l’arrête pas. Au contraire : suite à une décision du Conseil économique et social, il a été « procédé à un examen d'ensemble de la participation

des ONG à tous les domaines de travail de l'ONU »20. Les résultats de l’enquête ont mis en évidence de fortes divergences entre Etats-membres quant à l'importance de la contribution des ONG aux activités de l'ONU et le fait que, même parmi ceux qui l’apprécient, leur éventuelle participation à la prise de décision n’est que très rarement admise, qui remettrait en cause « le principe d'égalité souveraine des Etats et l'examen

équitable des intérêts de toutes les régions du monde .» 21

Pourtant, dans un rapport présenté à l'Assemblée Générale sous le titre « Renforcer le

système des Nations Unies : un programme pour aller plus loin dans le changement »,

Kofi Annan a exprimé le désir d’aller plus loin encore dans les « partenariats » avec les ONG, souhaitant qu’on lui propose « des recommandations pratiques visant à

l'amélioration des échanges »22.

Le Secrétaire général a livré ultérieurement les raisons de cette orientation : « Nous

vivons dans un système international dans lequel l’influence est un outil maîtrisé de mieux en mieux par les acteurs non-étatiques que sont les organisations de la société civile, les organisations de volontaires, les groupes d’intérêts, les compagnies privées, les fondations philanthropiques, les universités, les think tank et, bien sûr, les artistes. Pour mener à bien le changement aujourd’hui, il est nécessaire de mobiliser leur soutien et de s’intéresser aux idées des divers réseaux d’acteurs non étatiques. Les Nations Unies ont essayé d’en tirer des leçons. Notre travail avec les ONG dans le combat contre la faim, pour réduire la pauvreté, soulager les souffrances après les

20 Décision 1996/297 du CES 21 Rapport A/54/329 § 16 22

catastrophes est aujourd’hui si connu qu’il n’appelle pas de commentaire(…) Mon initiative « Global Compact » a entraîné des centaines d’entreprises du monde entier dans un effort de promotion de la citoyenneté entrepreneuriale et de valeurs universelles dans le respect des droits de l’Homme, des droits sociaux et de l’environnement. De nos jours, une initiative majeure des Nations Unies sans la participation de la société civile dans ses formes variées serait à peine imaginable. »23

Le choix que fait le chef de l’administration de l’Organisation des Nations Unies, au nom de la nécessaire affirmation des valeurs universelles, de travailler avec les ONG, milieux intellectuels et grandes entreprises du secteur de la communication, fait penser à la place que Gramsci accordait aux intellectuels organiques dans la construction d’alliances pour conquérir l’Etat. Ce faisant, le haut responsable d’une institution affaiblie par le développement d’autres organisations intergouvernementales, contestée par un certain nombre d’Etats importants, fonctionnaire lui-même dont la marge d’autonomie par rapport à ces derniers est en principe inexistante, trouve dans la

société civile (concept auquel il donne un sens très extensif), une alliée qui lui est utile

à plusieurs titres :

- avec leur capacité de captation de l’attention des opinions publiques, les ONG, très actives dans différentes instances du système des Nations unies, participent à l’accroissement de l’audience des responsables de ce dernier dont les positions sont proches des leurs;

- dans l’affrontement qui oppose depuis les années 1980 le système des Nations Unies avec une fraction de lui-même qui s’est rendue très indépendante, les institutions de Bretton-Woods, quant à la responsabilité de la définition de règles gouvernant la mondialisation, les ONG se sont avérées des alliés intéressants pour le premier.

- Il en va de même dans le rapport de force qui s’est instauré depuis 1995 avec l’Organisation Mondiale du Commerce.

- plus spécifiquement au travers des commissions spécialisées et de la préparation des conférences internationales, s’opèrent de nombreux échanges d’informations qui permettent au secrétariat général des Nations Unies de jouer

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d’influences réciproques avec ce milieu et de puiser des idées de normalisation sur des thèmes nouveaux, plaçant ainsi son organisation à la pointe d’une certaine modernité.

John P. Humphrey, premier directeur de la division des droits de la personne de l’ONU, a clairement exprimé cet intérêt des Nations Unies pour une alliance poussée avec les ONG : « Les ONG ont exercé des pressions sans précédent dans l’histoire des

relations internationales en faveur des droits de la personne, et c’est en grande partie grâce à cela que la Charte comporte des clauses à ce sujet. Elles ont (ainsi) joué un rôle essentiel pour assurer que les Américains soutiennent la participation pleine et entière de leur pays aux Nations Unies, corrigeant ainsi le refus tragique de ce pays d’appuyer la Société des Nations après la Première Guerre Mondiale »24. Exactes ou non, ces affirmations, expriment quelle est la logique du partenariat avec les ONG vue par l’institution onusienne. La poursuite de la participation des USA au système multilatéral international était et demeure une question essentielle. On mesure à cet aveu l’importance que peuvent jouer les ONG aux yeux du Secrétaire général des Nations Unies. Celui a donc pu déclarer que « ‘la révolution des ONG’ constituait ‘la

meilleure chose’ qui soit arrivée à l’ONU depuis longtemps » et souhaiter « ‘enrôler’ des acteurs non étatiques comme partenaires 25

Et l’on peut discerner alors dans l’apparent désordre, voire les dysfonctionnements des mécanismes prévus pour encadrer les relations des ONG avec les organes des Nations Unies, le contraire d’une incohérence, une stratégie offrant aux Etats les plus hostiles à la société civile des leurres dans lesquels ils peuvent investir leur énergie censurante, pendant que de plus en plus nombreuses s’ouvrent des brèches permettant une symbiose allant jusqu’à la codécision sur certains sujets.

La promotion du rôle des ONG au sein du système onusien, que l’administration des Nations Unies a pragmatiquement favorisée au cours des cinquante dernières années, peut s’analyser dès lors comme le résultat d’une ambition, celle d’affirmer une marge d’autonomie face aux Etats et aux autres organisations intergouvernementales. Corisne

24

Marc Agi – René Cassin, Ibid., p 308

25

Jean-François Soulet - La révolte des citoyens – De la guerre des demoiselles à José Bovet, Editons Privat – 2001, p. 104

Lesnes, journaliste au Monde, citait récemment M. Boutros Boutros-Ghali, ancien Secrétaire général des Nations unies qui « pense qu’il est temps de préparer la

‘troisième génération d’organisations internationales’ qui succèdera à l’ONU, tout comme celle-ci a succédé à la Société des Nations. Les Etats ne seront bientôt plus les structures adaptées pour résoudre les problèmes à l’échelle globale (…), il faudra associer les mégalopoles, les ONG, les multinationales. »26 Le prédécesseur de Kofi Annan exprimait ainsi la stratégie à long terme d’une organisation intergouvernementale, qui s’appuie sur les acteurs non-étatiques pour renforcer son rôle.

Les ONG y trouvent, réciproquement intérêt : tribune internationale, respectabilité, légitimité, émancipation vis à vis de leurs propres Etats.

Se pose toutefois la question : quelles sont plus particulièrement les ONG, parmi les milliers en relation avec les Nations Unies, qui bénéficient le plus de cette complicité avec le secrétariat général de cette organisation intergouvernementale ?

Lors de la préparation du Forum du Millénaire, en 2000, la délégation d’ONG françaises s’était émue de l’absence de notoriété et de la faible représentativité des organisations composant le Comité préparatoire (et de la présence, parmi elles de « sectes »). Elle avait d’autre part regretté que le projet de résolution finale fût essentiellement un hommage à la pensée du Secrétaire général. Et elle était parvenue assez facilement à en obtenir la réécriture complète, découvrant avec étonnement que c’était un pouvoir « mou » qui s’exerçait au sein de ce Comité préparatoire. Les grandes ONG puissantes et connues se tenaient en dehors de ce mécanisme.

Enquête fait, il leur est apparu que cette situation était celle, générale, des dispositifs de préparation de la majorité des manifestations où les Nations Unies offrent aux ONG la possibilité de s’exprimer. Les ONG les plus connues n’investissent pas plus les comités d’organisation de conférences thématiques, demeurant à l’extérieur. Elles adoptent cette position pour échapper au risque de devoir participer à la recherche de

26

Corine Lesnes – La crise irakienne relance le débat sur lar éforme de l’ONU - Le Monde du 21 septembre 2003, p.2

consensus a minima, conservant ainsi leur pouvoir de protestation et de mobilisation des opinions publiques.

Aussi, à la question « les ONG ne fonctionnent-elles pas de plus en plus comme des

organisations internationales classiques, notamment comme celles dépendant des Nations Unies ? » , le directeur de recherche de la Fondation Médecins sans

Frontières, l’une de celles qui se tiennent précautionneusement à l’écart, répond-il :

« Elles s’en rapprochent d’autant plus qu’elles ont progressivement adopté le langage des organisations du système des Nations Unies. Il y a aujourd’hui un front plus ou moins formalisé entre les ONG et les Nations Unies (jusqu’à la) confusion des genres (…) On voit des ONG se glisser dans (…) des institutions internationales, faire du ‘lobbying’, toutes actions qui les éloignent de leur mission première.27 »

L’administration des Nations Unies (dans tous ses organes) tient naturellement compte de cette configuration double des ONG et l’intègre dans ses propres tactiques de négociation.

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II. Quelques organisations internationales ont interprété le modèle

onusien

Un certain nombre d’organisations intergouvernementales étrangères au système des Nations Unies a adopté et adapté les principes de méthodologie conçus et mis en œuvre par celui-ci pour leurs relations avec les ONG. Ce sont en particulier des organisations à vocation régionale ou identitaire. Autour d’un socle normatif réglementant l’accès à la communication, elles ont fortement diversifié les formes de celle-ci.

La description de cette ingénierie relationnelle informe sur les attentes de ces organismes inter étatiques vis à des organisations des sociétés civiles et, réciproquement, et sur les rôles qu’ils jouent les uns par rapport aux autres.

Trois exemples, qui balaient un registre assez large d’interprétations, permettent de repérer quelques différences significatives des relations de tension/osmose qui peuvent exister entre organisations intergouvernementales et ONG : le Conseil de l’Europe, l’Organisation Internationale de la Francophonie et l’Association des Nations du Sud Est Asiatique (ASEAN).

A) Le Conseil de l’Europe explorateur du renforcement de la personnalité