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L’invention de la démocratie participative

l’Etat moderne

B) Les enfants de la philosophie des Lumières

2) L’invention de la démocratie participative

La Révolution française, si elle supprime les corporations (décret d’Allarde, mars 1791) et toute association volontaire ou coalition (loi Le Chapelier juin 1791), adopte une attitude hésitante par rapport à ce qui s’appellera plus tard associations.

« La loi les ignore quand elle ne les interdit point. Mais elle ne peut totalement les empêcher de se reformer : elles se constituent donc et se développent en marge de la législation jusqu’au moment où elles parviennent à s’imposer à l’attention des pouvoirs et même à la considération du législateur. C’est l’histoire des sociétés populaires : surgies spontanément de la curiosité du citoyen pour la chose publique et de son désir de participer à la politique, d’abord cantonnées dans des activités très réduites, enfermées dans un cadre restrictif, puis s’arrogeant des attributions que l’évolution contraignit bientôt la convention à sanctionner.27 »

Ainsi le développement des clubs politiques et des sociétés patriotiques se produit-il hors de tout cadre juridique.

26

Jürgen Habermas - Droit et Démocratie, entre faits et normes -NRF essais Gallimard – 1992, p. 393

27

« Depuis les années 1770 s’étaient multipliées les sociétés de pensée, en liaison plus

ou moins directe avec les loges maçonniques, en étroite communauté de recrutement, en tous cas (…) Le club des Jacobins, à Paris, qui poussera ses filiales sur toute la province (..) pour constituer un tissu dense de sociétés affiliées (…), naît des transformations d’une réunion de députés aux états généraux (et) attira très vite d’autres représentants (…). A Paris, il a 1200 membres en juillet 1790.(…). On compte 152 sociétés (d’affiliations diverses) en août 1790, 227 en mars 1791, 406 en juin de la même année (…), un millier en septembre. (…) A la chute de la royauté (…) pas loin de 2900 à 3000. (…) La correspondance entre sociétés est l’une des pièces essentielles du système. L’ensemble n’est pas centralisé verticalement : l’affiliation à la société mère parisienne se double d’affiliations multiples de société à société

(formant) des réseaux qui jouent un très grand rôle dans l’activation de l’engagement

politique des régions. »28

Quant à leur impact politique : « Le club des Jacobins (orchestre) l’ampleur et le

spectaculaire succès d’opinion des affrontements Brissot-Robespierre sur le problème de la guerre (…). Le club des Cordeliers (…) est en pointe du combat qui se tourne contre la monarchie,(…) anime le Comité central des sociétés fraternelles parisiennes,

(et, en juillet 1792 , prend) l’initiative de la préparation de l’insurrection. (…) Dans le

Midi, la ‘dictature’ de grands clubs tels que Montpellier, ou surtout Marseille, n’a jamais été aussi incontestée. Les administrations en place s’effacent ou tremblent devant ces structures parallèles »29. « Les clubs des Jacobins, des Feuillants, des

Cordeliers ou encore la Société 1789 (sont les) piliers du mouvement révolutionnaire. » 30 Ce qui se conquiert dans cette ébullition révolutionnaire, ce sont de nouvelles formes d’expression des droits politiques. « L’espace public est renforcé

(…) brutalement par la Révolution Française, les clubs rendant possible les réunions publiques où se discutent les nouvelles diffusées par une presse en expansion rendant compte des débats, eux-mêmes publics, des diverses assemblées 31». Sur cet objectif, de nombreux clubs clandestins naissent, partout en Europe, entretenant des contacts avec les homologues français. Ils apparaissent au grand jour lorsque les armées de la

28

Michel Vovelle - La Chute de la monarchie - Points Histoire p. 209

29

Michel Vovelle, Idem, p. 212

30

Edith Archambault, Ibid., p.26, citant Furet et Ozouf, 1988.

31

Guy Hermet, Bertrand Badie, Pierre Birnabaum et Philippe Braud – Dictionnaire de la science politique et des

Révolution poussent plus loin leurs conquêtes, en particulier lors de la Révolution de Mayence et lors des Révolutions des grandes villes d’Italie. En France, toutefois, « de

nouveau la méfiance prévaut et le souvenir du pouvoir exorbitant des sociétés dicte aux assemblées des précautions de plus en plus rigoureuses. La Convention, trois mois après Thermidor, adopte une loi générale sur les associations (16 octobre 1794) qui interdit les affiliations entre sociétés, réglemente strictement leurs activités. (…) La Constitution de l’an III comporte deux articles expressément consacrés à prévenir la restauration d’un pouvoir concurrent dans les clubs.32 »

Préparée par le mouvement philhellénique qui s’épanouit en Europe occidentale au début du XIXème siècle, relayée par les intellectuels et une riche diaspora, la guerre d’indépendance grecque (1821 - 1829), soulève un mouvement de solidarité dans le monde aristocratique et bourgeois chrétien et européen. Des fonds et des vêtements sont envoyés de toute l’Europe aux insurgés en lutte contre l’occupant ottoman. Lorsque la répression se radicalise (massacres de Scio d’avril 1822, siège de Missolonghi 1824-1826) émerge un martyrologue de la cause grecque qui fait de la « question grecque » une affaire européenne. Goethe, Chateaubriand, Byron et d’autres intellectuels appuient la cause hellénique, relayés par la création de nombreuses sociétés philhelléniques disséminées à travers l’Europe. L’indépendance arrachée fonde une partie de la mythologie de l’Europe romantique et révolutionnaire. Les textes de Victor Hugo sur l’enfant grec désirant de « la poudre et des balles »33, les Massacres de Scio d’Eugène Delacroix (1824) ou encore le choix de lord Byron d’aller mourir à Missolonghi, témoignent du poids symbolique de l’aventure grecque au-delà de ses frontières.

La filiation entre les différentes formes d’organisations des sociétés civiles issues du siècle des Lumières et de l’époque romantique, et les mouvements contemporains militant pour la reconnaissance des droits civils, politiques, économiques sociaux et culturels est évidente. Thomas Risse note : « Les précurseurs des réseaux transnationaux modernes des domaines des droits humains et des femmes incluent la campagne pour l’abolition de l’esclavage aux Etats-Unis, du début des années 1800 à la moitié du siècle (Kaufmann and Pape 1999), le mouvement international

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électoraliste pour donner le droit de vote aux femmes à la fin du XIXe siècle, de même que les campagnes menées par les missionnaires occidentaux et les réformistes chinois pour mettre fin à la pratique du bandage des pieds en Chine à la même époque (Keck et Sikkink, 1998 ; ch.2). Alors que des premiers mouvements transnationaux ne bénéficiaient pas des technologies modernes de communication du type d’Internet, leurs stratégies étaient remarquablement similaires et parfois pas moins efficaces que celles de leurs successeurs modernes. »34

« La Ligue des droits de l’homme voit (..) le jour à Paris en juin 1898 à la suite du

procès intenté à Emile Zola pour son ‘ J’accuse !’ 35» et deviendra internationale en 1922 avec la fondation de la Fédération internationale des droits de l’homme. D’autres mouvements issus de la société civile et qui se dressent face à certaines logiques d’Etats apparaissent à la même époque qui inventent la grammaire du militantisme contemporain.

Sylvain Cypel attribue ainsi à la Congo Reform Association l’invention du « lobbying

humanitaire international (car elle) récolte des fonds, publie des informations régulières, actualisées à partir d’un réseau de correspondants, rencontre pouvoirs publics et célébrités partout dans le monde, fait signer des pétitions, organise des meetings » pour mettre fin aux massacres perpétrés par l’armée belge dans l’Etat libre

du Congo, propriété de Léopold II. Elle fonda le « premier grand mouvement

international de défense des droits de l’homme au XXe siècle. »36 Margaret E. Keck et Kathryn Sikkinka aperçoivent, dans le combat pour l’abolition de la traite, « un

répertoire d’actions collectives comme les boycotts, les pétitions massives où les barricades furent expérimentés (…) puis diffusés qui ont inspiré les autres mouvements sociaux ». Et elles citent Eric Foner, pour qui « la croisade antiesclavagiste a été une gare centrale d’où sont parties des voies conduisant à toutes les tentatives sérieuses de réformer la société américaine après la Guerre Civile. »37

33

Victor Hugo : l’Enfant grec, 1823

34

Thomas Risse - Transnational actors and world politics – Handbook of international relations -2002, Oxford University Press, p. 256

35

Philippe Ryfman, Ibid., p. 12-13

36

Sylvain Cypel – La Congo Reform Association stoppe le massacre - Le Monde du 10 décembre 2003, p. 1 ; dernière citation reprise de Adam Hochschild - Les Fantômes du roi Léopold - Belfond .

37

Une bonne partie des méthodes de l’activisme contemporain est issue de cette période, avec ses interrogations sur la frontière avec le combat politique.

Leur histoire questionne sur le rapport des ONG aux pouvoirs politique et économique. Ainsi, deux géantes des droits de l’homme, Amnesty International et Human Rights Watch n’apparaîtront qu’en 1961 et 1988.

II. Les premiers combats pour les droits collectifs

Les promoteurs des droits civils et politiques ont mené leurs luttes au cœur du champ politique. Ils ont, de ce fait, posé différemment des « caritatifs » la question de leur insertion dans le débat public, en s’affirmant comme acteurs de la transformation des Etats, y compris au nom, parfois, d’une vision internationaliste. L’héritage du philhellénisme débouche ainsi sur l’affirmation du « droit des peuples à disposer

d’eux-mêmes » et du « principe des nationalités ». Ils ont produit une seconde

filiation, celle des partis politiques. Le XIXe siècle, qui fait émerger la « question sociale » va susciter la naissance d’organisations qui se consacrent à la promotion de droits collectifs.