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Le projet constructiviste (ou cognitiviste) : normes et valeurs

des relations internationales

F) Le projet constructiviste (ou cognitiviste) : normes et valeurs

Ce courant privilégie une approche sociologique des relations internationales. Il met

« l’accent sur le contexte social, l’intersubjectivité et la nature constitutive des règles et des normes. »87

Trois postulats fondent cette approche :

- La structure cognitive composée des idées, croyances, valeurs, normes et institutions partagées intersubjectivement par les acteurs joue un rôle essentiel dans les relations internationales. Ainsi « les intérêts des Etats dépendent non pas de la configuration

objective des rapports de force matériels, mais des identités des Etats, c'est-à-dire de la représentation que les Etats se font d’eux-mêmes et d’autrui, du système international, et de leur propre place ainsi que de celle des autres au sein de ce système international. » 88

- Ces normes partagées contraignent mais aussi façonnent l’identité des acteurs, en particulier les « environnements culturels (qui) ont un impact non seulement sur les

incitations à l’origine des différents comportements des Etats, mais (qui) affectent (…) leur identité. »89.Dans cette perspective, les Etats sont ancrés dans des réseaux de

87

C Lynch et A. Klotz - Le constructivisme dans la théorie des relations internationales - Critique internationale n°2, 1999

88

Dario Battistella, Ibid, p. 283

89

P. Katzenstein - The culture of national security - Columbia University Press 1996, cité par Battistella, Ibid.., p. 273

relations sociales transnationales et internationales qui façonnent leur perception du monde et de leur rôle dans le monde.

- Les structures des relations internationales sont composées de ces normes et valeurs, évoluent, s’organisent en cooptations et alliances.

Gérard Kébabdjian, qui préfère qualifier ce courant de « cognitiviste », l’illustre en citant R. H. Jackson pour qui « la décolonisation a été avant tout un changement

international d’idées à propos de la règle légitime ou illégitime, et non le produit d’un changement dans l’équilibre de la puissance ou les intérêts économiques de l’impérialisme. »90

Selon cette conception, les organisations des sociétés civiles participent de l’élaboration de ce système de normes, de valeurs et de représentations. Selon A. Wendt, l’identité corporative (les entités sociales qui le composent) fait partie de l’identité de l’Etat. Du fait de leur participation au fonctionnement politique de l’Etat, elles façonnent aussi son « identité de type »91. Les pays se reconnaissent dans des valeurs et cultures au plan de leurs comportements internationaux.

Proches de ce courant, Cohen et Arato « observent (que les) « nouveaux » mouvements

sociaux (..) poursuivent des objectifs à la fois offensifs et défensifs. (…) Ils tentent de lancer des thèmes significatifs pour la société dans son ensemble, de définir des problématiques, d’apporter des contributions permettant de résoudre les problèmes posés, de donner des informations nouvelles, de réinterpréter certaines valeurs, de mobiliser de bonnes raisons, d’en dénoncer de mauvaises, afin de provoquer un changement de l’opinion publique à grande échelle, de modifier les paramètres de la formation constitutionnelle de la volonté politique et d’exercer une pression sur les parlements, les tribunaux et les gouvernements pour favoriser certaines orientations politiques. Du point de vue défensif, ils s’efforcent de préserver certaines structures des associations et de l’espace public, de créer des espaces publics alternatifs et subculturels, ainsi que des institutions alternatives, de consolider des identités

90

Gérard Kébabdjian - Les théories de l’économie politique internationale – Points Economie, 2002, p. 263

91

A. Wendt - Social theory of international politics - Cambridge university press 1999, cité par Battistella, Ibid., p. 282 à 285

collectives nouvelles et de conquérir un nouveau terrain sous la forme de droits élargis et d’institutions réformées. »92

Ainsi, le « projet constructiviste », dans un certaine analogie avec les réflexions de Gramsci sur le rôle de la culture dans la dialectique société civile/Etat, insiste-t-il sur la participation des organisations non gouvernementales, très présentes sur la scène publique, à l’élaboration de l’identité et de l’image internationale des pays et aux effets indirects qu’elles produisent en termes de capacités diplomatiques pour les gouvernants.

***

Si le concept d’organisations des sociétés civiles n’est central dans aucun des courants théoriques des relations internationales, il y est pourtant toujours présent, à des degrés d’explicitation différents. Ainsi, les approches libérale, transnationale et constructiviste, leur reconnaissent-elles une fonction importante dans l’élaboration des politiques, des identités diplomatiques et dans la fabrication des rapports internationaux. Elles identifient, à des degrés divers, une certaine interactivité entre elles et les autres acteurs, et au premier chef, les Etats. L’exploration de l’ensemble de ces théories éclaire donc la façon dont les organisations non gouvernementales interviennent dans les relations internationales, et soulèvent des questionnements stimulants sur leurs rapports avec les autres acteurs :

- sur la capacité d’influence des organisations non gouvernementales sur les diplomaties d’Etat et ses modalités (réalisme);

- sur leur position de co-acteurs parmi d’autres, dans un fonctionnement qui reste déterminé par la nature politique de l’Etat en place (libéralisme);

92

Cohen et Arato - Société civile et théorie politique, MIT Press - 1992, cités par Habermas - Droit et

- sur l’applicabilité de la notion de transnationalité à des entités dont la plupart ont d’abord une dimension nationale et sur l’effectivité des réseaux supranationaux qu’elles constituent (transnationalisme);

- sur leur participation à la constitution de la puissance diplomatique d’un pays et sur leur capacité à modifier une donne internationale fondamentalement inégalitaire de ce point de vue entre micro-Etats et grandes puissances (marxisme);

- sur la possibilité pour les responsables d’une ONG de se distancer suffisamment des valeurs et modes de penser du pays qui les a formés culturellement, et donc à échapper à une fonction de vecteur des idéologies fondatrices de ce dernier (radicalisme post-positivisme);

- sur leur contribution à la fabrication de l’image internationale d’une nation, élément constitutif de sa capacité à négocier, et de leur accès à la presse internationale (constructivisme et cognitivisme).

Une relecture d’un certain nombre des principaux évènements historiques qui ont accompagné à la fois la maturation des thèses philosophiques et l’émergence des théories des relations internationales permettra d’esquisser de premières réponses à ces interrogations tout en contribuant à cerner un peu plus la définition de cet acteur ancien des relations internationales. Ce sera l’objet du chapitre II.

Chapitre II.

Une histoire qui est celle de