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La dynamique du renforcement du système multilatéral lui-même

existant ou espérées entre les ONG et les organisations intergouvernementales

C) La dynamique du renforcement du système multilatéral lui-même

Si elle en critique les dysfonctionnements, la majorité des ONG ayant pignon sur rue soutient le développement du droit international, porteur de valeurs « universalisables », c’est à dire en principe universels et qui ont besoin d’instruments pour le devenir. Or, elles voient dans la coopération entre Etats instituée par des organisations intergouvernementales l’outil le plus pertinent de la mise en oeuvre de ces principes universels. Dans un certain nombre de domaines, droits de l’homme (traité bannissant les mines anti-personnel de 1996, convention sur les droits de l’enfant…) et environnement (traité pour la protection des ours polaires de 1973, convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, protocole de Kyoto…) en particulier, elles y trouvent un terrain fertile à l’enracinement de leurs idées.

Jürgen Habermas formule ainsi leur conviction commune : « Pour instaurer un ordre

mondial et un ordre économique mondial plus pacifiques et plus justes, il faut créer des institutions internationales disposant d'une réelle capacité d'agir(...) mais il faut aussi définir des politiques qui ne pourront sans doute entrer en vigueur que sous la pression d'une société civile mobilisée à l'échelle mondiale. » 69C’est du côté des ONG que se font les études les plus approfondies sur les voies et moyens d’une préservation et d’une production de « biens publics mondiaux » au travers d’institutions (règles de droit ou organisations) internationales.

69

Si les idées pour lesquelles œuvrent les ONG sont, réciproquement, soutenues par certaines des organisations intergouvernementales, c’est que celles-ci (du moins leurs administrations) perçoivent une adéquation avec leurs intérêts. Ceci instaure une complicité entre certains secrétariats d’organisations intergouvernementales et les animateurs des principales70 organisations de la société civile. Entre institutions internationales, ONG et Etats (sans exclure, comme on le verra plus loin, entreprises multinationales, collectivités locales, médias…), fonctionne une mécanique interactive : chacun cherche à faire pression sur les autres, en usant de tous les moyens à sa disposition, tout en ayant conscience de subir aussi les conséquences des stratégies des autres. Chacun est relativement lucide et cette lucidité elle-même rétroagit.

Les mêmes types d’acteurs qui ont porté autrefois la création d’institutions telles que le Conseil de l’Europe plaident aujourd’hui pour celle d’un Conseil de sécurité

économique et social, demandent une réforme des institutions financières internationales et de l’OMC qui les réintègrerait dans une architecture plus cohérente

du système multilatéral et animent les campagnes pour la ratification du protocole de Kyoto.

Thomas Risse suggère qu’un schéma organiciste relie les ONG au développement des normes sous l’égide des organisations internationales. Après avoir remarqué, au travers des travaux de Clark, que « l’influence des ONG sur les résultats politiques des

conférences mondiales organisées par les Nations Unies a été très variable selon le sujet et les pays impliqués », il interprète ceux de Finnemore et Sikkink pour relever

que cette influence « a toujours été la plus grande dans les phases de définition des

objectifs ou de gestation du ‘cycle de production des normes’ (...) et qu’elle a un rôle crucial quand se produisent des changements de paradigmes dans les calendriers internationaux. On peut probablement aller jusqu’à affirmer qu’on n’a que rarement vu un nouveau résultat positif dans la définition de normes apparaître au plan international sans que des coalitions internationales d’organisations de plaidoyer, d’OING et de communautés épistémiques aient tout d’abord argumenté en sa faveur.»71

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Nous reviendrons ultérieurement sur ces notions de « principales » ONG ou ONG « les plus connues »

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La participation des ONG au fonctionnement interne d’un bon nombre (croissant) d’institutions multilatérales, mais aussi de façon externe, ainsi qu’au système concurrentiel que celles-ci constituent entre elles, se traduit donc par des jeux d’alliances et d’hostilité où les ONG démontrent une certaine maestria productrice d’autonomie : la collectivité des ONG dispose de toute une gamme de composantes qui se répartissent des rôles allant de la connivence jusqu’au harcèlement, selon des dispositions stratégiques qui la préservent de l’instrumentalisation.

L’un des éléments qui la dote d’une certaine capacité de résistance aux appétits d’enrôlement des organisations intergouvernementales, est la claire conscience que ces dernières sont en recherche de légitimité et voient dans la relation « partenariale » avec les ONG une source de renforcement de celle-ci, soit qu’elles mesurent le poids des ONG sur les opinions publiques des principaux contributeurs, soit qu’elles ressentent la pression des bailleurs de fonds internationaux qui font de la collaboration avec les sociétés civiles un indice de qualité démocratique. Les ONG elles-mêmes sont sensibles au surcroît de notoriété que leur donnent la fréquentation d’enceintes internationales réputées sélectives et qui sont des lieux de pouvoir normatif, où elles peuvent, en présence des médias, prendre la parole.

Un autre élément produisant une certaine autonomie des ONG tient au fait qu’elles sont appréciées par les secrétariats comme caution de politiques que ceux-ci peinent parfois à mener parce qu’ils rencontrent l’hostilité d’Etats membres. Ainsi le représentant du Centre de Développement et du Comité d'Aide au Développement de l'OCDE a-t-il avoué au nom de ceux-ci et « des agences multilatérales (que) les ONG

et plus généralement la société civile (surtout au Sud) exercent une pression très utile sur les gouvernements des pays en développement qui négligent le problème de la pauvreté et n'assurent pas une réelle protection des droits de la personne »72,

signalant combien est agréable à certaines institutions multilatérales le soutien que les ONG leur apportent pour la conduite de politiques peu portées par certains pays. « Les

acteurs transnationaux (…) sont d’autant plus susceptibles d’accroître leur influence politique qu’ils agissent sur la dimension internationale, qui est fortement structurée

72

lorsque, lors d’une réunion des services de liaison avec les ONG d’un grand nombre d’organisations intergouvernementales tenue à l’UNESCO en mai 2002

par les institutions internationales. Les organisations internationales (…) offrent des arènes où peuvent s’établir des interactions régulières entre acteurs transnationaux et étatiques. Dans certains cas, elles encouragent activement (et même financent) les OING et autres coalitions transnationales. » 73

Doit-on pour autant en conclure, avec Thomas Risse, que « ces acteurs ont perdu leur

‘innocence’ et sont devenus partie prenante et une parcelle des structures de la gouvernance internationale (car) le cadre légal procuré par les institutions étatiques et internationales a des effets constitutifs sur les acteurs et les relations transnationaux »74 ?

Les organisations intergouvernementales mesurent elles-mêmes que la pratique de concertation superficielle qu’elles proposent souvent aux ONG, dont elles attentent surtout une caution, peut lasser leurs « partenaires » : le compte rendu de la réunion inter-agences précitée analysait aussi les réactions que ces attitudes suscitent : «

L’abus de consultation génère progressivement une fatigue de la consultation ; le fait d’afficher des objectifs sans clarté et de mal planifier les consultations suscite des attentes irréalistes ; les ONG sont conscientes de ce qu’on leur demande surtout des informations et du soutien (politique) de préférence au fait de les associer aux mécanismes d’élaboration des politiques ; le peu d’attention qui est accordé aux propositions des ONG/CBO dans les décisions politiques finales génère un sentiment de déception ; les temps de parole trop réduits créent un sentiment de frustration . »

Pascal Dauvin et Johanna Siméant observent « l’ironie de beaucoup de membres des

ONG à l’égard du vocabulaire des institutions internationales qu’il leur est fortement suggéré de reprendre »75, ce qu’ils font pour obtenir des financements, mais en requalifiant « après coup (leurs opérations) en fonction des souhaits des bailleurs de

fonds ».

Les ONG ne sont donc pas dupes des intentions de leurs « partenaires » au sein des institutions multilatérales. Si elles sont devenues tacticiennes dans les arcanes des

73 Thomas Risse, Ibid, p. 264

74

organisations intergouvernementales, elles n’y sont généralement manipulées que jusqu’au point où cela leur permet de réaliser leurs objectifs politiques. Mais, compte tenu de la pression qu’exercent d’autre part sur elles les Etats dans le cadre des relations qu’elles ont avec ceux-ci à l’intérieur des frontières de chaque pays, les tentatives de manœuvre exercées à leur endroit par les organisations intergouvernementales leur apparaissent incomparablement moins pesantes. Dans un univers institutionnel dont l’un des ressorts principaux est la capacité d’influence sur les autres acteurs, la diplomatie, le partenariat entre ONG et organisations intergouvernementales est globalement l’un des plus profitables aux deux parties.

C’est ce que le chapitre suivant va s’attacher à démontrer, qui montrera l’étroitesse des liens juridiques, budgétaires et culturels entre ONG et Etats.

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Pascal Dauvin et Johanna Siméant - Le travail humanitaire : les acteurs des ONG, du siège au terrain - Presses de Sciences Po - 2002

Chapitre II.

Les déterminants institutionnels