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l’Etat moderne

A) Les acteurs du combat social

Dès le XVIIe siècle étaient apparues des sociétés de secours mutuel organisant une solidarité entre les employés des premières manufactures : à Lille dès 1580, à Paris dès 1691, à Londres en 1701. Elles avaient suscité la méfiance des autorités. « La théorie

américaine selon laquelle il existe un conflit inhérent et inéluctable entre l’Etat et le tiers secteur (James 1989) s’applique bien à la France pendant la période 1789-1901. L’Etat combat alors, autant, à droite, les associations corporatistes et cléricales que, à gauche, les associations autogestionnaires et anarchisantes. »38

Les révoltes et révolutions, de même que les organisations sociales qui les préparent tout au long du XIXe siècle, à partir de racines nationales développent une dimension internationale.

1) Le combat syndical au XIXe siècle

C’est en Grande Bretagne, où la Révolution industrielle démarre avec plusieurs décennies d’avance par rapport au continent, que le mouvement prend naissance. Dès « 1825 la liberté d’association y est accordée qui permet la naissance de puissants

syndicats d'ouvriers qualifiés et de métiers qui cherchent à défendre leurs acquis. Les cotisations sont très élevées et constituent une caisse de garantie contre les risques

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sociaux et la grève. (Ils se) regroupent au sein du TUC (Trade Unions Congress) (qui), en 1833, comprend déjà 500 000 adhérents. » 39

En France, des sociétés de secours mutuel se développent dès le début du XIXe siècle, tolérées à la condition qu’elles acceptent un contrôle étatique minutieux et ne jouent en aucun cas le rôle de caisses de solidarité en cas de grève. En 1840, on en dénombre 234 à Paris. Dès qu’une grève éclate, elles sont dissoutes car soupçonnées, non sans raison, de l’avoir favorisée. Mais, « malgré l’interdiction des coalitions, des sociétés

de secours mutuel s’organisent, en liaison la plupart du temps avec le mouvement ouvrier clandestin ; elles soutiennent les chômeurs et les grévistes, grâce à la solidarité professionnelle (…) Un durcissement de la législation (se produit avec) une loi de 1834 (qui) fait l’objet d’une violente opposition : des sociétés secrètes de résistance se forment : elles seront à l’origine de la Révolution de 1848 (…). Simultanément, des notables, souvent inspirés par la franc-maçonnerie, créent des cercles, tels la Société philanthropique des dispensaires ou encore les fameuses ‘soupes populaires’. »40

En février 1848, en France, la 2ème République accepte la création d’un organisme paritaire, la Commission de Gouvernement pour les Travailleurs, dont les 242 délégués ouvriers et les 231 délégués patronaux sont élus par leurs pairs. Louis Blanc la préside. Son rôle est d’arbitrer les conflits du travail. Très vite elle s’oriente vers la négociation de normes : durée du travail, salaire minimum... Le décret des 25-29 février 1848 proclame la liberté d’association, que la Constitution adoptée en novembre confirme. « Plus de 10 000 associations et plus de 400 sociétés de secours

mutuel » se créent.41 En décembre naît la Chambre du Travail, composée des représentants des associations professionnelles, premier syndicat ouvrier en France. Deux ans plus tard, on dénombre près de 300 associations professionnelles. « A Lyon, (s’observe) une floraison de réalisations, tant en coopératives de consommation que

de production. (…) Les Fraternités, ou Associations ouvrières fraternelles se multiplient. » 42

Les révolutions, qui éclatent simultanément en Europe, sont le fruit des mêmes ferments : Paris, puis Berlin, l’ensemble de la Confédération germanique, la Prusse,

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Source, un chercheur dont le site Internet est : perso.club-internet.fr/fmonthe – consulté en septembre 2003

40

Edith Archambault, Ibid., p.28

41

Edith Archambault, Ibid., citant Agulhon 1973, p. 30

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l’Autriche, les royaumes et duchés italiens... Les conquêtes politiques et sociales seront, pour la plupart, éphémères, mais seront la base de revendications qui triompheront ultérieurement.

Le Second Empire français, né du coup d’Etat du 2 décembre 1850 du Prince-président Louis Napoléon Bonaparte, devra composer avec cet héritage et cherchera à contrôler les organisations sociales. Dans un premier temps, il lève « l'interdit de la loi

Le Chapelier sur les associations (par un) décret bonapartiste de 1852 sur l'organisation des sociétés de secours mutuels ; (il) visait autant à soulager la misère des classes laborieuses qu'à instaurer la paix sociale par un patronage serré des sociétaires. » 43Mais le régime ne tolère que 15 associations professionnelles, étroitement surveillées. « Malgré les précautions prises, elles masquent fréquemment

des sociétés de résistance, car l’action ouvrière se traduit toujours par des grèves assez fréquentes (109 d’entre elles donnent lieu à des poursuites en 1853, 73 en 1856) . (…) (Proudhon) conseille de s’attacher à résoudre (les) problèmes sans s’occuper du gouvernement (par le) mutuellisme (et) un collectivisme pluraliste et décentralisé (…), la ’démocratie industrielle-agricole’»44. Le régime contre-attaque : dès 1852, « avec la réforme de la Mutualité lancée par Napoléon III, une coupure

s'instaure entre les organisations émanant du monde du travail qui revendiquent et celles qui prennent en charge différents risques sociaux. Dirigée par les notables, la mutualité devient un instrument de contrôle social, aux antipodes des premières Chambres syndicales. » 45

Puis, « l’empereur essaye, après 1860, d’obtenir un soutien ouvrier pour contrebalancer la perte du soutien catholique (due à la guerre en Italie): en 1862, 183 représentants ouvriers parisiens peuvent aller à l’exposition universelle de Londres et établissent d’étroits rapports avec les « trade unions » anglais. (…) » Leur voyage est

financé par l’Etat. « En 1867, une loi officialise l’existence des Sociétés ouvrières de

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Patricia Toucas Truyen - La régulation sociale par la mutualité en France dans la seconde moitié du XIXe

siècle: de la volonté politique à la réalité des pratiques - site Internet de l’Université du Maine, octobre 2004

44

Alain Plessis - De la fête impériale au mur des fédérés- Point Histoire 1973, p. 212

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Michel Dreyfus - Prendre en charge ou revendiquer ? La mutualité comme instrument d'intégration sociale en

coopération, leur donnant un nouvel élan : 80 sont fondées, dont quinze à Paris et en région parisienne et vingt à Lyon. » 46

En 1864 naît l’Association Internationale des Travailleurs (AIT), suite à la réunion constitutive précitée tenue à Londres. Son bureau s’installe à Paris, avec l’accord de l’empereur. Lors de l’exposition universelle de Paris, en 1867, une Commission

d’encouragement pour les études des ouvriers de 316 membres est élue. Elle se

réunira 80 fois en 2 ans et reprendra souvent les revendications de l’AIT. Les premiers pas du syndicalisme européen présentent donc toutes les caractéristiques de l’ambiguïté politique : les pouvoirs publics espèrent canaliser ainsi la « question sociale » vers des demandes pratiques à caractère social et couper l’herbe sous le pied des revendications politiques qui remettraient en cause les principes du nouveau capitalisme industriel.

Dans le même temps émerge un syndicalisme patronal : « Le mouvement patronal

français, avant de trouver sa dynamique propre, s’est développé par saccades, en réaction à des impulsions venues de son environnement. La première de ces impulsions ne fut pas la nécessité de faire face au mouvement ouvrier (même si cette nécessité constituera la seconde impulsion au développement du mouvement patronal), mais une opposition farouche aux velléités libre-échangistes de l’Etat. La décision du Ministère Villèle (monarchie de Juillet) d’abaisser légèrement les taxes à l’importation sera ainsi le révélateur de l’aptitude des patrons à l’organisation collective. Leur regroupement se fait naturellement par professions puisque les chefs d’entreprise français sont partisans convaincus du libre-échange pour tous les secteurs de l’industrie, à la seule exception de leur propre branche professionnelle. Sont ainsi créés : Le Comité des industriels de l’Est (fondé en 1835 par Jules-Albert Schlumberger pour préserver les droits de douane sur les fils et les tissus de coton) ; le Comité des intérêts métallurgiques (1840) ; l’Union des constructeurs de machines (1840). Ces institutions lutteront contre le libre-échangisme de Napoléon III. Cette vigilance est renforcée par l’incursion de l’Etat dans le domaine social, sous la

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pression croissante du mouvement ouvrier. Ainsi, profitant de la suppression du délit de coalition, se créent en 1864 le Comité des forges et le Comité des Houillères. » 47

Le développement du libre-échange reçoit en revanche le soutien organisé des milieux agricoles : l’Association du libre-échange (en France) et l’Association pour la liberté

commerciale (en Belgique). D’autre part, l'Association internationale de droit (1873)

favorise, par son travail, la codification du droit international.

Le retour de la République en France, après la Commune, remet sur le métier la question de la liberté d’association. De 1876 à 1884, plusieurs projets de lois sont élaborés. La loi du 21 mars 1884 reconnaît la liberté syndicale, que la loi du 12 mars 1920 complétera. Et la loi du 1er juillet 1901 consacre enfin la liberté associative.

2) De la question sociale à celle de la mondialisation

Passée la Première guerre mondiale, l'Organisation internationale du travail (OIT), créée en 1919 sur une proposition de l’Association internationale pour la protection

légale des travailleurs (fondée en 1900), vient consacrer au plan institutionnel cette

évolution. Elle est dotée de ce fait d’une structure tripartite, accueillant dans son organe directeur des délégués d'ouvriers et d'employeurs. « La période 1919- 1934 voit

la montée en puissance du rôle des ONG, grâce à leur reconnaissance par l’Organisation internationale du travail et, surtout, par la Société des Nations. D’abord actives de l’extérieur, les ONG ont ensuite été directement associées à un grand nombre de comités créés par la SDN, travaillant en permanence en contact étroit avec les représentants des Etats et les fonctionnaires internationaux. Leur influence s’est fait sentir dans de nombreux domaines : transports, santé, lutte contre le trafic de drogue, droits de minorités, droits des enfants, des femmes, etc. »48

L’héritage des organisations prenant en charge les luttes sociales est important et suffisamment connu pour que l’on ne s’y attarde pas : mutualisme, coopératisme, syndicalisme… et partis politiques socio-démocrates, communistes…

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Sybille Gollac - Le syndicalisme patronal en France - site Internet de l’auteur, octobre 2004

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L’histoire de la « question sociale » et de l’apparition d’organisations qui en traitent est également intéressante du fait de l’ambiguïté des relations qui se sont nouées entre organisations sociales et institutions politiques, notamment gouvernementales. Les hésitations du Second Empire vis-à-vis du mouvement ouvrier sont caractéristiques de la tentative des gouvernements, dès cette époque, de contrôler les organisations de la société civile, quitte a susciter le contraire de ce qu’ils espéraient: la naissance d’une internationale syndicale. Cette époque est également instructive sur le dynamisme des réseaux internationaux qui se constituent dans le cadre de cette première (ou seconde, selon les calculs) mondialisation.

D’où une filiation contemporaine qui mérite d’être soulignée : le mouvement anti-mondialisation (ou alter-mondialiste) inscrit volontiers ses pas dans cette histoire et est très attentif à nouer des alliances avec les organisations syndicales et mouvements des « sans-droits ». « Le mouvement de contestation de la mondialisation est né, en 1994,

avec l’émergence d’une guérilla menée par des zapatistes au Chiapas au nom d’une ‘ rébellion anti-néolibérale’, organisatrice de la première ‘Réunion intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme’, en juillet août 1996 à San Cristobal de las Cazas, laquelle a entraîné la création de l’Action mondiale des peuples contre le libre-échange et l’OMC en 1998. » 49 Emilio Zapata a, quant à lui, incarné les luttes sociales en Amérique Latine au tout début du XXe siècle.