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3. Roman historique et genres littéraires

3.2. Narration, récit et roman : en quête du genre romanesque

3.2.1 Le statut du « récit »

Qu’est-ce que le récit ? Qu’est-ce qu’un récit ? Selon le Petit Robert, il s’agit d’une « relation orale ou écrite (de faits vrais ou imaginaires) ». Le Dictionnaire historique de la langue française précise que c’est au début du XVIIIème siècle que le mot a commencé à désigner « une œuvre littéraire narrative relatant des faits réels ou imaginaires ». D’une assimilation à un discours, on passe à l’évocation d’une œuvre appartenant au champ littéraire. Qu’en est-il aujourd’hui dans la littérature critique ?

Dans son ouvrage Les Genres littéraires, Yves Stalloni fait accéder le récit au statut de genre, précisant qu’il se reconnaît à « une représentation décalée, médiatisée – et non directe comme au théâtre ; [à] la présence implicite d’une voix, celle du narrateur ; [à] une énonciation variable suivant que le poète parle en son nom propre ou se confond avec la parole d’un personnage. »148 Le critique déduit ces critères de sa lecture d’Aristote qui distinguait le dramatique du narratif, d’où la mention « genre narratif »149 en titre de chapitre. Quelques pages plus loin, Yves Stalloni définit ce genre narratif comme « celui qui s’exprime sous la forme du récit. »150 Michel Raimond, lui aussi, envisage le récit comme un genre. Il explique qu’on « a souvent tenté de saisir l’essence esthétique du roman en le comparant aux genres voisins du conte, de la nouvelle et du récit [qui] sont des genres brefs »151. Puis il précise cette notion de récit qu’il définit comme suit :

144 Stalloni, Yves, op.cit, p.48.

145 Idem. 146 Ibid, p.49. 147 Ibid, p.58. 148 Ibid, p.49. 149 Idem. 150 Ibid, p.54. 151

55 « Le récit présente une ou deux personnages qui vivent un drame moral ; il élimine tout ce qui n’est pas essentiel : il ne retient que ce qui est frappant, significatif ; il s’oppose au roman comme le simple s’oppose au complexe ; mais sa simplicité ne réside pas dans un épisode bref et saisissant comme celui de la nouvelle ; il peut dérouler toute une vie ; mais il en trace, en quelque sorte, l’esquisse ou l’épure, il ne cherche pas à en rendre le foisonnement. »152

Si ces acceptions s’expliquent par leur origine aristotélicienne, elles semblent cependant contribuer à une certaine confusion évoquée par Gérard Genette dans Figures III. Le critique évoque, en effet, la polysémie du terme avant de s’attacher à en clarifier les différents sens :

« Nous employons couramment le mot (français) récit sans nous soucier de son ambiguïté, parfois sans la percevoir […]. Il me semble qui si l’on veut commencer d’y voir plus clair en ce domaine, il faut discerner nettement sous ce terme trois notions distinctes. Dans un premier sens – qui est aujourd’hui, dans l’usage commun, le plus évident et le plus central -, récit désigne l’énoncé narratif, le discours oral ou écrit qui assume la relation d’un événement ou d’une série d’événements […]. Dans un second sens […], récit désigne la succession d’événements, réels ou fictifs, qui font l’objet de ce discours, et leurs diverses relations d’enchaînement, d’opposition, de répétition, etc. »153

Ce contenu narratif sera ensuite désigné par le critique par le terme « histoire »154. Il précise également en note de bas de page qu’il pourra être amené à utiliser de façon synonymique le vocable « diégèse » qui est, effectivement, largement usité en analyse littéraire. Enfin Gérard Genette distingue un dernier sens du terme « récit » :

« En un troisième sens qui est apparemment le plus ancien, récit désigne encore un événement : non plus toutefois celui que l’on raconte, mais celui qui consiste en ce que quelqu’un raconte quelque chose : l’acte de narrer pris en lui-même. » 155

152 Ibid, p.31.

153 Genette, Gérard, Figures III, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1972, p.71.

154 Ibid, p.72.

155

56 Cet acte narratif producteur sera ensuite nommé « narration » et « par extension, l’ensemble de la situation réelle ou fictive dans laquelle il prend place. »156 Au terme de son analyse, Genette réserve donc l’acception « récit » au sens du « discours ». On est alors loin de l’idée de genre.

Un autre texte du critique, Introduction à l’architexte, permet de préciser ces différences entre « récit », « roman » et « genre ».

« Il y a des modes, exemple : le récit ; il y a des genres, exemple : le roman ; la relation des genres aux modes est complexe, et sans doute n’est-elle pas, comme le suggère Aristote, de simple inclusion. Les genres peuvent traverser les modes (Œdipe raconté reste tragique), peut-être comme les œuvres traversent les genres – peut-être différemment : mais nous savons bien qu’un roman n’est pas seulement un récit, et donc il n’est pas une espèce du récit, ni même une espèce de récit. »157

Cet essai permet de clarifier le rapport d’inclusion qui était intuitivement le nôtre et dont Genette explique qu’il est issu de la tradition romantique qui prônait un « schéma d’inclusions univoques et hiérarchisées (les œuvres dans les espèces, les espèces dans les genres, les genres dans les « types »), tandis que le système aristotélicien – si rudimentaire soit-il par ailleurs – est implicitement tabulaire, suppose implicitement un tableau à (au moins) double entrée, où chaque genre relève à la fois (au moins) d’une catégorie modale et d’une catégorie thématique »158.

Antoine Compagnon apporte la dernière explication à cette conception, inconsciente, d’une inclusion des modes et des genres tels que définis par Genette. Antoine Compagnon explique en effet, l’accession injustifiée du « récit » au statut de genre, notion définie quant à elle par le critique comme « une forme historique, institutionnelle », ce que n’est pas le récit :

« Le récit n'est pas non plus un genre ; il n'est pas une forme historique, mais un universel linguistique, quoique non défini par un code (mais comme un mode ou type). Récit et poésie sont toutefois assimilés à des formes homogènes. Sous l'opposition de la poésie et du récit, la justifiant, il y a de fait le partage sous-jacent entre le roman, comme

156 Ibid, p.72.

157 Genette, Gérard, Introduction à l’architexte, op.cit, p.75.

158

57 archétype du récit, et la poésie lyrique, comme archétype de la poésie pure. Roman et poésie lyrique, eux, sont bien des genres : c'est cette opposition légitime qui est devenue dominante au XIXème siècle. »159

Ainsi, afin de simplifier les classifications, notamment à destination des élèves du secondaire, on adopte, visiblement à tort, la triade Poésie, Théâtre, Récit, engendrant peut-être finalement une certaine confusion des esprits. Les critiques affirment clairement l’appartenance du roman à la catégorie des « genres » et l’on peut retenir l’expression de Genette qualifiant le « récit » de « mode ». Dès lors, s’impose une nouvelle question : Qu’est-ce que le genre romanesque ? Comment peut-on le définir ?