• Aucun résultat trouvé

Du discours historique aux discours romanesques

Chapitre 3 : La révolte des Patriotes (1837-1838)

2.1 Les points de convergence avec le discours historique

2.1.2 Les luttes armées

L’exploitation des données historiques se retrouve également dans la narration des luttes armées de 1837-1838. La lutte de 1837 est connue du lecteur grâce au personnage de Régine. Celle-ci raconte à son frère Hyacinthe, revenu d’un camp de bûcherons, ce qui s’est passé en son absence :

464 Ibid, p.172.

465

163 « Un grand malheur s’est abattu sur le Bas-Canada. Les Canadiens se sont révoltés. Les Anglais les ont écrasés. […] Il y avait des soldats partout, expliqua Régine. Cela excitait les Patriotes. Ils disaient qu’on cherchait à les provoquer. […] Et puis, il ne faut pas oublier de dire que le gouverneur avait fait mettre à prix la tête de tous les chefs. […] Tu ne le croiras pas, mais les Patriotes de Saint-Denis ont repoussé les soldats. […] Deux jours après, les Patriotes ont recommencé leur petit manège à Saint-Charles, le village voisin. Mais, cette fois, les Anglais ont eu le dessus. […]

- Le major Hubert s’est enfui, lui aussi, dit tristement Marie-Moitié. »466

Le récit, attribué à Régine, la sœur de Hyacinthe, relate des événements attestés par le discours historique : les noms des villages sont effectivement ceux en jeu lors de la révolte de 1837. La narration est construite par Louis Caron de manière à ce que l’absence du personnage au moment des faits nécessite son récit. Le discours historique est donc ici pris en charge par les femmes. Cela est d’autant plus intéressant que, comme nous le verrons en fin de chapitre, leur rôle dans l’Histoire est sujet à interrogation, le discours historique étant particulièrement lacunaire à ce sujet.

La bataille finale est quant à elle incluse dans la narration puisque le personnage de Hyacinthe y prend part. Les hommes sont recrutés par François le cordonnier, « caution du major Hubert »467 et par Gagnon qui, selon les villageois, avait dit « que des milliers d’Américains viendraient, avec des armes et des munitions. Dans cette perspective, c’en était fait des Anglais. »468 Ce personnage est issu de la Société des Frères Chasseurs469 à laquelle les hommes prêtent serment dans la maison de Marie-Moitié :

« Je jure que je ne trahirais pas les secrets …

Les hommes reprenaient chaque membre de phrase après Gagnon, comme on le fait à l’église.

- … et que je ne révélerai rien de la Société des Frères Chasseurs à quiconque n’en fait pas partie. Si je trahis, je reconnais à la Société le droit de me trancher la gorge jusqu’à l’os, à moi et aux miens et de brûler ma maison et tous mes biens. »470

466

Ibid, p.208.

467 Ibid, p.226.

468 Ibid, p.227.

469 Cette société fut celle constituée par les Patriotes qui, en 1838, cherchèrent à poursuivre la révolte.

470

164 Les péripéties suivantes trouvent également leur source dans les événements historiques avec l’évocation de l’absence des renforts espérés en provenance des Etats-Unis :

« On était partis pour aller à la rencontre de l’histoire. Deux jours et trois nuits plus tard, on se retrouvait dans une clairière, au sommet d’une colline ronde où il n’y avait personne. »471

Le discours romanesque reprend les étapes majeures des événements historiques, jusqu’aux incendies commis par les Anglais lors des dernières luttes avec les Patriotes, ce qui est ici rapporté par une femme chassée de son village :

« Nos hommes, ils se sont laissé tromper par les belles paroles des parlementaires. Mais les Anglais, eux, n’ont pas tenu parole. Ils ont attendu que tous les Patriotes soient sortis de l’auberge, ils les ont pris, ils les ont emmenés sur des charrettes puis ils ont mis le feu partout. »472

L’incendie décrit correspond aux faits attribués au commandant Colborne et à ses soldats.

2.1.3 Le procès

Enfin, le dernier point de convergence entre les discours historique et romanesque se situe dans le procès instruit à l’encontre des Patriotes.

« On instruisait les procès des Patriotes. Une cour martiale avait été formée. Il appartenait à l’armée de traiter les cas de haute trahison. Le major général Mark Sullivan présidait. »473

Si Caron invente le nom du juge474, il reprend cependant les sanctions décidées par la cour martiale : la pendaison pour certains d’entre eux et l’exil australien pour les autres. Cette

471

Ibid, p.233.

472 Ibid, p.241.

473 Ibid, p.288.

474 Le juge président de la cour martiale qui a été formée le 27 novembre 1838 était le major général John Clitherow.

165 décision est commentée dans le roman par un journaliste, Gregory Thomas. Ce dernier déclare à un jeune rédacteur :

« Plus une seule ligne sur cet Hyacinthe Bellerose. Jamais. Parce que ce n’est pas un Patriote comme les autres. Lui, il dénonçait la misère et l’injustice sans faire de politique. Et ça, c’est très dangereux. Le gouverneur a pris la bonne décision en le condamnant à l’exil. S’il l’avait laissé moisir en prison, il aurait gâté les autres. Et, en le pendant, on en aurait fait un martyr dont on aurait parlé dans deux cents ans. »475

Caron laisse le soin à un personnage anglophone, de qualifier Hyacinthe de Patriote, ce qui n’avait pas été clairement effectué jusqu’ici. Ce faisant, non seulement l’auteur s’éloigne du discours historique, mais il continue à construire, jusqu’au terme du roman, une figure romanesque qui représente le Bien. Au travers de ce personnage, le lecteur peut avoir l’impression que Caron élabore une représentation du Canadien-français, juste et luttant non seulement pour sa vie mais aussi pour celle de son peuple. Il s’éloigne de ce fait de l’Histoire pour symboliser les luttes des Québécois. Pour ce faire, si Caron s’attache à donner un cadre historique à son récit, il n’en établit pas moins d’importantes distorsions avec le discours historique.