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Des définitions à l’examen d’invariants

Chapitre 2 : Le roman historique 209 , une entité à circonscrire

3. Des définitions à l’examen d’invariants

Contrairement à ce que nous aurions pu souhaiter, attendre et espérer aucune définition claire, précise ne ressort du discours critique. Nous sommes loin d’un roman d’apprentissage qui peut se définir de manière beaucoup plus précise par les caractéristiques du héros, par la trajectoire spatiale du personnage, par la présence des initiateurs ou encore les apprentissages sociaux et amoureux. Les données qu’elles soient esthétiques ou idéologiques sont relativement simples et facilement perceptibles dans une telle œuvre.

Pour le roman historique, rien de tout cela. La définition est à la fois plus périlleuse, moins assurée mais aussi finalement peut-être plus attrayante et prometteuse pour le lecteur et le critique. Nous venons de montrer que l’élément majeur du roman historique n’est pas, comme nous aurions pu le penser, l’histoire en tant qu’objet, sacralisé, définitivement défini et objectivé, introduit dans l’œuvre comme un élément externe auquel l’auteur aurait adjoint quelques ornements afin d’atteindre la part fictionnelle de ce roman. L’Histoire est à la fois le matériau, l’outil, l’époque ou encore le contenu, le contenant et le média, c’est-à-dire que l’écrivain inscrit dans un même ensemble la temporalité présente et la continuité, s’empare de l’historicité d’événements pour écrire une histoire à moins qu’il ne s’empare de l’histoire pour écrire une Histoire.

L’intérêt premier du roman historique réside dans le prisme de l’histoire, qui peut tout à la fois réfléchir un présent et réfracter un passé, sachant que l’angle de vision résulte de la conjonction des positions de l’auteur et du lecteur. Reste à poursuivre les investigations sur la nature de cette H(h)histoire qui se démultilplie sous nos yeux. Reste à envisager les conséquences sur l’esthétique romanesque et notamment sur les rapports du roman à la temporalité. Reste à rencontrer les personnages qui vont pouvoir endosser cette narration, ce discours si simple puisque déjà écrit, si foisonnant puisque réécrit. Quelle est la nature de ce référent, de cette Histoire ? Quel en est l’influence sur l’histoire ?

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3.1 Un référent multiple et mouvant : l’Histoire

3.1.1 Le passé en question : quel passé ?

Claudie Bernard, dans son article sur La Bataille de Patrick Rambaud, formule l’idée suivante : « la vraisemblance dans le roman historique repose du reste sur cette double et paradoxale exigence : être supposée conforme à une historiographie, que nous n’avons pas lue et n’avons pas envie de lire. »279 La justesse de cette remarque vient nous interroger sur nos motivations de lecteur : pourquoi aller lire des romans pour découvrir un passé que nous pourrions tout simplement appréhender au sein d’ouvrages historiques, et ce, de manière probablement plus objective, plus précise peut-être et apparemment exhaustive ? La réponse nous semble résider dans le sens ou les significations que nous accordons au vocable « histoire ». Si nous voulons lire un discours historique, nous lisons un livre d’Histoire avec toute la scientificité qu’il peut offrir. Si nous voulons envisager l’Histoire, notre passé ou le passé d’une communauté, d’un peuple, nous pouvons lire un roman historique. Or, ce passé n’est pas choisi au hasard. L’époque représentée dans le roman est une époque mouvementée, troublée. Elle permet alors par les troubles qui la caractérisent de faire émerger un ou des personnages qui vont y jouer un rôle. Elle constitue aussi un ressort dramatique intéressant. Michel Raimond l’explique ainsi :

« [Le roman] découvre dans certaines périodes du passé, des mœurs ou un état de société qui permettent à un homme seul ou à un groupe d’amis d’accomplir des prouesses et de jouer dans une intrigue compliquée un rôle décisif. »280

Il est en effet nécessaire que ces périodes troublées soient relatées pour que les personnages puissent accéder au statut de héros en accomplissant des actions audacieuses et mémorables.

279 Bernard, Claudie, « Le Roman historique, une tranche d’Histoire : à propos de Patrick Rambaud », op. cit, p.291. C’est nous qui soulignons.

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3.1.2 Le discours Historique sur ce passé : petite et/ou grande Histoire ?

Ce qui différencie le discours historique du roman historique est en partie l’objet qu’ils envisagent : l’Histoire envisage les faits les plus marquants, ceux qui sont consignés parce qu’ils doivent être connus des générations futures, ceux qui expliquent l’Histoire des nations notamment. Elle s’intéresse donc aussi aux grands hommes qui font cette Histoire ou du moins qui la vivent de manière si ce n’est privilégiée, du moins visible. Le discours historique s’intéresse peut-être à la part visible de l’Histoire ou, pour être plus exacte, il s’intéresse à rendre visible une part visible de l’Histoire. Le roman historique quant à lui s’intéresse au quotidien, à ce que l’Histoire laissait de côté. Car cette répartition date en partie du XIXème siècle, au moment où l’Histoire, pour se constituer comme science, ne pouvait se permettre d’afficher son intérêt pour le minuscule, pour le social ou pour les mœurs. Cette matière-là, celle qui n’était pas envisagée comme monumentalisable par les historiens, a été celle du roman historique. Le roman historique s’est forgé sur le vide laissé par l’Histoire, sur cet espace vacant, celui des hommes et du privé, qui ne pouvait pas être vide de sens. Cela ne signifie pas pour autant que le roman ne relèverait que du privé et ne serait donc qu’un discours apportant un sens si particulier qu’il ne pourrait nous toucher car « le roman, lui, part du privé pour nous éclairer, le cas échéant, sur le public. »281

Tout comme l’historiographie s’est renouvelée au XIXème siècle par une nouvelle approche des documents, le romancier établit un rapport particulier avec ses sources. Au lieu d’une prise de recul, d’une distanciation des événements et des hommes, l’écrivain cherche à plonger pleinement dans toutes les composantes de l’Histoire, « ce que l’histoire oublie ou dédaigne, les détails de costumes, de mœurs, de physionomies, le dessous des événements, la vie, en un mot »282. Pour ce faire, le romancier ne va pas pouvoir se contenter de puiser dans le discours historique qui s’avère souvent lacunaire de ce point de vue. Louis Caron le manifeste dès l’avant-propos du Canard de bois : « Pour moi, l’histoire n’a de sens qu’entre les lignes des manuels. »283 Il s’agit dès lors de trouver une autre matière, ce qu’explique Claudie Bernard :

« Cette petite histoire, les romanciers la glaneront moins dans l’Histoire-discours que dans les textes qui ne sont ni Histoire ni fiction, et que l’Histoire-discours exploite sous le nom de « documents » : registres administratifs, comptes rendus, témoignages,

281 Bernard, Claudie, Le Passé recomposé, op.cit, p. 121.

282 Hugo, Victor, op.cit, p.54.

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101 mémoires, légendes, iconographies directement issus de l’époque envisagée, de l’Histoire passée. Les romanciers les citent plus volontiers que leurs sources érudites, parce qu’ils ont une saveur de vécu qui camoufle leur origine livresque. »284

Les sources peuvent donc être identiques à celles des historiens mais c’est leur emploi qui est différent. En effet, loin de cantonner ces données au statut d’anecdotes, intéressantes mais non fondamentales, les romanciers, a contrario, en font le matériau le plus noble de leur histoire. L’Histoire n’est donc plus un objet externe que l’on adjoindrait à la fiction pour que cette dernière gagne en vraisemblable. L’Histoire est à nouveau construite par l’histoire et le passé se voit, à nouveau et différemment, envisagé, donc expliqué. Il ne nous semble donc pas qu’il y ait des objets différents, une petite histoire pour le roman historique et une grande Histoire pour le livre d’Histoire. Il y a un passé, différemment envisagé, car considéré en fonctions d’enjeux distincts.

3.1.3 Passé, Histoire et roman : rapport d’inclusion ou rapports transversaux ?

Pour Claudie Bernard, le passé, « indéfini », est « (re)composé par le discours ultérieur. Recomposé une première fois par l’historiographie ; et recomposé encore (on voudrait dire « surcomposé ») par le roman historique »285. Cette approche est intéressante pour comprendre que le romancier s’il s’empare aussi du discours historique pour affiner ses connaissances d’une époque, ne part pas d’un élément neutre mais d’un matériau dont on a vu qu’il n’est pas totalement ni définitivement objectif. Ce rapport entre passé, discours historique et roman historique peut être schématisé comme suit :

284 Bernard, Claudie, « Le Roman historique, une tranche d’Histoire : à propos de Patrick Rambaud », op. cit, p.300.

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Bernard, Claudie, Le Passé recomposé, op.cit, p.12.