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Le roman historique, du côté de la fiction ?

3. Roman historique et genres littéraires

3.3 Le roman historique, une histoire entre roman et Histoire

3.3.3. Le roman historique, du côté de la fiction ?

3.3.3. Le roman historique, du côté de la fiction ?

En d’autres termes, quels sont les rapports du roman historique et de la fiction ? Le roman historique est-il une Histoire romancée ou une fiction historique ?

183 Peyronie, André, « Note sur une définition du roman historique suivie d’une excursion dans Le Nom de la rose », in Peyrache-Leborgne, Dominique & Couégnas, Daniel, Le Roman historique, Récit et Histoire, Nantes, Pleins Feux, « Horizons comparatistes », 2000, p.280.

68 Tout laisse à penser que nous pouvons répondre à cette question par l’affirmative : oui, le roman historique est roman. Les indices sont nombreux et d’autorité. Michel Raimond, dans son ouvrage Le Roman, consacre un chapitre entier au roman historique (chapitre 3) dans lequel il le définit comme un héritier du roman d’aventures184 et comme un roman au contenu particulier, l’Histoire :

« Un tel roman, en effet, emprunte à l’Histoire ou trouve dans les marges de l’Histoire des épisodes mouvementés. Il découvre dans certaines périodes du passé, des mœurs ou un état de la société qui permettent à un homme seul ou à un groupe d’amis d’accomplir des prouesses et de jouer dans une intrigue compliquée un rôle décisif. La lecture de ces romans s’accompagne toujours d’une curiosité ardente pour les époques anciennes, elle offre à la fois le prestige du dépaysement et la connaissance du passé. »185

Au même titre que le roman peut conter des aventures, permettre la « connaissance du réel » (chapitre 5) ou d’ « écouter un témoignage » (chapitre 7), le roman peut raconter l’Histoire. Le roman historique est donc pour Michel Raimond, un roman dont le contenu est l’Histoire. Claudie Bernard exprime également cette idée en analysant le roman La Bataille de Patrick Rambaud :

« Le roman historique est un roman, une histoire qui se mêle d’Histoire, de relation du passé ; une histoire à minuscule qui, outre-passant sa vocation fictionnelle – bien manifeste dans le glissement de l’adjectif romanesque vers l’illusoire, le chimérique - , se frotte à l’Histoire à majuscule, polarisée depuis deux siècles par le prestige de la vérité scientifique, et seule bénéficiaire des dérivés historique et historien, le faiseur d’histoires devant recourir à d’autres adjectifs et à d’autres titres. »186

Pour Claudie Bernard, le roman historique relève bien du roman, de la fiction, allant jusqu’à l’outrepasser. C’est ce dépassement qui nous intéresse car il rapproche le roman de l’Histoire, engageant avec lui le genre dans sa quête historique, assouvissant sa quête

184 Raimond, Michel, op.cit, p.49 : « Le roman d’aventures est souvent situé dans une période du passé plus ou moins reculée, et il devient le roman historique. » Cette idée, comme le souligne le critique, avait été évoquée par Pierre-Jean Rémy dans un article de la Nouvelle Revue Française sur le roman historique en 1972.

185 Raimond, Michel, op.cit, p.49.

186 Bernard, Claudie, « Le roman historique, une tranche d’Histoire : à propos de Patrick Rambaud », in Peyrache-Leborgne, Dominique & Couégnas, Daniel, op.cit, p.290. C’est l’auteur qui souligne.

69 d’histoires en englobant l’Histoire. Le roman historique ne serait plus à la frontière entre littérature et Histoire, il ne serait plus cerné entre l’une et l’autre, tantôt asservi à l’une tantôt à l’autre, mais il recouvrirait ces deux sphères conjointement et simultanément, s’inscrivant dans une narration dont on ne saurait plus si elle relève du littéraire, du romanesque ou de l’Histoire. D’où les interrogations de certains critiques sur les rapports entre fiction et discours historique comme a pu le faire Roland Barthes dans son Discours de l’histoire :

« La narration des événements passés, soumise communément dans notre culture, depuis les Grecs, à la sanction de la « science » historique, placée sous la caution impérieuse du « réel », justifiée par des principes d’exposition « rationnelle », cette narration diffère-t-elle vraiment, par quelque trait spécifique, par une pertinence indubitable, de la narration imaginaire, telle qu’on peut la trouver dans l’épopée, le roman, le drame ? »187

Une différenciation est-elle possible entre une narration qui relèverait du littéraire et une narration qui relèverait de l’Histoire ? Les points communs entre les deux éléments, aux origines communes, ne sont certainement pas étrangers à ces difficultés de distinction et, malgré la constitution de l’Histoire comme science au XIXème siècle, la question reste posée.

Dorrit Cohn, envisage un certain nombre de réponses dans son ouvrage Le Propre de la fiction. Elle signale « qu’au cours des dernières décennies son application au discours narratif en général – historique, journalistique, autobiographique – tout autant qu’au discours imaginaire a constitué tout à la fois l’usage le plus répandu et le plus indiscutablement problématique du terme de « fiction ». »188 Elle explique un peu plus loin que cet usage est notamment dû à Hayden White :

« Il soutient que les récits historiques ne sont pas moins des « fictions verbales » que leurs contreparties purement imaginatives de la littérature. Leur dénominateur commun serait la « mise en intrigue » : l’imposition par le narrateur d’un ordre temporel cohérent à une succession d’événements qu’il perçoit dans le passé, en vue de les structurer pour en faire une histoire unifiée avec un début, un milieu et une fin. Bien qu’elle soit très problématique et fréquemment contestée, cette identification de la fiction et du récit n’en a pas moins exercé une influence considérable ».189

187 Barthes, Roland, « Le discours de l’histoire », Le Bruissement de la langue, op.cit, p.153.

188 Cohn, Dorrit, op.cit, p. 22 ;

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70 Dorrit Cohn explique que sa position est autre. En effet, à la suite de Paul Ricoeur, et malgré quelques divergences, elle opte pour une définition de la fiction au sens exclusif de « récit littéraire non référentiel »190. Or, elle commence par expliquer ce dernier adjectif en précisant qu’il « signifie que l’œuvre de fiction crée elle-même, en se référant à lui, le monde auquel elle se réfère »191. Pris dans son acception stricte, ce qualifiant exclut de la fiction le roman historique qui, lui, conjugue éléments du monde réel et éléments imaginaires. Le roman historique ne relèverait donc pas de la sphère fictionnelle. Cependant, Dorrit Cohn apporte elle-même les nuances nécessaires à un tel propos :

« Le caractère non référentiel de la fiction n’implique pas qu’elle ne puisse pas se rapporter au monde réel, extérieur au texte, mais uniquement qu’elle ne se rapporte pas obligatoirement à lui. Mais hormis cela, l’adjectif compris dans notre expression définitionnelle indique également que la fiction se caractérise par deux propriétés spécifiques étroitement liées : (1) ses références au monde extérieur au texte ne sont pas soumises au critère d’exactitude ; et (2) elle ne se réfère pas exclusivement au monde réel, extérieur au texte. »192

Cette position rejoint celle de Jean-Marie Schaeffer pour qui « toute fiction (narrative ou dramatique) accepte comme convention constituante la mise entre parenthèses des exigences de référentialité : la fiction ne se définit pas au niveau textuel, mais au niveau intentionnel, ce qui explique pourquoi un roman historique, même s’il comporte de nombreux énoncés qui ont des référents réels, reste une fiction. »193

Les propos d’André Peyronie dans son article « Note sur une définition du roman historique suivie d’une excursion dans Le Nom de la Rose » permettent de préciser ce rapport aux référents, crucial pour le roman historique. Tout d’abord, le critique précise que « ce qui différencier le roman historique du roman en général est la nature du référent auquel il renvoie, et que, pour préciser cette nature, on ne peut malheureusement faire autrement que de prendre en compte la situation de l’auteur par rapport au récit. » 194

190

Ibid, p.27.

191 Ibid, p.29.

192 Cohn, Dorrit, op.cit, p.31. C’est l’auteur qui souligne.

193 Schaeffer, Jean-Marie, « Genres littéraires », op.cit, p.341.

194

71 Cette position de l’auteur est précisée plus loin :

« Comme le roman, l’histoire emprunte à la forme du récit, mais, alors que le récit historique se réfère à des événements qui ont réellement eu lieu, le roman renvoie à quelque chose qui n’est nullement censé s’être produit. Alors que l’histoire est astreinte à un devoir de conformité au réel et à la vérité des faits (avec tous les problèmes que cela implique), le roman est libre de cette contrainte. A l’évidence l’historien a souscrit un pacte de fidélité qui ne concerne pas le romancier. Cependant, à l’intérieur du genre romanesque, le roman historique occupe, lui, une position spécifique : il se donne en effet le même référent que l’Histoire, mais, en tant que roman, il garde sa liberté d’invention, il n’est pas assujetti au « cahier des charges » qui est celui des historiens. […] Pour être plus précis, il faudrait, pour qu’il y ait roman historique, que ce référent ait été appréhendé par l’auteur comme objet historique déjà constitué, autrement dit qu’une part de sa thématique soit liée, non à son expérience directe, mais à une connaissance indirecte, médiatisée par l’historiographie. »195

André Peyronie place bien le roman historique au sein du genre romanesque. A sa suite, nous pensons donc que les romans historiques relèvent du romanesque, un romanesque contraint par l’Histoire, un romanesque si particulier que nombre de critiques considèrent le roman historique comme un genre à part entière.

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