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I. Des stations en montagne : l’histoire d’une territorialisation de l’industrie de la

3. La station de moyenne montagne entre STL et cluster de tourisme

Alors que les stations intégrées ont été lues comme des pôles de croissance, héritées des théories perrouxiennes, les analyses relatives au développement économique endogène fournissent une clé de lecture renouvelée pour appréhender l’hétérogénéité de stations construites en amont ou en contrepoint de ce modèle de la station intégrée. En effet, quittant la seule sphère de la production industrielle, ce champ théorique a été mobilisé pour questionner l’évolution des espaces ruraux ou encore, dans le cadre qui nous intéresse ici, pour analyser les destinations touristiques et tout particulièrement les stations de sports d’hiver. Ces travaux, valorisés au début des années 1990, s’inscrivent alors en continuité des différentes classifications élaborées à compter des années 1960 et ayant conduit, pour certaines d’entre elles, à poser les fondements de la définition de stations par la prise en compte du contexte territorial.

3.1. Le Plan Neige ou l’impulsion d’un élan typologique

La première génération de typologies trouve son origine dans les années 1970, période où la politique étatique d'accompagnement au développement des stations est en pleine mise en œuvre. A cette époque, le besoin se fait sentir de clarifier, de répertorier et d'inventorier ces « stations » qui se développent. Les auteurs se succèdent alors dans cette tâche, s'attachant à dresser des typologies visant à refléter au mieux l'extrême diversité des stations de sports d'hiver. Différentes clés de lecture ont dominé, allant de la focalisation sur la station à la prise en compte de ses modalités d’intégration sur le territoire.

x La classification des stations par la mobilisation des critères

« classiques » de définition

La mobilisation des critères « classiques » de définition (le site, l’équipement et la clientèle) se retrouve dans les typologies dressées par G. Cumin (1970), R. Knafou (1978) et, dans une moindre mesure, R. Balseinte (1958). Ainsi, les trois générations de stations identifiées par G. Cumin fondées sur les principes d’aménagement des stations24, la classification tripartite de R.

24 La première génération de stations fait ainsi référence aux stations créées à compter des années 1930 et expression du « libéralisme et du laisser-faire le plus complet ». La deuxième, ayant comme emblème Courchevel, marque l’avènement d’un développement de la station organisé, où la puissance publique, par le biais d’une maîtrise d’ouvrage des travaux de construction, trouve un rôle à jouer. La troisième génération quant à elle débute en 1961 avec la station de la Plagne, appréhendée comme « le prototype de la troisième génération » (Cumin, 1970) et consacre l’apogée du fonctionnalisme de ces stations, visant avant tout à l’optimisation des ressources et à la rentabilisation des

Knafou portant un accent exclusif sur les stations créées ex nihilo (station nouvelle sauvage, station nouvelle fonctionnelle et station nouvelle intégrée) ou encore la classification de R. Balseinte limitant l’analyse à la distinction des stations de sports d’hiver des centres de neige permettent de mettre en évidence les caractéristiques physiques et géographiques des stations de sports d'hiver. A la lumière de cette analyse, deux catégories de stations se distinguent. D'une part, les stations intégrées créées ex nihilo, stations de troisième génération selon la typologie de Cumin, créées à partir du Plan Neige dès les années 1960. Modèles d'organisation, de rationalité et de fonctionnalité, celles-ci ont été plus tard considérées comme le fleuron de l'aménagement touristique de la montagne. En revanche, face à cette catégorie de la station intégrée, aucune autre catégorie de stations ne parvient réellement à être mise en relief. Ces stations se définissent en effet tout à la fois par une organisation moins performante que par une implantation dans des sites non optimums (faible altitude, faibles pentes, exposition non optimale), ne présentant notamment aucune garantie d'enneigement.

x La (ré)intégration des stations sur leur territoire

La situation des stations est complexe, et varie fortement selon le contexte territorial dans lequel celles-ci se s’inscrivent. En rupture ou en osmose avec le système économique local (Perret, 1992), ce contexte territorial au sein duquel la station se développe l'influencera nécessairement. Certains auteurs ont ainsi cherché à mettre en évidence cette relation existant entre la station et son territoire support. Pour ce faire, ont été pris en considération des critères tels que les caractéristiques de la collectivité locale support, la qualité du site, ou encore la vocation économique des stations de sports d'hiver.

La typologie retenue par P. Préau (1968) s'attache à distinguer les stations en croisant trois critères : les caractéristiques de la collectivité locale support (taille, dynamisme, équipement), le rythme de développement touristique, ainsi que la qualité du site. A partir de ces critères, P. Préau parvient à distinguer quatre catégories de stations :

- les grandes stations développées dans le cadre de grosses collectivités, au sein desquelles la mutation de l'économie vers l'économie touristique hivernale s'est faite lentement, dans un contexte où préexistait déjà un tourisme estival ou climatique. Dans cette configuration, la qualité du site n'a pas vraiment constitué un critère de choix pour l'implantation d'une station ;

- les stations d'importance moyenne ancrées sur de gros villages, qui constituent des

répliques de la première catégorie de station citée, mais de taille plus limitée. La commune support est elle-même de taille plus réduite, et la population sera partagée entre attrait du tourisme et exode rural ;

investissements. A posteriori, une quatrième génération fut ajoutée par la doctrine, illustrant la remise en cause à la fin des années 1970 du modèle aménagiste de la précédente génération et désignant un retour des stations de dimension humaine réalisées en outre dans un plus grand respect de l’environnement naturel.

- les stations créées de toutes pièces, qui se construisent en rupture totale de la société montagnarde. Dans ce cas de figure, la qualité du site constituera le critère prédominant, voire unique, d'implantation de la station. L'organisation de la station, et en particulier la construction d'un hébergement de tourisme déconnecté des logements permanents, ne permet pas de créer un effet d'entraînement sur la démographie de la commune support, ni de la vallée ;

- les centres secondaires, qui peuvent être tout autant des centres aménagés à

proximité d'une agglomération, que des centres destinés à un tourisme excursionniste ou social. Les faibles moyens financiers mis à disposition ne permettent pas de créer de véritables stations, et la dimension de ces sites reste en conséquence très modeste.

Par cette classification, P. Préau met donc en évidence le fait que le contexte territorial sur lequel les stations se développent a une importance qui ne saurait être négligée. De fondamental au moment de la création de la station, ce contexte territorial a, par la suite, bénéficié des retombées économiques que ces stations ont été à même de générer :

« Au cœur des montagnes, un peu à l'écart des centres urbains, [la station] permettra, par le niveau de son économie, une utilisation complète du site qui lui est dévolu. […] Quelle que soit sa classe, c'est la station de séjour qui réalise le plus gros chiffre d'affaires, qui crée le plus d'emplois (200 à 250 emplois pour 1000 lits) donc celle qui tendra le plus à assurer la prospérité dans sa vallée et être, économiquement parlant, considérée comme une zone industrielle de grand rapport » (Pialat, 1970).

H. Perrin (1971) quant à lui appréhende la station de sports d’hiver comme « la combinaison

d'un territoire mis en valeur – c'est-à-dire d'un domaine skiable aménagé – et de moyens d'hébergement – appelés communément lits – construits sur ce territoire ». Le territoire n’est ainsi plus uniquement

perçu comme un support au développement des stations mais est bien davantage amené à jouer un rôle actif. En ce sens, cette analyse préfigure alors celles menées à compter des années 1990 appliquant aux stations les différents modèles théoriques issus des analyses du développement économique endogène.

3.2. Une approche territoriale pour appréhender la station de moyenne montagne

Dans ses recherches centrées sur les stations de sports d’hiver, J. Perret (1992) propose de manière pionnière d’adapter au secteur touristique l’approche en termes de systèmes productifs localisés. En effet, si ces stations de sports d’hiver portent leur lot de spécificités, elles disposent en revanche d’un certain nombre de ressemblances avec le SPL. En premier lieu, ces stations sont composées d’un ensemble d’entreprises au mode de production artisanal et comportant une part importante de travailleurs indépendants. Celles-ci ont pour finalité l’exploitation d’une ressource locale, le site, et tout particulièrement le domaine skiable. En outre, la construction de la destination touristique suppose l’interdépendance de ces acteurs sans que celle-ci ne soit affranchie d’une certaine concurrence. Enfin, s’il n’existe pas systématiquement de leadership à proprement parler, les stations apparaissent pilotées par

les groupes locaux les plus influents, alors même que les familles jouent par ailleurs un rôle de premier plan. Si ces différents critères permettent de rapprocher la station de sports d’hiver du SPL, il subsiste malgré tout plusieurs éléments constituant autant de points de différence. En premier lieu, l’activité du système n’est pas une activité industrielle mais une activité de services, libérant les entreprises de tout lien productif. Ensuite, la permanence de l’activité : l’activité des stations est une activité saisonnière, venant s’articuler avec d’autres activités économiques telles l’agriculture ou l’industrie présentes sur le même espace géographique. Enfin, ces stations ne dépendent pas exclusivement d’un centre de gestion local mais peuvent, au regard de leur mode de gestion, dépendre de centres de décision extérieurs tels les Conseils généraux. Ces différents éléments de ressemblance et de différence ont donc permis de proposer, en parallèle de la notion de SPL, celle de Système touristique localisé (STL), permettant d’intégrer dans l’analyse des stations le poids de l’histoire ainsi que leurs processus d’intégration dans le territoire (en osmose ou fruit de rapports de force ; dans la continuité du modèle économique préexistant ou en rupture), autant de facteurs susceptibles d’expliquer la trajectoire de développement de cette station.

Si J. Perret a été précurseur dans l’assimilation des stations de sports d’hiver à l’exclusion des stations intégrées à des STL, de nombreux auteurs se sont par la suite attachés à apporter leur pierre à ces questions typologiques, s’essayant à adapter à cet objet d’études les différents cadres théoriques proposés. Ainsi, les stations ont été appréhendées tout autant comme des districts (Gaido, 2002), des Systèmes culturels localisés (SCL - Corneloup et al., 2004) ou encore selon une distinction entre Stations-territoire d’économie touristique (STET) et les Stations-sites de production touristique (SSPT - Peyrache-Gadeau, 2003).

Adoptant comme modèle théorique de référence celui des districts industriels, L. Gaïdo conclut son analyse vers l’évolution nécessaire des stations vers ce modèle organisationnel particulier. Si la station se distingue du district sur quelques points (« la station de sports d’hiver ne

représente pas une forme de spécialisation souple, tout y est conçu en fonction de la neige et de ses pratiques. Les autres prestations ne sont que des accessoires qui servent à enrichir l’offre, à rendre plus évident le positionnement des produits » (Gaido, 2002)), c’est bien son modèle d’organisation que celle-ci se

doit d’adopter, en renforçant pour cela la « culture de la complémentarité et de la coopération internes,

mais également […] la culture de l'émulation qui suppose une cohésion sociale forte […] » (Gaïdo, op.

cit.).

Au-delà de l’assimilation au modèle théorique du district industriel, d’autres auteurs ont à leur tour proposé une classification s’affranchissant peu ou prou des critères de définition originels et valorisant des dimensions variables des stations de sport d’hiver. Rejoignant dans les grandes lignes les travaux de J. Perret, V. Peyrache-Gadeau (Peyrache-Gadeau) distingue ainsi les stations créées dans une optique de développement local (les STET) des stations réalisées par des structures autonomes (SSPT). Ces dernières contribuent ainsi à valoriser non pas le territoire mais l’espace, en l’appréhendant comme un simple support des activités développées. J. Corneloup et al. (2004) s’attachent quant à eux à valoriser la dimension culturelle de ces stations, en mettant tout particulièrement en avant le processus d’enculturation des acteurs. Par là-même, il s’agit alors de placer au cœur de l’analyse

l’ambiance culturelle d’un territoire, conduisant à déporter le regard vers le façonnage de la symbolique du lieu, conduisant à définir des formes variées de représentations de l’espace. Plus récemment, et alors que le cluster tend à devenir le nouvel idéal des politiques industrielles, le concept-clé de Porter se déporte aux stations touristiques. Ceci n’est pas fruit du hasard et s’observent au contraire d’importantes similitudes entre les clusters porteriens et les destinations touristiques, lesquelles se composent d’une importante densité de PME entretenant tout autant des relations de coopération que de compétition développant ainsi des relations non marchandes facilitées par des croyances, des valeurs et une histoire partagées (Clergeau et Violier, 2012).

Ainsi, que l’on soit amené à parler de STL, de SCL ou encore de cluster touristique, ces grilles d’analyse mettant en lumière la territorialisation des stations conduisent à nuancer les premiers essais typologiques. En premier lieu, alors que les stations intégrées ont été décrites comme étant déconnectées de leur territoire, le lien apparait finalement bien plus étroit que cela. Au-delà, les stations de moyenne montagne développent parfois des logiques les rapprochant de celles des grandes. Les typologies originelles ont sans conteste permis de poser les fondements de l’analyse comparative mais ne sont pas parvenues à doter les acteurs supra-locaux d’outils leur permettant d’embrasser la diversité des stations (CNM, 2010). En ce sens, la mobilisation des STL comme grille d’analyse nous permet d’appréhender la richesse des situations locales, richesse allant croissante avec l’exigence d’adaptation progressivement affirmée.

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