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I. Une application de la gouvernance territoriale aux stations de sports d’hiver

2. De la gouvernance à la gouvernance territoriale

A compter des années 1990, le rôle actif de l’espace dans la coordination des acteurs est peu à peu mis en avant. En effet, l’espace n’est plus envisagé uniquement comme un élément « passif » mais bien davantage comme une donnée qui entre dans le calcul économique des agents (Bertrand et Moquay, 2004), ceci alors que les avantages de la co-localisation (permettant de minimiser les coûts de transport) sont réaffirmés. Dès lors, les « territoires » deviennent des acteurs économiques à part entière (Bertrand et Moquay, op. cit.), dont la capacité d’attraction des firmes soulève des questions en termes de compétitivité territoriale. Ainsi, comme cela avait été suggéré avec l’analyse des districts industriels (Marshall, 1919), les territoires vont être amenés à développer en leur sein différentes modalités d’organisation. Celles-ci, loin d’être uniformes, se spécifient aux territoires qu’elles concernent, conduisant alors à considérer que « les coordinations et les organisations autour de ce processus [de coordination des

acteurs dans la perspective d’organisation de l’activité économique] non seulement varient d’un territoire à l’autre mais dépendent de la configuration spécifique de chaque territoire » (Leloup et al., 2005). Ces

différents travaux nous enseignent donc que les « territoires » constituent des acteurs économiques à part entière, dont les modalités d’organisation qui les gouvernent leur sont spécifiques. En outre, ce rassemblement des entreprises est, au regard des différents travaux sur les districts industriels, un facteur positif pour favoriser le développement économique. Cependant, si l’on considère qu’il est possible « d’identifier des zones géographiques au sein desquelles

une organisation endogène se met en place pour favoriser le développement (les « territoires »), [mais que] rien n’indique en revanche que ce type d’organisation n’émerge effectivement d’elle-même » (Callois, 2007). Aussi,

pour inciter ou accompagner la constitution d’un tel dynamisme des territoires, différentes politiques se mettent peu à peu en place.

Avec les premières lois de Décentralisation des années 1980, le territoire voit ici encore son rôle réaffirmé. En effet, au-delà de leur rôle réaffirmé dans le développement des relations économiques, les territoires tendent progressivement à devenir l’échelle privilégiée de mise en œuvre des différents dispositifs d’aménagement du territoire. Cependant, passer d’une conception nationale de l’aménagement du territoire à une approche locale impose quelques ajustements. Ainsi, encourageant les acteurs locaux publics comme privés à travailler en partenariat, les différentes collectivités locales multiplient les dispositifs fondés sur la logique « un territoire, un projet, un contrat » (Auroux, 1998).

2.1. La décentralisation et la naissance des territoires de l’action publique

Fondée autour des principes de centralisme et de subordination vis-à-vis du pouvoir central, le Consulat a entendu faire de l’Etat le gardien de l’intérêt général. Dans ce système ayant pu être qualifié de « jacobinisme apprivoisé » (Grémion, cité par Béhar et Estèbe, 1999), le territoire national se voit quadrillé par l’action des services extérieurs de l’Etat, incarnés en la personne du préfet. Bien loin d’ignorer les territoires infra-étatiques, ce modèle d’organisation a contraire vu se nouer des liens étroits entre les bureaucrates et les notables locaux (Behar et Estèbe, op. cit.). Processus débuté sous la IVe République et véritablement concrétisé avec l’avènement de la Ve, la reconnaissance des territoires s’impose peu à peu. Le projet

d’aménagement d’ensemble du territoire, proposé dans une logique de type fordiste, va voir ses limites portées au grand jour dans les années 1970. Signant ainsi l’échec de cette politique, les années soixante-dix et quatre-vingt marquent l’avènement de la décentralisation et la « « victoire » des territoires » (Behar, 2000).

Dès lors, une série de lois vont intervenir, reconnaissant progressivement l’existence et le rôle des territoires. Les lois de décentralisation, tout d’abord, du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions et du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État reconnaissent aux collectivités locales une série de compétences leur permettant d’agir dans les domaines d’intervention transférés par l’Etat. Cependant, bien plus que de réformer en profondeur le système, ces lois ont permis de prolonger le modèle d’action sectoriel (Epstein, 2004), sans que les collectivités ne soient véritablement libres d’adapter aux situations locales les politiques dont elles ont reçu la charge (Epstein, op. cit.). La loi du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République (loi ATR) et la loi Pasqua du 4 février 1995 pour l'aménagement et le développement du territoire (LOADT) apportent pour la première fois une réponse à ces difficultés et consacrent ainsi plus ou moins explicitement le principe de territorialisation (Faure, 2010). Ce terme de territorialisation reste cependant relativement flou quant à ce qu’il désigne et « se confondant parfois avec la décentralisation ou la déconcentration, il évoque

aussi plus largement la montée en puissance des « acteurs locaux » ou la valorisation de la « proximité » »

(Douillet, 2003). A minima, celui-ci renvoie à la difficulté d’articuler les « découpages politico-

administratifs aux « réalités » socio-économiques » (Offner, 2006). Aussi, dans une finalité de

recherche d’efficacité, le législateur va multiplier les lois pour constituer le maillage territorial idéal. Ainsi seront adoptées en moins de dix ans la loi Voynet du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire (LOADDT) venant modifier la loi Pasqua, la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale ou encore la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

Avec ces lois, le territoire s’impose comme l’échelon adapté pour une mise en œuvre de l’action publique. En effet, celles-ci vont tout à la fois être territorialisées, leur concrétisation et leur mise en place passant par les collectivités locales et territorialisantes, visant à mettre en place de nouveaux territoires de l’action publique (Douillet, 2003). Le territoire devient en conséquence par là-même un opérateur majeur de la modernisation (Béhar et Estèbe, 1999).

x Recompositions de l’action publique : la mise en place de

territoires de projet

« Je préconise ainsi que soit engagée sur l’ensemble du pays (métropole et outremer) la mise en œuvre de « territoires de projet » dont le périmètre et le contenu seront définis par les partenaires eux-mêmes, avant d’être cofinancés par l’Etat, les Régions et les intéressés eux-mêmes. […] En proposant de mettre en œuvre la formule : " un territoire, un projet, un contrat", qui permettrait à chacun d'être "acteur sur son territoire vécu " j'ai le sentiment que nous pourrions susciter le dynamisme et cette confiance dont les français manquent encore trop souvent parce qu'ils estiment n'être pas assez écoutés » (Auroux, 1998).

Envisagé tout autant comme une entité spatiale et comme une scène de concertation (Douillet, 2005), le territoire devient l’espace de référence à valoriser. Sa construction ne va cependant plus résulter d’une démarche descendante transmise par l’intermédiaire d’un schéma national d’aménagement du territoire. Au contraire, celle-ci tend à se fonder sur « une

logique ascendante émanant des territoires et reconnaissant leur diversité » (Behar, 2000). Dans ce

schéma, si l’acteur public apparaît ne plus être en mesure d’être à la source du territoire, celui- ci ne disparaît pas de l’espace local et peut au contraire contribuer à la construction d’une intelligence territoriale (Ruin, 2013) faisant référence au transfert de compétences au bénéfice d’acteurs locaux de natures différentes (Bertacchini, 2004). La logique de territorialisation voit alors les jeux d’acteurs se renouveler par la valorisation nouvelle de la proximité permettant aux acteurs locaux de monter en puissance (Douillet, 2003). Dès lors, c’est bien l’avènement d’un dispositif de nature partenariale qui est consacré, auquel sont amenés à prendre part des acteurs de différentes natures et où le consensus et la coopération deviennent des composantes essentielles.

x Le contrat et le projet au cœur de la démarche partenariale

Alors que les années 1970-1980 sont venues sanctionner l’impossibilité pour l’Etat d’aménager le territoire par une approche nationale, le contrat est apparu comme une réponse rationnelle permettant de déporter le processus décisionnel au niveau des collectivités locales (Béhar et Estèbe, 1999). Ce processus renouvelé a rapidement emporté l’adhésion des différents acteurs concernés et a donné naissance à un foisonnement de dispositifs (David, 2007).

Intervenant pour sceller un projet co-construit par les différents acteurs locaux, ces projets ont sans doute permis l’instauration de scènes pérennes d’échanges (Epstein, 2004). Cependant, si la construction de relations de confiance entre toutes les parties prenantes de la gestion territoriale est sans doute nécessaire pour organiser dans la durée les relations, celle-ci reste dans bien des cas un idéal à atteindre. En effet, au-delà de l’organisation de consultations ayant favorisé l’adhésion des populations locales, la question de l’exclusion des groupes, notamment privés, se pose, ceux-ci pouvant en effet être porteurs de revendications

allant à l’encontre des intérêts dominants. Dès lors, ce sont les élus locaux qui apparaissent comme les véritables pilotes de ces dispositifs42.

2.2. Du territoire de l’action publique au territoire de projet

Si le concept de gouvernance s’est, au fil d’usages multiples et divers, teinté de polysémie, celle-ci reste en revanche bien moindre que celle qui accompagne celui de « territoire ». Aujourd’hui en effet, le territoire est partout, qu’il soit territoire économique, de l’action publique, de projet, institutionnel, d’appartenance, qu’il ait trait à l’hiver, à l’historien, aux plages, aux Indiens ou encore aux sports (Fontan et al., 2004). Aussi, s’interroger sur ses contours et limites apparaît rapidement comme une entreprise audacieuse. Omniprésent dans les différentes politiques d’accompagnement, le territoire fait figure d’objet incontournable. Cependant, s’il tend à être présenté comme le principal bénéficiaire des politiques d’accompagnement, les contraintes posées en termes de pertinence et de cohérence et sur lesquelles nous reviendrons affectent sa définition. Véritablement employée à compter du XIXe siècle (Faure, 2002), la notion de territoire est loin de se parer de critères de définition uniformes et transversaux. Mobilisée tout autant par les économistes, les urbanistes, les géographes ou encore les sociologues, ses caractéristiques varient en fonction des enjeux propres à chaque champ disciplinaire. S’imposant comme un construit des différents acteurs locaux, le territoire se distingue de l’espace, ce dernier faisant davantage référence à une « étendue-support » (Chaboche, 2001). Différentes approches sont ainsi intervenues pour dépasser cette seule perception d’un espace « passif » et affirmer dans le même temps le caractère construit du territoire.

Notion complexe, le territoire est un tout, englobant plusieurs caractéristiques (Fontan et al., 2004). La première est relative à sa localisation. Ainsi, les composantes naturelles du territoire telles ses latitude et longitude, son relief ou son climat constituent autant de caractéristiques naturelles intervenant en premier lieu pour fonder sa spécificité. En effet, la France n’est pas le Groenland, les « territoires de montagnes » ne sont pas non plus ceux des îles tropicales. Cependant, si ces caractéristiques naturelles permettent d’apporter des premiers éléments d’information quant au territoire en question, cette approche reste néanmoins insuffisante. L’émergence d’un territoire sera en effet nécessitera en outre l’émergence d’un sentiment d’appropriation par un groupe social déterminé. Parmi les facteurs traduisant cette appropriation effective, l’attribution d’un nom à ce territoire, la fixation de limites déterminant un dedans et un dehors contribuent à spécifier ce territoire. Ainsi, à la différence de l’espace, le territoire constitue véritablement un construit social « en termes de capacités

endogènes à valoriser des ressources et des acteurs » (Colletis et al., 2005) et se rapproche alors de la

notion anglophone place visant les territoires élaborés par les acteurs à l’occasion de la recherche de solutions à des problèmes productifs communs (Pecqueur, 2009).

42 Les années 1990 voient donc la consécration du contrat et du projet de territoire. Cependant, bien que ces dispositifs aient initialement visé la spécification de la dynamique des territoires, nous soulignons ici que la fréquente sollicitation de bureaux d’études emporte bien au contraire un double risque d’uniformisation et de standardisation.

Si le territoire résulte d’un construit social, il reste malgré tout susceptible de faire l’objet de quelques nuances. En effet, depuis ses premières mobilisations jusqu’à sa (re)découverte au travers notamment des districts industriels, les politiques, encourageant la diffusion de ce modèle d’organisation se sont multipliées. Ici, le territoire ainsi créé prend la forme d’un territoire donné et l’initiative ne relève plus uniquement des acteurs locaux, mais découle d’une vision incitative d’acteurs extérieurs au territoire. Au-delà, les qualificatifs accordés aux territoires se multiplient, conduisant à parler de territoire politique, économique ou encore de projet, dans l’objectif de traduire au mieux la diversité des enjeux qui y sont associés.

2.3. La « bonne gouvernance » comme levier du développement ?

Au fil des années, les différents dispositifs d’action publique adoptés à destination des stations (qui seront détaillés dans une prochaine partie) ont provoqué l’émergence de relations partenariales entre les acteurs économiques et les structures intercommunales, conduisant dès lors à s’affranchir des modes de gouvernance strictement privés qui pouvaient prédominer dans les districts industriels ou autres systèmes de production localisés. L’association des différentes natures d’acteurs ne va cependant pas être l’unique finalité de cette approche renouvelée. Rapidement, c’est la recherche d’une « bonne gouvernance » qui va monopoliser l’attention.

Les premières distinctions entre la « bonne » et la « mauvaise » gouvernance trouvent leur source dans les travaux de la Banque Mondiale. Pour caractériser la « bonne gouvernance », celle-ci retient alors trois critères (Gaudin, 2002). Sont ainsi attendus une plus grande lisibilité de l’action publique, l’augmentation de la responsabilité des dirigeants et des agents de l’Etat, suggérant la réalisation d’évaluations techniques et financières ainsi que la mobilisation de compétences gestionnaires dans l’exécution des différents programmes d’aide. Plus récemment, le Conseil de l’Europe a mis en ligne une vidéo énonçant les douze principes de la bonne gouvernance locale :

Ͳ Elections conformes au droit, représentation et participation juste ; Ͳ réactivité devant les attentes des citoyens ;

Ͳ efficacité et efficience ; Ͳ ouverture et transparence ; Ͳ état de droit ;

Ͳ comportement éthique ; Ͳ compétences et capacités ;

Ͳ innovation et ouverture d’esprit face au changement ; Ͳ durabilité et orientation à long terme ;

Ͳ gestion financière saine ;

Ͳ droits de l’Homme, diversité culturelle et cohésion sociale ; Ͳ obligation de rendre des comptes.

Ainsi portée par les institutions internationales (Banque Mondiale, FMI, ONU ou Conseil de l’Europe), la bonne gouvernance s’apparente à la construction d’une gestion publique fondée

sur une logique entrepreneuriale, plus efficace et plus transparente. Cependant, si cette recherche d’une amélioration des modes de gouvernance dans les différents Etats membres est à première vue louable, cette dynamique normative n’est pas sans poser de limites. En premier lieu, c’est bien la portée universaliste des principes ainsi amenés qui est critiquée. Celle-ci en effet semble se détacher des logiques sociales et culturelles locales pour diffuser des valeurs démocratiques occidentales telles l’équité, la justice, la liberté, l’efficacité administrative (Clivaz et Nahrath, 2010).

En deuxième lieu, si la bonne gouvernance constitue véritablement l’idéal affiché, cette distinction entre « bonne » et « mauvaise » gouvernance apparaît quelque peu manichéenne. En effet, alors que l’accent est porté sur le développement de relations formelles et informelles entre les acteurs, comment parvenir à satisfaire cette classification bipartite ? La « bonne gouvernance » tend donc à s’instituer comme un outil politique normatif et uniforme. Cela l’éloigne alors de la notion même de trajectoire, laquelle se veut bien davantage spécifique et propre à chacune des entités visées. Dès lors, si les principes et moyens de la participation accrue sont bien sûr au cœur de notre approche de la gouvernance territoriale, nous resterons prudents quant à l’usage de « bonne gouvernance » et préférerons porter l’accent sur la diversité des modes de gouvernance étant mis en œuvre.

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