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I. Une application de la gouvernance territoriale aux stations de sports d’hiver

1. La fin d’un modèle hiérarchique et vertical : l’avènement de la gouvernance

1.1. Origines de la notion : du gouvernement à la gouvernance

Le terme de gouvernance est aujourd’hui au cœur de tous les discours. Que l’on parle de gouvernance d’entreprise, de gouvernance environnementale ou de gouvernance de l’action publique, de gouvernance locale, urbaine, de l’emploi, mondiale, des régions européennes ou multi-niveau (Baron, 2003), la notion est devenue incontournable.

Progressivement mobilisée à compter des années 1990, cette notion s’est finalement imposée comme le « symbole d’une nouvelle modernité dans les modes d’action publique et le gouvernement des

entreprises » (Theys, 2002). Faisant écho à des difficultés de coordination impactant une

multitude d’acteurs intervenant au niveau de l’Etat, de la ville, de l’entreprise ou de l’ordre mondial, la gouvernance s’est progressivement affirmée comme le concept permettant de traduire la complexité des situations (Goxe, 2007). Pour autant, la diversité de ses champs d’action, allant de l’économie, au management public, de la sociologie à la science politique, mais également la diversité de ses échelles d’application s’articulant entre local et mondial, ou encore la fréquence de ses recours ne font pas l’unanimité. Assimilée à un « concept fourre-tout » (Gaudin, 2002), la gouvernance a ainsi un temps été soupçonnée d’être la victime d’un effet de mode (Baron, 2003; Chevallier, 2003; Lacour, 2003). Pourtant, son succès ne se dément pas, en témoigne l’analyse bibliométrique41 réalisée par V. Simoulin (2007) établissant de

façon manifeste la mobilisation sans cesse croissante de cette notion.

41 La courbe de diffusion de la gouvernance, proposée par V. Simoulin (Simoulin, 2007) résulte d’une analyse bibliométrique, et questionne le nombre d’occurrences de « governance » dans les ouvrages répertoriés dans la base de données Public Affairs Information Service (PAIS), entre 1972 et 2002. Les résultats de cette analyse sont sans appel : l’apparition du terme aux alentours des années 1975 est bien visible, et si des légères « stagnations » peuvent

x La redécouverte d’un mot médiéval

Redécouverte au cours des années 1990, les sources de la notion de gouvernance sont en réalité bien plus anciennes. Trouvant ses origines dans la langue française au XIIIe siècle, la gouvernance était alors utilisée comme un synonyme de « gouvernement » (Paye, 2005). Fondés sur une base étymologique commune, la gouvernance et le gouvernement renvoyaient ainsi à « l’action de piloter quelque chose » (Gaudin, 2002). Transcrite au travers de la métaphore du gouvernail d’un navire, il s’agissait alors de garder le cap, tout en procédant à de continuelles adaptations dans un contexte souvent changeant (Gaudin, op. cit.). Au XIVe siècle, les premières distinctions entre gouvernance et gouvernement apparaissent. Le gouvernement tend ainsi à renvoyer à l’organisation hiérarchique d’un pouvoir centralisé, tandis que la gouvernance fait elle écho, davantage qu’au pouvoir, à la manière de gérer la chose publique (Canet, 2004).

A cette même période, la gouvernance va se diffuser outre-Atlantique et passer dans la langue anglaise en donnant naissance au concept de governance. Celui-ci sera dès lors mobilisé tout autant dans l’analyse des politiques publiques, de la gestion ou de la sociologie des organisations. L’autonomie de la gouvernance est alors lancée. Ce nouveau souffle dont bénéficie la gouvernance ne va cependant pas empêcher que celle-ci ne tombe en désuétude pendant deux siècles. Ainsi, si une référence à la gouvernance est relevée au XVIIIe siècle dans la philosophie des Lumières, celle-ci étant appréhendée comme l’action d’un gouvernement éclairé respectant les valeurs et intérêts du peuple (Richard et Rieu, 2008), la notion ne sera véritablement redécouverte qu’avec les économistes au XXe siècle.

Cette approche de la gouvernance au travers de son volet économique n’a aujourd’hui pas disparu et constitue, avec l’appropriation de la gouvernance par les sciences politiques, une des deux approches principales. Afin de respecter une approche chronologique, cherchant à rendre compte du processus de diffusion du concept du secteur privé vers le secteur public (Rhodes, 1996), nous présenterons dans un premier temps les principaux apports des travaux portant sur la gouvernance d’entreprise, avant d’interroger la dimension publique de cette même notion.

x La gouvernance d’entreprise : la fin du marché comme unique

mode de régulation

Au cours des années 1930, l’hégémonie du marché comme unique espace de régulation est remise en cause. Au contraire, les questions se déportent et interrogent la structure même de l’entreprise, son organisation interne, les modalités de division du travail entre les différentes unités de production, ou encore ses relations avec d’autres entreprises (Gaudin, 2002). L’accent est alors mis sur la « corporate governance », par laquelle visent à être décrits l’ensemble des dispositifs mis en œuvre par une entreprise pour mener des coordinations plus

être identifiées, la tendance générale est tout de même à un accroissement quasi-exponentiel du recours à cette notion, faisant passer le nombre d’occurrences de 0 en 1972 à presque 250 dans les années 2000.

efficaces que le marché (Richard et Rieu, 2008). Ainsi, en suivant l’hypothèse proposée par R. Coase (Hoerner, 1996), la gouvernance davantage que le marché rend l’entreprise plus efficace pour organiser la coordination de certaines entreprises et de certains échanges (Bouchard, 2005). La gouvernance était alors appréhendée comme un support particulier pour mesurer les dimensions des transactions économiques (Williamson, 1985).

Avec la remise en cause du fordisme survenue dans les années 1970, la lecture hiérarchique de l’organisation de l’entreprise laissa place à une plus grande intégration des différents acteurs prenant part au processus productif. En effet, avec la fin de la hiérarchie des initiatives ingénieur-ouvrier et avec le développement de la sous-traitance, de l’autonomisation des centres de responsabilité ainsi que de la gestion en flux tendu parviennent les premières questions au fondement du concept de « corporate governance » : peut-on gouverner l’entreprise autrement que par le système hiérarchique (Gaudin, 2002) ? Comment peut-on articuler pouvoir des actionnaires et pouvoir des gestionnaires (Bouchard, 2005) ? Dans ce cadre, la gouvernance sera alors lue comme la mise en œuvre de dispositifs visant « à mener des

coordinations internes en vue de réduire les coûts de transaction que génère le marché » (Knafou et al.,

1997).

En effet, la gouvernance permettra de saisir et caractériser les relations se développant au sein de l’entreprise entre ses différentes unités mais également celles la liant à ses différents sous- traitants. Pouvant être formalisées comme informelles ces relations viennent s’inscrire dans une économie fonctionnant par ailleurs fortement en réseaux (Williamson, 1985). L’objectif de ces analyses est clair : il s’agira alors de parvenir à comprendre par quels mécanismes organisationnels la minimisation recherchée des coûts de transaction est obtenue. Il faudra toutefois attendre la fin des années 1990 pour que la question de la « bonne gouvernance » soit évoquée. A cette période, celle-ci tend en effet à perdre de son caractère composite, et à se doter d’une dimension normative. Reprise dans les rapports de la Banque Mondiale, la notion va ensuite rapidement se diffuser dans l’univers des organisations nationales et internationales (Schmitter, 2000). Peu à peu, la gouvernance d’entreprise va donc se voir entourée d’une série de mesures législatives et règlementaires visant à contraindre le cadre législatif de la gouvernance.

Ces questions tenant à la redéfinition des règles du jeu managérial visant à associer davantage de partenaires trouveront, avec l’amorce du processus de décentralisation, un écho particulier. En effet, à une vision unitaire centralisée de l’aménagement du territoire va succéder une approche pluraliste où la prééminence de l’Etat est remise en question.

1.2. Elargissement du champ d’action à l’action publique : la fin de l’hégémonie de l’Etat

Les années 1980 entraînent avec elles d’importantes mutations tant du fait des recompositions économiques que des réformes du secteur public (notamment aux Etats-Unis et au Royaume-Uni) et amorcent en France le mouvement de décentralisation.

Ainsi, au Royaume-Uni comme aux Etats-Unis, un processus de dérèglementation des activités gouvernementales se met en place. Il s’agit de confier au secteur privé certaines missions relevant historiquement du secteur public. Par là-même, on cherche à s’affranchir des contrôles bureaucratiques accusés d’impacter le fonctionnement des gouvernements (Rhodes et Bevri, 2001). Des méthodes de management traditionnellement utilisées dans le secteur privé se répandent alors peu à peu dans la sphère publique (Amar et Berthier, 2007) : c’est la naissance du Nouveau Management Public (NMP). Loin de ne concerner que ces deux seuls Etats, la mobilisation de la notion de gouvernance dans une acception politique se diffuse largement. Ainsi, de l’Australie à l’ex-Union soviétique, de l’Europe de l’Est à l’Afrique du Sud, la gouvernance fait son entrée sur la scène politique (Ruhanen et al., 2010). En France, ses premières transcriptions interviennent au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. A ce moment-là, le processus de reconstruction s’organise, orchestré par les élites technocratiques porteuses « d’une grande ambition de modernisation nationale » (Epstein, 2004). La centralisation de la prise de décisions est préservée, et l’Etat est institué comme « grand

ordonnateur du développement économique et de la régulation sociale du pays » (Fourquet, 1980, cité par

Epstein, 2004). Les rapports entre l’Etat et les acteurs locaux vont cependant évoluer : d’un modèle où l’Etat est le régulateur des relations avec les collectivités locales, on tend peu à peu à s’orienter vers un modèle où une « action collective » va se mettre en place (Thoenig et Duran, 1996).

D’un modèle de régulation croisée…

Comme nous l’avons précédemment présenté, l’Etat, porté par le contexte de forte croissance des 30 Glorieuses s’investit fortement dans divers programmes de reconstruction. Devenant par là-même Etat-Providence, celui-ci accompagne l’implantation en divers points du territoire de projets d’aménagement. Les négociations avec les autorités locales sont ici limitées. Les relations entre l’Etat et les collectivités locales apparaissent en effet fortement déséquilibrées, et ce bien que les parties se doivent d’être intimement liées l’une à l’autre afin de voir la réalisation de ces objectifs. Ainsi, l’Etat est institué comme le pilote de l’action publique, laquelle trouvera finalement corps dans les programmes d’équipements mis en œuvre par les collectivités locales. En dépit de cette mise en œuvre, les collectivités locales se trouvent bien faiblement dotées : leurs ressources financières sont limitées, et seules les dotations de l’Etat peuvent changer la donne.

Aussi, bien plus que de véritables jeux de pouvoir, les relations entre l’Etat et les collectivités locales se rapprochent bien davantage du pouvoir d’influence : charge aux collectivités locales d’attirer l’attention de l’Etat et avec elle l’octroi de capitaux. Ce modèle d’organisation conduit donc à limiter le nombre des parties prenantes à un petit groupe d’acteurs locaux influents. Finalement, celui-ci s’avère être particulièrement conservateur et exclusif : face à l’hégémonie de l’Etat, on se trouve dans une France des notables, qui exclut du processus décisionnel de nombreux acteurs, et tout particulièrement les acteurs socioprofessionnels. Au-delà, les collectivités locales, si elles ont un pouvoir d’influence n’ont pas grand-chose d’autre de plus.

Elles se contentent ainsi d’un rôle d’exécutantes d’une politique dont elles n’ont pas la maitrise.

Cependant, si l’avènement de cette « régulation croisée » a été grandement facilité par la bonne santé de la croissance, cette politique a, à compter des années 1980, connu ses limites. La réalisation d’équipements structurants au hasard des allocations décidées par l’Etat toucha à sa fin à cette période, et les collectivités se voient alors dotées de nouvelles compétences.

… à l’institutionnalisation de l’action collective

Au début des années 1980, l’organisation institutionnelle, jusque-là centralisée autour de l’Etat et structurée autour d’un modèle hiérarchique cède place à une pluralité d’institutions et d’acteurs. Dans ce cadre, la négociation et une concertation en amont de l’adoption de ces politiques se substituent aux politiques verticales descendantes. Traduite à travers le glissement sémantique des « politiques publiques » vers « l’action publique », cette évolution rend compte du repositionnement de l’Etat dans le paysage institutionnel national. En effet, les collectivités, nouvellement dotées de compétences, trouvent désormais une légitimité à intervenir dans des domaines autrefois réservés à l’Etat.

Pour illustrer ce changement de paradigme, P. Lascoumes et P. Le Galès (2012) ont recours à une métaphore musicale : désormais, ce ne sont plus la partition et le compositeur qui sont au cœur de l’analyse mais les interprètes et l’auditoire. L’intérêt se déporte, les champs de l’analyse également. Les collectivités, les entreprises, les associations ou encore les habitants vont alors être chargés de composer ensemble la partition, partition qu’ils devront par la suite interpréter ensemble.

Dans ce schéma, l’Etat demeure un acteur important, mais il est banalisé et tend à devenir un acteur parmi d’autres dans le processus d’élaboration des politiques publiques (Le Galès, 1995). Ces acteurs vont quant à eux se regrouper en sous-systèmes, en réseaux, et bien vite le constat de l’in-gouvernabilité de l’ensemble sera posé. Dès lors, la « gouvernance » sera privilégiée, et l’accent sera porté sur les « mécanismes alternatifs de négociation entre différents groupes,

réseaux, sous-systèmes, susceptibles de rendre possible une action du gouvernement » (Le Galès, op.cit.).

La gouvernance semble donc, dans ce schéma, s’imposer comme nouvelle manière de gouverner. Si les définitions sont nombreuses, G. Stoker (2002) retient cinq « piliers » visant à tout au moins cerner les contours de cette notion :

Ͳ La gouvernance désigne un ensemble d’institutions et d’acteurs qui en sont issus, mais existant également au-delà des institutions ;

Ͳ La gouvernance identifie le brouillage des frontières et des responsabilités pour traiter les problèmes économiques et sociaux ;

Ͳ La gouvernance met l’accent sur une dépendance de pouvoir entre les différentes institutions impliquées ;

Ͳ La gouvernance reconnaît la capacité à obtenir des choses sans que le gouvernement n’utilise son autorité. Cela étant, le gouvernement peut être en mesure d’utiliser les nouveaux outils et techniques pour orienter et guider.

La gouvernance tend, dans ce schéma, à expliquer le glissement d’une politique centralisée et unitaire vers un système décisionnaire collectif. L’adoption des lois dites d’aménagement du territoire dans les années 1990 contraint cependant à questionner la gouvernance au sein des nouveaux périmètres retenus pour la mise en œuvre de l’action publique. Dans ce cadre, la notion de « gouvernance territoriale » ou de « gouvernance locale » est privilégiée.

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