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II. Une nécessaire adaptation des stations de moyenne montagne

1. D’évolutions conjoncturelles en questionnements structurels

1.1. Premières remises en question de l’or blanc

Afin de légitimer une intervention publique massive pour la création des stations issues du « Plan Neige », les différentes politiques d'accompagnement mises en œuvre se sont basées

sur des prévisions de croissance exponentielle du marché des sports d'hiver, prévisions salutaires permises tout à la fois par des perspectives d'augmentation de la clientèle aussi bien française qu'étrangère. Le Conseil Général de la Savoie, pour justifier la construction de la station des Menuires, est ainsi allé jusqu'à avancer une augmentation annuelle de la fréquentation touristique des stations de sports d'hiver de l’ordre de 20% :

« La fréquentation des stations de sports d'hiver s'est accrue de 20% par an. Les choses se passent sous nos yeux, et pourtant il y a quelques difficultés à prendre conscience des chiffres que cela représente » (Conseil Général de la Savoie, in Arnaud, 1975).

Dès les années 1970, les premières oppositions à cet aménagement effréné25 initient une

remise en cause de ces prévisions de croissance mirobolantes. La demande de séjours aux sports d'hiver, qui s'est accrue « de façon rapide et soutenue » (Lorit, 1991) jusqu'en 1982-1983 connaît cette même saison un coup d'arrêt. « L'apogée de ce cycle haussier » est alors atteint, avec un taux de départ aux sports d'hiver de 10% (Lorit, op. cit.). Dès lors, la demande des sports d'hiver se stabilise voire décroît, et c'est en conséquence tout l'équilibre financier des opérations d'aménagement qui est remis en question (François, 2009). Le contexte d'euphorie dans lequel les stations se sont créées tend donc à retomber, et, suite logique ou conséquence directe de la diminution de la demande, les premières méventes immobilières viennent marquer une rupture dans un modèle d'aménagement qui apparaissait pourtant comme salvateur pour l'économie montagnarde, et surtout sans limites.

En effet, si au début des années 1960, portés par l'engouement des sports d'hiver dans leur acception moderne, les acheteurs s'arrachaient les appartements en station, permettant par là- même de confirmer la logique d'investissement pressentie (Figure 4), les avalanches de Val d'Isère et Tignes au début des années 1970 voient poindre les premières contestations. La confiance des acheteurs est écornée, et le « laxisme des pouvoirs publics en matière d'implantation

d'immeubles en montagne » (Gallety, 1983) est violemment critiqué. A cette même période, une

diminution de la fréquentation, conséquence probable du traumatisme causé par la survenance de ces avalanches, contribue à alimenter les premières interrogations relatives aux perspectives de croissance du marché des sports d'hiver.

25 Si les premières oppositions ont été formulées par deux personnalités de l’aménagement touristique, Laurent Chappis et Philippe Lamour, celles-ci vont largement se diffuser dans l’opinion publique avec l’ « affaire de la Vanoise » et les velléités du promoteur de la station, P. Schnebelen, d’implanter au cœur du Parc national de la Vanoise des remontées mécaniques (Mauz, 2003). Cependant, bien que les stations de troisième génération aient constitué les principales cibles de ces critiques, il n’en demeure pas moins que ces dernières viendront impacter le marché des sports d’hiver dans son ensemble.

Figure 4, La relation originelle de dépendance immobilier - remontées mécaniques Elaboration propre.

Ces premières critiques et remises en cause des sports d’hiver ont essentiellement visé les stations d’altitude, créées ex nihilo en application de la « Doctrine neige » de l’époque. Cependant, la relative quiétude dont bénéficient les « autres » stations connaît ses limites. En effet, dès les années 1990, une succession de trois hivers sans neige vient poser la question de la viabilité économique de ces sites et les médias parlent désormais de « stations à deux régimes » (Aménagement et Montagne, 1991).

Les aléas météorologiques font en effet partie intégrante de l'activité de sports d'hiver. Les hivers peu enneigés ne sont tout de même pas monnaie courante, mais ne constituent pas pour autant un phénomène exceptionnel. Dès les années 1930 et alors que le tourisme des sports d'hiver n'est encore que balbutiant, un faible enneigement est venu mettre en lumière la question de la viabilité des sites implantés à une altitude de moins de 1100 mètres (Gauchon, 2009). Reproduite en 1963, cette situation a mis à l’épreuve les stations, en plein boom des sports d’hiver. Néanmoins, la grande faculté d'adaptation dont disposaient ces stations pionnières ainsi que les moindres médiatisations du phénomène ont permis de limiter les conséquences de ce faible enneigement. La spécialisation vers le produit ski en inspiration du modèle fordiste (standardisation de l’offre, spécialisation saisonnière, dépendance vis-à-vis du marché immobilier (Bourdeau, 2008b) va en revanche avoir pour corollaire une bien plus faible adaptabilité des sites concernés. Au début des années 1990, la situation va s’aggraver. Plus que les difficultés inhérentes à un défaut d'enneigement sur la saison, c'est bien la répétition de cette situation pendant trois hivers qui aura véritablement été source de difficulté pour les stations de sports d'hiver. Les stations d'ores-et-déjà qualifiées de « moyennes » n’ont pas été les seules impactées, mais leur situation de dépendance vis-à-vis de l'élément naturel est particulièrement mise en lumière. Facteur aggravant de la situation, les collectivités locales de taille réduite qui ont favorisé l'émergence de stations sur leur territoire, en ayant largement recours au soutien financier des collectivités supra-locales, ne disposent que d'une faible trésorerie leur permettant de faire face aux fluctuations de l'exploitation. En effet, afin de permettre le développement de ces stations sur leur territoire, les communes, bien souvent de taille modeste (Perret, 1992; Perret et Mauz, 1997), ont dû mobiliser de lourds moyens financiers. Ces hivers sans neige précipiteront alors les communes supports de stations vers une déroute financière : l’endettement de la majorité des communes supports de

station est tel que le rapport Lorit fait état d’un extrême pessimisme en avançant que « même

une année normale en pourrait suffire à rétablir la situation » (Lorit, 1991).

Ces trois hivers sans neige agissent comme révélateur des difficultés des stations « moyennes », pointant du doigt leur viabilité économique et leur capacité à surmonter de telles difficultés conjoncturelles. Justification avancée à cette situation critique : les choix de départ opérés, n’ayant pas permis d’optimiser les sites équipés en ne sélectionnant que les sites bénéficiant de qualités géographiques optimales, et la sous-évaluation des investissements à réaliser. De ce fait, les difficultés conjoncturelles évoquées des années 1990 ont pu être considérées comme un révélateur des difficultés structurelles qui préexistaient, autour des choix de développement opérés (ANEM, 1991). Un révélateur tel qu’un accompagnement public a été indispensable, mis en œuvre de manière pionnière par la Région Rhône-Alpes à partir des années 1990, à destination des stations de moyenne montagne.

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