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I. Une application de la gouvernance territoriale aux stations de sports d’hiver

3. Gouvernance territoriale et stations de sports d’hiver

3.2. La gouvernance des stations de sports d’hiver

Les stations de sports d’hiver ne constituent que l’une des nombreuses formes que peut revêtir la destination touristique. Pourtant, l’importance des retombées économiques induites par leur fonctionnement, mais également, et surtout, les importantes difficultés auxquelles celles-ci sont concernées, ont conduit à poser la question de l’existence d’un lien entre performance et gouvernance de la destination. Objet de nombreuses analyses, la gouvernance des stations a fourni différentes clés de lecture pour comprendre les dynamiques de compétitivité de la station (Gill et Williams, 2011), différant des approches traditionnelles par la planification ou la gestion des destinations (Svensson et al., 2005).

La diffusion sans cesse plus grande de ces questionnements relatifs à la gouvernance des stations de sports d’hiver a donné lieu à une grande diversité des approches retenues. En effet, alors que certains travaux appréhendent la gouvernance des stations au travers de la performance de l’opérateur de remontées mécaniques, d’autres s’intéressent davantage à l’articulation des logiques des différents acteurs prenant part à cette destination touristique.

x La performance des stations de ski lue au travers de celle de

l’opérateur de RM

Retenant une classification duale des destinations touristique, L. Botti et al. (2008) distinguent ainsi deux types d’attractions de destinations touristiques. La première, la « D-attraction » (Discovery attraction), renvoie à une satisfaction des touristes arrivant à satiété après un temps, le plus souvent après consommation de l’attractivité. Au contraire, la « E-attraction » (Escape

attraction) se caractérise par sa capacité à générer pour les touristes une satisfaction durable.

En conséquence, si l’attraction primaire de la destination (Leiper, 1990) parvient à prendre la forme d’une E-attraction, les touristes seront susceptibles de demeurer plus longtemps au sein de la destination (Barros et al., 2011).

Appliquant cette théorie à son objet de recherche, la station de sports d’hiver, O. Goncalves (2012) analyse la gouvernance des stations de sports d’hiver au travers de la performance de l’opérateur de remontées mécaniques. Celle-ci retient en effet que si les stations de sports d’hiver se composent d’une grande hétérogénéité d’acteurs, le ski représente le produit d’appel des stations de sports d’hiver, ou, dit autrement, son attraction primaire, ce que bien sûr confirme la chambre professionnelle des opérateurs de domaines skiables Domaines Skiables de France :

« En stations, plus de 120 000 emplois dépendent de l’ouverture des domaines skiables (commerces, hébergements, écoles de ski, services en stations) » (DSF, 2012, 2014).

Dès lors, celle-ci focalise son analyse de la gouvernance sur cet élément primaire, les remontées mécaniques, et plus spécifiquement sur la gestion qui en est faite. Ainsi, par la mobilisation d’outils quantitatifs du benchmarking, O. Goncalves analyse les stations gérées par un opérateur privé comme des stations légèrement plus performantes que leurs consœurs gérées par le secteur public. Cependant, ne pouvant tirer de conclusion manichéenne visant à privilégier tel mode de gestion sur un autre, l’auteure porte l’accent sur trois « recommandations

managériales » à destination des dirigeants de station. Première d’entre elles, l’importance pour

les communes de disposer de savoir-faire, tant humains, techniques que commerciaux avant de s’engager dans la gestion d’une station de ski. Au-delà, le dirigeant doit disposer de capacités d’investissement lui permettant de renouveler son offre, capacités d’investissement plus aisément mobilisables par un opérateur privé. Enfin, l’unicité et la clarté des objectifs, accompagnées d’une distinction entre intérêts économiques et intérêts politiques constituent des critères fondamentaux.

Ces travaux, s’ils permettent de nous éclairer quant à l’efficience des modes de gestion des stations de ski présentent cependant une limite importante, que relève O. Goncalves (2013). L’analyse de la gouvernance des stations de sports d’hiver selon la seule dimension des remontées mécaniques conduit en effet à nier à la fois la dimension collective qui se trouve pourtant au fondement de la destination touristique (Gundolf et al., 2006) mais également le rôle de l’espace dans l’analyse (Bocquet, 2008, par exemple).

Aussi, s’il semble indéniable que le produit ski constitue, aujourd’hui encore le produit d’appel des stations de sports d’hiver (Botti et al., 2014; François, 2009), nous sommes tentés de nuancer l’affirmation que « la compétitivité des stations de sports d’hiver repose directement sur la

performance de l’opérateur du domaine skiable » (Botti et al., 2012) et prenons le parti de fonder

ainsi davantage notre approche de la gouvernance en station sur la prise en compte de l’ensemble des parties prenantes à cette activité.

x L’intégration des différentes « sphères » d’acteurs dans l’analyse

de la gouvernance des stations

Proposant de manière pionnière d’appliquer le concept de gouvernance aux stations de ski, F. Gerbaux et P. Moreau (1996) ont introduit, par la réalisation d’une analyse comparée entre les stations françaises, autrichiennes ou nord-américaines, les premières réflexions relatives à la gouvernance locale des stations de ski. Considérant les attentes de la demande sans cesse croissantes, les auteurs insistent sur la nécessité pour les acteurs touristiques de faire naitre une véritable dynamique associant acteurs publics et acteurs privés. Pour cela, ce sont divers partenariats qui vont se nouer entre les différents acteurs publics comme privés, pouvant prendre la forme de partenariats stratégiques, institutionnels ou encore par projet (Svensson et al., 2005), reflétant en pratique l’asymétrie des relations entre les acteurs (Gerbaux et al., 2004).

Le parallèle avec les stations de ski étrangères permet alors de mettre en lumière les différences que les stations françaises rencontrent avec leurs consœurs. En premier lieu, le développement de la station n’a pas toujours associé la population, et la gestion demeure parfois confiée à un acteur extérieur, n’entretenant pas de lien particulier au territoire. En second lieu, le défaut d’organisation des stations françaises, particulièrement mis en évidence au-delà de nos frontières, débouche sur une difficulté à mobiliser des capitaux pour réaliser des investissements par ailleurs indispensables. Dès lors, une des voies de sorties semble consister en la mise en place de nouvelles formes de management des stations, associant l’ensemble des acteurs prenant part à cette activité touristique. Des instances de concertation mêlant acteurs publics et privés, des ressources attribuées semblent être à la source d’un nouveau mode d’organisation des stations, tendant vers l’émergence d’une gouvernance locale. Cependant, si aujourd’hui de telles instances ont pu voir le jour sous des formes diverses (comités de projets, comités de pilotage, comités de stations…), les années 1990 peinaient à voir émerger ce type de structure participative :

« « L'outil de concertation des acteurs d'une station reste à inventer », commente Jean- Pierre Sonois. Malheureusement, l'idée étudiée par l'Afit (Agence française d'ingénierie touristique) d'un GIT _ groupement d'intérêt touristique _ pour mieux fédérer les efforts des opérateurs, structure qui aurait pu être alimentée par une fiscalité spécifique sur le chiffre d'affaires des acteurs économiques des stations (les offices de tourisme autrichiens perçoivent ce type de taxe), n'a jamais vu le jour » (Robert, 1997).

Ces premiers questionnements relatifs à la place de chacun des acteurs ne sont cependant pas restés isolés, et de nombreux travaux ont par la suite été proposés. Cependant, là encore, nous ne trouvons pas de méthodologie de recherche unique : certains travaux retiennent une approche historique visant à mettre en évidence les pressions endogènes et exogènes qui au fil du temps ont catalysé les changements (avec notamment l'exemple de la station de Whistler ; Gill et Williams, 2011), tandis que d’autres ont cherché à élaborer une typologie des modes de gouvernance (Bodega et al., 2004; Flagestad et Hope, 2001).

A. Flagestad et C. Hope (2001) retiennent ainsi deux modes de gouvernance principaux des stations entre lesquels se crée un continuum de situations particulières.

Figure 11, Structures organisationnelles des destinations touristiques : le modèle communautaire et le modèle intégré (Flagestad et Hope, 2001)

Le modèle communautaire renvoie à la situation où « specialized individual independent business

units (service providers) operating in a decentralized way and where no unit has any dominant administrative power or dominant ownership within the destination » (Flagestad et Hope, 2001). Ainsi, dans ce modèle d’organisation, les stations sont composées d’une pluralité d’entités autonomes, et l’institution politique, jouant, de manière plus ou moins marquée, un rôle d’impulsion et de régulation (Gerbaux et Marcelpoil, 2006). Ce schéma où les différentes unités, régulées par les institutions politiques, agissent de manière plus ou moins coordonnée, se retrouve essentiellement dans les stations européennes.

Le modèle intégré quant à lui (corporate model) renvoie à la situation où la gestion de la destination est le fait d’un acteur privé, le plus souvent une société commerciale. Celle-ci, leader de la destination, poursuit comme objectif premier un objectif économique centré autour de la recherche de profits. Si l’intégration totale d’une destination touristique paraît relever de l’utopie, ce mode d’organisation se retrouve principalement dans les stations nord-

américaines, avec les exemples d’Aspen (USA) et Whistler (Colombie Britannique) (Gerbaux et Marcelpoil, 2006).

Cette approche duale a par la suite été enrichie par D. Bodega et al. (Bodega et al., 2004). En effet, celui définit, outre les community et corporate models deux modèles intermédiaires : les

governed et constellation models.

Relational density

Systemic centralization

High Low

High Corporative Governed

Low Constellation Community

Tableau 3, Modes de gouvernance des stations de sports d’hiver (d'après Bodega et al., 2004)

Au-delà de questionner l’acteur aux commandes de la station, Bodega et al. interrogent l’ensemble des acteurs parties prenantes à cette destination touristique. Ceux-ci relèvent ainsi que ni les corporate et community models ne sont des modes d’organisation idéaux : dans le premier en effet, le fait qu’un acteur unique soit pilote de la destination la rend faiblement adaptable aux enjeux de demain, alors qu’un important facteur de réussite semble tenir à l’institution de relations horizontales. Le second est quant à lui composé d’une grande diversité d’acteurs ne composant pas pour autant un réseau.

Le governed model, caractérisé par un faible nombre de relations activées au regard de ce qui pourrait être (low relationnal density) et un pouvoir fortement centralisé (high systemic centralization) se caractérise par une stratégie souvent définie avec l’aide d’une agence stratégique, mais avec une préservation de l’autonomie des entreprises. Ceci permet alors de préserver la dimension familiale du tourisme et les facteurs émotionnels attachés à cette activité, mais ce modèle pourrait être déstabilisé par des comportements opportunistes ou un remplacement des leaders. Le dernier mode de gouvernance relevé, le constellation model, tend à garantir la préservation de l’identité de la destination, tout en articulant compétition et collaboration en vue de mettre en place une offre intégrée.

L’ensemble de ces modes de gouvernance ainsi relevés nous permettent donc de caractériser la gouvernance en place dans les stations. Que l’on se trouve face à un acteur public ou un acteur privé dominant, que le tourisme constitue un objet partagé entre les différents acteurs présents ou soit au contraire réservé à un petit groupe, chaque station va affiner, spécifier ses propres stratégies organisationnelles. Dans le cadre de cette recherche, nous visons à

questionner tout spécifiquement l’évolution des modes de gouvernance avec la mise en œuvre de la diversification. Celle-ci contraignant a priori à la définition d’un territoire de projet et faisant intervenir l’acteur supra local, nous serons donc contraints de nous éloigner de l’analyse de la gouvernance du seul domaine skiable pour l’élargir au territoire touristique. Alors que la notion de territoire s’est parée, au gré des usages et des disciplines, d’acceptions multiples, son application à l’objet tourisme n’a pas pu se départir d’une certaine complexité. D’un territoire calqué sur les contours du domaine skiable, la diversification impose de repenser les échelles spatiales mobilisées.

x Quelles réalités pour le territoire touristique ?

Encouragés par les acteurs supra-locaux à créer un territoire « de développement » combinant cohérence géographique, culturelle, économique et sociale, les acteurs locaux sont incités à s’affranchir des cadres administratifs existants (Douillet, 2005). En dépit de cela, la référence aux échelles institutionnelles est préservée, tout particulièrement au regard de l’exigence de portage de ce projet touristique par une structure intercommunale. Au regard de ces critères multiples, parvenir, en une définition à la fois claire et exhaustive, à définir le territoire touristique apparaît comme une entreprise particulièrement malaisée. Aussi, à cette définition unique du territoire touristique utopique nous préférons une décomposition en quatre formes de territoire (Tableau 4).

Territoire de

l’action publique Territoire de projet, bénéficiaire d’une action publique dédiée Territoire touristique

institutionnel

Territoire à l’échelle de laquelle l’activité touristique s’organise (échelle d’exercice de la compétence tourisme)

Territoire touristique promu Echelle spatiale à laquelle se développent et se mettent en œuvre les activités touristiques (marque touristique)

Territoire touristique ressenti Identité touristique territoriale à laquelle les différents acteurs se rattachent

Tableau 4, Une pluralité de territoires touristiques Elaboration propre.

La première forme de territoire touristique renvoie au territoire sur lequel l’action publique se met en œuvre. Ce territoire, assimilable au territoire de projet, renvoie alors au territoire support du projet touristique tel que défini en vue d’un accompagnement par l’acteur supra- local. Ce territoire de l’action publique ne se superposera pas pour autant au territoire touristique institutionnel, visant quant à lui l’échelle administrative à laquelle s’organise l’activité touristique. Ainsi, d’une compétence touristique gérée « par défaut » par l’autorité municipale, ce territoire pourra s’élargir aux contours de l’intercommunalité dans le cadre d’un transfert de compétence intervenu à son bénéfice. Le territoire touristique promu

renvoie quant à lui au territoire comme support des différentes activités touristiques. Celui-ci sera alors le plus souvent formalisé par l’existence d’une marque touristique qui sera ensuite commercialisée. Enfin, la dernière forme de territoire ici mise en lumière est bien le territoire touristique ressenti, auquel se rattachent les différents acteurs prenant part à cette activité, mais aussi en lien avec la population locale.

Les modalités d’accompagnement retenues par l’acteur supra-local deviennent donc, à compter des années 2000, davantage contraignants. Cette contrainte nouvelle prend essentiellement forme au travers des attentes en termes de projet, de contrat et de territoire. Les stations, accompagnées depuis les années 1990 sous la forme d’une politique de guichet sont donc contraintes de s’adapter ; à défaut, c’est le renouvellement de l’accompagnement qui va être questionné. Nous supposons cependant que ces contraintes ne sont pas sans effet pour les stations et leurs territoires, ce qui nous conduit à poser comme première sous- hypothèse que l’action publique dédiée impacte fortement les processus de structuration des territoires.

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