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PREMIÈRE PARTIE : La médecine interne, une spécialité hybride à la légitimité contestée ? Archéologie d’une rhétorique

Chapitre 1 La médecine interne : « naissance » d’une spécialité

II. NAISSANCE D’UNE SPÉCIALITÉ ET ÉMERGENCE D’UNE RHÉTHORIQUE PROFESSIONNELLE : LE CAS DE LA MÉDECINE

II.2. La spécialité de médecine interne

II.2.1. La société nationale française de médecine interne (SNFMI)

La réforme du 30 décembre 1958, dite « réforme Debré », se traduit par trois ordonnances et un décret qui créent les centres hospitalo-universitaires (CHU) et les médecins à temps plein hospitalo-universitaires. Elle permet également l’irruption des sciences fondamentales, désormais placées au même niveau que les sciences cliniques et le rassemblement au sein d’une même structure des activités de soins, de prévention, de recherche et d’enseignement. Les anciennes divisions entre Chirurgie, Médecine, et Maternité (CMO) font place à de

109 Patrice Pinell, art. cit., p. 7.

nouvelles subdivisions disciplinaires par type d’organe (cardiologie), de pathologies (maladies infectieuses) ou par âge (gériatrie, pédiatrie)110.

L’individualisation de la médecine interne en France date de 1968 mais il n’y a alors pas vraiment de cohérence ni d’homogénéité au niveau national dans l’organisation de la spécialité. En 1970 est créée la qualification en Médecine Interne par l’Ordre des Médecins. Les « Bulletins et Mémoires de Société Médicale des Hôpitaux de Paris » deviennent les « Annales de Médecine Interne »111. La communauté des internistes s’organise peu à peu. On trouve sur l’actuel site interne de la SNFMI le récit la naissance de la spécialité :

La spécialité "Médecine interne" est officiellement née en 1970, avec la création par l’Ordre des Médecins, de la qualification en Médecine Interne. La création du vocable « Médecine Interne » - à la fois voulue et décidée d'une part pour adhérer à une harmonisation internationale et d'autre part pour clairement distinguer cet exercice de celui de la Médecine Générale (médecine omnipraticienne, médecine de famille, médecine de premier recours) – dictait aux Internistes de tous horizons, comme partout en Europe et dans le monde, la nécessité de se rassembler, de faire connaître et respecter leurs spécificités, et de fédérer leurs compétences au service de la qualité des soins, de la formation et de la recherche médicales.112

Ce rassemblement aura lieu, puisqu’en 1978 voit le jour la Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI), sous l’impulsion notamment des internistes Claude Laroche et Pierre Godeau113. Les 7 et 8 décembre 1979 se tient à Lille le premier congrès national de Médecine Interne, en présence de 300 internistes. L’année 1984 est celle de la création d’un

110 En 1949 sont créés les CES, certificats universitaires de spécialité et un décret est promulgué qui distingue le médecin spécialiste ou compétent dans une spécialité et fixe une première liste de spécialités. Dès 1957 les médecins spécialistes ou compétents répertoriés par l’Ordre des Médecin représentent environ 46% de l’effectif total. La réforme de 1958 et la création des CHU va favoriser l’éclosion des spécialités. Jacques Beylot, auteur d’un article intitulé « Médecine générale, médecine interne. Des combats aux enjeux partagés », analyse le processus comme suit : « la création des CHU, enfants de la réforme Debré, a été le facteur déclenchant de l’explosion des spécialités médicales. Chaque nouvel hospitalo-universitaire a estimé au nom de sa triple mission qu’il ne pouvait se valoriser qu’au bénéfice d’un organe ou d’un système. » Jacques Beylot, « Médecine générale, médecine interne. Des combats aux enjeux partagés », La Revue de médecine interne, 30, 2009, pp. 377-381, p. 377.

111 Elles ont cessé leur parution en 2003.

112http://www.snfmi.org/content/historique consulté le 23 septembre 2018.

113 La SNFMI avait alors pour mission « d’étudier toutes les question relatives à la Médecine Interne, d’en promouvoir la diffusion auprès des médecins et des futurs médecins et d’en assurer la représentation à l’échelon national et international. »

53 DES de médecine interne, dans le cadre de la réforme de l’internat, qui « donnera le cadre définitif de la formation théorique et pratique des jeunes internistes.»114115

Jean-Benoît Arlet, dans un article intitulé « Attente et vision de la médecine interne par les jeunes internistes français », revient sur cette période (1970-1984) en montrant comment certaines contingences ont façonné l’exercice de la médecine interne et expliquent partiellement les difficultés qu’il y a à la définir :

La spécialité de médecine interne en France, officiellement appelée ainsi en 1970, s’est initialement construite sous l’impulsion d’élèves issus des grands services de médecine au moment de l’explosion en multiples spécialités. Ces élèves avaient souvent une double spécialité (double appartenance), ce qui était courant et possible avant la mise en place du DES en 1984. Ils ont parfois été tentés d’orienter, souvent avec succès, leur service vers cette spécialité dans une période où la reconnaissance institutionnelle était apportée aux services les plus spécialisés, même s’ils ont conservé une vision globale des patients. D’autres services ont axé leur recrutement sur des maladies rares et orphelines, qui font partie intégrante des pathologies prises en charge en médecine interne, mais en délaissant alors les patients de médecine interne polyvalente. Enfin, bon nombre de services de médecine interne, particulièrement dans les hôpitaux généraux, ont gardé un recrutement « tout venant », allant de problèmes diagnostiques difficiles et de maladies rares à la prise en charge de pathologies « simples » et ciblée chez des patients nécessitant une hospitalisation. Actuellement, ces services de médecine interne « non spécialisés », plébiscités par les juniors, sont les plus nombreux sur notre territoire. Cependant, les différences d’exercice de la spécialité de médecine interne et les orientations prises par chaque service ont pu par le passé aboutir à une grande difficulté pour définir la médecine interne.116

114 Arnaud De la Blanchardière, et Thang Dinh. « Histoire de la médecine interne », Revue de médecine interne, 1994, 15, pp. 690-693.

115 Ce DES comporte alors 10 modules d’enseignement théorique et une formation pratique de 5 ans dont 3 semestres dans des services de médecine interne.

116 Jean-Benoît Arlet, Amicales des jeunes internistes, « Attente et vision de la médecine interne par les jeunes internistes français », Revue de médecine interne, 29, 2008, p. 1085.

II.2.2 La Revue de médecine interne

Le premier numéro de la Revue de médecine interne date de juin 1980. C’est une étape importante puisque c’est la première revue française spécifique de médecine interne. La création de la revue, d’une périodicité trimestrielle, fait suite à la revue Cœur et médecine interne « devenue partie du tout » puisqu’intégrée d’une certaine manière dans cette publication à visée plus large. Il existait alors deux revues centrées sur la cardiologie, Archives des maladies du cœur et des vaisseaux, fondée en 1907 et Cœur et médecine interne, créée en 1961 alors qu’aucune publication spécifique de médecine interne n’avait cours, malgré l’émergence de la médecine interne comme spécialité et la création de la SNFMI. C’est donc en juin 1980 que paraît le premier numéro de la Revue de médecine interne. La revue est alors divisée en 6 sous-parties : « Éditorial scientifique », « Mises au point et travaux originaux », « Communications brèves de médecine interne », « Carrefour des spécialités », « Le mouvement thérapeutique » et « Le Journal de l’interniste »117.

Presque dix ans plus tard, lors du dixième anniversaire de la SNFMI, le Professeur Jacques Debray proclamait :

Le navire lancé à Lille en 1979 va connaître la houle, les flux et reflux d’une époque mouvementée, des réformes et contre-réformes ; il devra affronter les réactions et décisions parfois divergentes, sinon contradictoires, des pouvoirs successifs, et aussi les incompréhensions, voire les hostilités à base ou non de mauvaises informations, d’autres communautés médicales. (…)

L’interniste met au service de la communauté des malades, des médecins de famille, des autres spécialistes, sa capacité de synthèse et de réflexion globale, nourrie par sa longue formation diversifiée, ses connaissances sans cesse actualisées de la valeur et des limites du recours aux ressources biologiques nouvelles, aux technologies affirmées.118

117 Voir l’éditorial de M. Roux-Dessarps, La Revue de Médecine interne, juin 1980, p.6.

118 Ces propos sont retranscris sur le site de la SNFMI, http://www.snfmi.org/content/historique, consulté le 12 septembre 2018.

55 Avec la spécialité de médecine interne se construit une rhétorique professionnelle qui tend à situer la médecine interne dans le paysage hospitalier et à légitimer cette position. Tout en revendiquant la légitimité de la médecine interne en tant que spécialité, les internistes ne cesse de la situer à contre-courant du processus de spécialisation médicale, lui faisant souvent jouer le rôle de garde-fou119 contre les excès supposés ou reconnus de cette dernière. La Revue de médecine interne et notamment ses éditoriaux sont le vecteur d’une telle rhétorique :

L’interniste se définit et s’individualise par sa manière d’aborder le malade et la science médicale. Il prend en charge le malade dans sa globalité et pratique une médecine de l’homme et non une médecine d’organe. Il s’intéresse à l’ensemble de la science médicale « en évitant de se confiner dans les schémas cliniques, techniques et thérapeutiques des monospécialités. » Il ne méconnaît pas cependant l’apport inestimable des spécialistes dans les progrès de la médecine moderne, notamment dans le domaine technique, mais il réagit contre la médecine « en pièces détachées » à laquelle aboutit trop souvent la tendance à la spécialisation, voire à la sous-spécialisation.120

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