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L’autonomie de la personne comme principe éthique redéfini par la bioéthique

DEUXIÈME PARTIE : LA DÉCISION MÉDICALE AU CARREFOUR DE NOUVELLES NORMES ?

Chapitre 1 Penser ensemble la santé et l’autonomie dans la décision médicale ?

I. AUTONOMIE : ÉMERGENCE ET EFFECTIVITÉ D’UNE NORME CLINIQUE, ÉTHIQUE, JURIDIQUE ET SOCIALE

I.I. 6 De l’idéal des Lumières à l’instrument disciplinaire : une critique de l’autonomie

I.2 Émergence de la norme d’autonomie en médecine : d’un corps à restaurer vers un sujet à respecter 354 ?

I.2.3 L’autonomie de la personne comme principe éthique redéfini par la bioéthique

376 Nora Moumjid-Ferdjaoui et Marie-Odile Carrère, « La relation médecin-patient, l’information et la participation des patients à la décision médicale : les enseignements de la littérature internationale », Revue française des affaires sociales, 2, juin, pp. 73-88.

377 Nicolas Dodier, Les leçons politiques de l’épidémie de sida, Paris, Éditions de l’EHESS, 2003, p. 54.

378 Voir le chapitre 1 de la troisième partie, notamment le cas de Madame D. et les analyses qui en sont proposées.

379 Nicolas Dodier, dans un article intitulé « Les mutations politiques du monde médical. L’objectivité des spécialistes et l’autonomie des patients », analyse les différences entre ce qui nomme la « tradition clinique » et la « modernité thérapeutique » sur les deux axes combinés de l’objectivité des médecins et de l’autonomie des patients. Dans le chapitre suivant, nous reviendrons sur les caractéristiques de cette « modernité thérapeutique » du point de vue de ces deux axes et de leur articulation. « Les mutations politiques du monde médical. L’objectivité des spécialistes et l’autonomie des patients », in Tournay, Virginie (dir.), La gouvernance des innovations médicales, Paris, Puf, coll. « La politique éclatée », 2007, pp.127-154.

139 Nous voyons que plusieurs lignes d’explication éclairent l’émergence de l’autonomie comme valeur dans le champ de la santé et de la relation clinique. Elles connaissent des points de convergence, mais semblent dévoiler des couches qui, prises ensembles, forment le terreau de ce qui apparaît plus comme une matrice de problèmes liés à l’autonomie qu’à une doctrine proprement dite.

Nous avons tenté de montrer comment l’autonomie comme concept médical est passé d’un sens physique et fonctionnel à la désignation du comportement des patients dans la gestion de leur maladie et de leurs traitements. Afin d’appréhender l’autonomie dans son caractère composite et dans la diversité de ses usages sédimentés, ou récemment importés, dans la pratique médicale, nous nous proposons de dégager brièvement les principales lignes explicatives de l’émergence d’une conception de l’autonomie comme valeur cardinale et comme norme pour la décision médicale.

L’autonomie, écrit Marie Ménoret,

se joue sur des scènes physique, éthique et juridique sédimentées. La culture du droit qui s’immisce désormais dans les rapports entre médecins et patients élabore un mode de relation qui devient une interaction « judiciarisable », articulée à la prise en compte de la subjectivité des patients et augmentée de la notion de droit individuel.380

L’autonomie comme objet à restaurer sera redéfini par la bioéthique comme un sujet à respecter. L’émergence du principe d’autonomie s’instruit tout d’abord sur un mode juridique. Suite au procès de Nuremberg, le principe d’autonomie et la règle du consentement libre et éclairé qui en est le corollaire sont énoncés, le premier comme une valeur, le second comme un principe légal, sanctionnés notamment dans un Code de droit international, le Code de Nuremberg, en 1947. Le principe du consentement éclairé est alors requis pour toute recherche biomédicale à venir : parmi les dix principes énoncés, le principe majeur stipule que le consentement volontaire du sujet est absolument essentiel pour toute expérimentation scientifique humaine. L’année qui suit, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme déclare que la capacité de tout individu à consentir ou à refuser sa participation à une

expérimentation scientifique est un droit humain fondamental, nécessaire à la dignité de chaque individu et au respect de sa liberté.

L’autonomie telle qu’elle ainsi caractérisée est une valeur, une valeur qui va être défendue par le moyen du principe légal du consentement éclairé.

L’autonomie comme principe éthique commence à être thématisée dans la littérature médicale et bioéthique. Le principe de l’autonomie du patient, tel qu’il sera énoncé par Beauchamp et Childress381, « gagne une popularité toute particulière […] dans un contexte de dénonciation des dérives associées au paternalisme médical. »382 Dans ce contexte de dénonciation du paternalisme des médecins dans la relation thérapeutique383 que l’éthique de la médecine est investie par des philosophes et des théologiens qui introduisent la défense de l’autonomie de l’individu comme un bien en soi, « socle de l’éthos de la bioéthique américaine ».384 Cette « valorisation philosophique de l’autonomie » donne une première impulsion à l’érosion de la tradition clinique paternaliste et d’une éthique médicale qui serait l’apanage des médecins.385 La seconde impulsion est donnée par le constat et la dénonciation du non respect des sujets de certaines expériences médicales386 et l’émergence d’un mouvement de défense des personnes

qui se prêtent à des expérimentations médicales et suscite l’élaboration d’un cadre de normes destinées à réguler les pratiques de recherche, qui s’étendra ensuite à la pratique clinique. La lutte en faveur d’une nouvelle éthique de l’expérimentation s’articule, note Nicolas Dodier avec « une nouvelle culture politique axée sur la reconnaissance des droits des minorités ou des personnes stigmatisées ». Émergent en effet dans les années 1960 des revendications sociales en faveur de l’égalité des races, des sexes ou de la liberté sexuelle et l’affirmation de certains droits individuels, tels que l’autonomie de la personne. Ces luttes politiques d’émancipation contribuent à radicaliser les débats autours de toutes les formes de paternalisme. Ces « forces conflictuelles, mettant en cause des sources d’autorité » - dont celle de l’institution et du corps médical – ont entraîné « des changements sociaux

381 « Respecter un agent autonome signifie, de façon minimale, reconnaître le droit de cette personne à avoir des opinions, à faire des choix, et à entreprendre une action sur la base de ses propres valeurs et croyances personnelles », Tom L. Beauchamp et James F. Childress, Les principes de l’éthique biomédicale op. cit., p. 63. 382 Marie Ménoret, « La prescription d’autonomie en médecine », art. cit.

383 Notamment par les théologiens Joseph Fletcher et Paul Ramsey.

384 Voir Nicolas Dodier, Les leçons politiques de l’épidémie de sida, Paris, Éditions de l’EHESS, 2003, p. 47. Celui-ci renvoie sur ce sujet à Fox, 1990.

385 Ibid., p. 47.

386 Voir la publication en 1966 de l’article de Henry Beecher, « Ethics and Clinical Research », dans le New England Journal of Medicine, qui analyse 22 exemples d’expérimentations ayant donné lieu à publication dans des revues scientifiques et qui montre que dans chacun des cas des médecins ont mis en danger la vie ou la santé des sujets sans les informer des risques encourus, ni a fortiori obtenir leur consentement. La publication de l’article provoque alors un grand émoi. Voir Nicolas Dodier, ibid., p. 48.

141 considérables dans la vie privée et la vie publique »387 dont certains touchent directement aux questions relatives au corps, à la santé, à la mort : décriminalisation du suicide, de l’avortement, de l’homosexualité, légalisation des moyens de contraception, désinstitutionalisation des malades psychiatriques, etc.

Dans les années 1970, les critiques de l’autorité médicale qui émanent des scientifiques, des philosophes ou des sociologues trouvent un écho dans l’espace public et les médias « et l’autorité médicale et le savoir des experts sont progressivement remis en question par d’autres champs de la connaissance, mais aussi par des voix profanes qui utilisent entre autres, les tribunaux ». Les revendications d’autonomie en bioéthique adviennent dans ce contexte de crise du pouvoir médical « où l’éthique médicale n’est pas suffisante pour répondre à la démocratisation des savoirs, au pluralisme des valeurs et à la sécularisation de la société. »388

Les revendications d’autonomie émanent ainsi des luttes politiques d’émancipation et, nous l’avons vu, de « mouvements de malades »389 qui contribuent à l’émergence de la figure du

patient autonome, dans un mouvement qui va du collectif de malades au patient individuel.

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