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DEUXIÈME PARTIE : LA DÉCISION MÉDICALE AU CARREFOUR DE NOUVELLES NORMES ?

Chapitre 2 De « nouveaux outils » pour la décision médicale : gérer l’incertitude, délimiter des territoires ?

II. UN CADRE THÉORIQUE ET DES OUTILS CONCEPTUELS POUR LA DÉCISION MÉDICALE : MÉDECINE FONDÉE SUR LES PREUVES

II.1. La médecine fondée sur les preuves

II.1.1 Principales critiques

La médecine fondée sur les preuves fait l’objet de nombreuses critiques, sur les plans épistémique, éthique, pratique509. Sans être exhaustifs, nous pouvons mentionner ici les principales critiques qui ont émergé depuis son apparition et qui ont parfois conduit ses promoteurs à apporter divers amendements aux premières définitions qui en ont été proposées.

Sur le plan épistémique, certaines critiques visent les processus de production de la connaissance et du statut de la preuve. Ce qui se présente aujourd’hui comme une approche scientifique évidente de l’évaluation pourrait « ne pas constituer une forme de preuve supérieure que les tenants actuels de l’EBM lui prête »510. La hiérarchie des niveaux de preuves est parfois mise en cause, et notamment la prééminence accordée aux essais cliniques randomisés, parfois critiquée au titre que l’examen des présupposés de ces essais montre que leur pouvoir épistémique est souvent surévalué par rapport aux études de cas511. L’idée selon laquelle les études générales plus vastes et plus abstraites fournissent de meilleures preuves et

508 C’est la définition, désormais consacrée et que l’on trouve dans une grande majorité des articles sur le sujet, proposée en 1996 par Sackett et ali., art. cit. et qui exprime ce que l’on pourrait caractériser comme « l’esprit » de l’evidence-based medicine.

509 Pour des analyses plus poussées sur ces critiques d’ordre pratique, dans la littérature française, voir par exemple Philippe Bizouarn, « Aspects éthiques de la médecine factuelle », in E. Hirsch, Traité de bioéthique, Erès, Toulouse, 2010, pp.728-741 ; Alain-Charles Masquelet, « Evidence-based medicine : quelle preuve a-t-on que la médecine basée sur la preuve apporte un réel bénéfice ? », e-mémoires de l’Académie Nationale de chirurgie, 2010, 9 (3), pp. 27-31 ; et pour une point de vue sur les dimensions politiques de l’EBM : Henri Bergeron, Patrick Castel, Boris Hauray, « Evidence-based medicine », in Dictionnaire critique de l’expertise, Paris, Presses de Sciences Po, coll. « Références », 2015, pp. 140-148 ; Patrick Castel et Sébastien Dalgalarrondi, « Les dimensions politiques de la rationalisation des pratiques médicales », Sciences Sociales et Santé, vol. 23, n°4, 2005, pp. 5-40 ; pour un panorama des critiques qui ont émergé dans le champ des sciences sociales, voir Eric Mykhalovskiy and Lorna Weir, « The problem of evidence-based medicine : directions for social science », Social Science & Medicine, 2004, vol. 59, issue 5, pp. 1059-1069.

510 Jean-Paul Gaudillière et Alexis Zimmer « Essais cliniques et médecine ‘des preuves’ », chap. cit. p. 79 511 K. Benson, A.J. Hartz, « A comparison of observational studies and randomized, controlled trials », New England Journal of Medicine, 2000, 342, pp. 1878-86.

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orientent mieux la pratique que des études individuelles détaillées et soigneusement élaborées est parfois mise en question512.

De manière générale, le caractère désormais hégémonique de la médecine fondée sur les preuves pousse à s’interroger sur ce qui « fait » preuve. La médecine fondée sur les preuves conduirait à adopter une posture agnostique vis-à-vis de ce qui n’est pas prouvé. En allant plus loin, l’on peut mettre en question la « détermination de ce qui fait science et de ce que sont des critères « rationnels » d’évaluation »513. En outre, se pose la question de ce qui compte dans les processus de guérison. La médecine fondée sur les preuves et la place qu’elle occupe dans la pratique médicale tendent à reléguer hors du champ de la médecine « légitime » tout ce qui n’est pas prouvé comme étant efficace, excluant notamment tout ce qui est perçu comme relevant de la croyance et de la suggestion514. De manière générale, de l’intérieur même de la biomédecine, certains pointent la menace que constitue la confusion entre l’absence de preuve d’efficacité d’un traitement et la preuve de son inefficacité.

Sur le plan éthique, les critiques visent fréquemment l’intégrité de la recherche scientifique, l’existence de conflits d’intérêt et de pressions commerciales qui pèsent sur l’intégrité de la recherche médicale et qui peuvent introduire des biais dans les études. Ainsi, comme le notent Henri Bergeron, Patrick Castel, Boris Hauray,

par une ironie de l’histoire, alors que Marks, [La Médecine des preuves. Histoire et anthropologie des essais cliniques515] soulignait l’espoir placé dans les ERC par ses promoteurs académiques pour limiter l’influence des industries pharmaceutiques sur les décisions médicales, on a assisté à une forme de privatisation de la production des données utilisées pour l’EBM, privatisation qui résulte des investissements colossaux des acteurs économiques dans le développement des thérapies – plusieurs centaines de millions de dollars pour un

512 Pour une présentation claire et synthétique des critiques et des débats sur les niveaux de preuves et sur l’opposition entre la généralité de la preuve et l’individualisation des soins, voir Robyn Bluhm et Kirstin Borgerson, Evidence-Based Medicine, in The Philosophy of Medicine, D. M. Gabbay, P. Thagard, J. Woods, F. Giffor (ed.), Handbook of the Philosophy of Science, 16, Boston, Kluwer Academic, 2011, p. 217.

513 Jean-Paul Gaudillière et Alexis Zimmer, ibid. p. 79.

514 Ainsi, par définition, les essais cliniques randomisés discréditent la guérison par effet placebo. Voir Isabelle Stengers, « Le médecin et le charlatan », in Tobie Nathan et Isabelle Stengers, Médecins et sorciers, Les empêcheurs de penser en rond, Paris, (1995) 2004, pp. 127-177. On ne peut certes pas reprocher à la médecine scientifique de rejeter hors de son cadre ce qui ne répond pas aux critères de scientificité. Mais il n’en demeure pas moins que l’EBM tend à discréditer et à rejeter hors du soin légitime ce qui ne répond pas à ses critères. Le passage de « non scientifique » à « non légitime » peut être questionné.

515 Harry Marks, La médecine des preuves. Histoire et anthropologie des essais cliniques (1900-1990), Synthélabo-Les empêcheurs de penser en rond, 1999.

médicament – et la conduite des ERC [essais cliniques randomisés], et d’exigences légales croissantes inadaptées à la recherche clinique académique. Non seulement l’impact des financements privés sur les résultats même des essais est maintenant bien connu, mais les firmes ont, pour réaliser ces derniers, investi les hôpitaux et tissé des liens aujourd’hui difficiles à démêler avec le secteur biomédical en général et les experts en particulier.516

Par ailleurs, aux méthodes désormais standardisées d’une intégrité scientifique que l’on fait reposer sur sa « scientificité », l’on peut opposer l’intégrité du clinicien dans la recherche et la production d’une information fiable et non biaisée.

D’autres critiques, reconnaissant la valeur pédagogique de la médecine fondée sur les preuves - à l’origine, l’EBM consistait en une simple méta-méthodologie intégrant la question de l’incertitude de la connaissance médicale517-, dénoncent le fait qu’elle se soit progressivement détournée de son objectif pour répondre à une demande de standardisation des pratiques soignantes. Elle aurait ainsi privilégié

une activité visant à l’élaboration de synthèses de connaissances, puis de recommandations, de référentiels et de protocoles de prise en charge des différentes maladies. Oubliant sa mission de former les praticiens et de leur garantir une certaine autonomie critique face à une connaissance scientifique difficile à manier, l’EBM est rapidement devenue le nom générique d’un système producteur et prescripteur de normes médicales et est ainsi devenue l’instrument de cette volonté de standardisation des pratiques soignantes.518

516 Henri Bergeron, Patrick Castel, Boris Hauray, art. cit. p. 146. Les auteurs renvoient à Sébastien Dalgalarrondo, Sida, la course aux molécules, Paris, Éditions de l’EHESS, 2004.

517 Gordon Guyatt et al., « Evidence-based medicine. A new approach to teaching the practice of medicine », JAMA, 268, 1992, pp. 2420-2425.

518 Élie Azria, « L’humain face à la standardisation médicale », La vie des idées, 26 juin 2012,

https://laviedesidees.fr/L-humain-face-a-la-standardisation-du-soin-medical.html#nh6. L’auteur pointe cette

volonté de standardisation comme une « volonté explicite des autorités de tutelle et des organismes assureurs, publics ou privés, de rationaliser les pratiques médicales par le biais de leur standardisation. Il apparaît aujourd’hui assez clairement que les objectifs n’étaient autres que la mise en place de dispositifs de gestion de la santé d’inspiration néolibérale empruntés au secteur industriel et aux théories du New Public Management. Pour gérer la santé au même titre que tout processus industriel, il fallait être en mesure de standardiser les pratiques en instaurant une approche procédurale du soin, et pour ce faire de disposer, vis-à-vis des soignants, d’une base solide et convaincante ». Pour une approche plus nuancée qui explore les politiques de standardisation « via les recommandations de pratiques cliniques et les autres outils de standardisation, voir S. Timermans et M. Berg, The Gold Standard, op. cit.

183 D’autres, enfin, pointent la « déshumanisation » qui serait corrélative de certaines formes de standardisation, de rationalisation et de technicisation de la médecine, et la focalisation sur la pathologie au détriment de la personne519. Dans cette perspective, l’EBM aurait tendance à réduire les patients à des objets technologiques et les médecins à des techniciens520.

Concernant l’implantation de la médecine fondée sur les preuves et de ses outils dans la pratique et la décision médicales, deux lacunes sont pointées, qui conduisent à en dénoncer les usages non critiques ou à remettre en question sa valeur pour la décision clinique individuelle : tout d’abord, dans de nombreux cas, les preuves sont absentes. Les « guidelines »521 et les référentiels issus des études cliniques sont insuffisants à couvrir l’ensemble des situations cliniques auxquelles sont confrontées les médecins. La pratique clinique est parsemée de « zones grises »522, de domaines de l’activité clinique pour lesquels les études et les données scientifiques n’existent pas ou ne sont pas représentatives des patients auxquels elles prétendent s’appliquer. En outre, l’approche scientifique n’embrasse qu’une partie des questions médicales, et certaines d’entre elles ne peuvent se prêter aux méthodes de recherche actuelles523.

D’autre part, les résultats des essais cliniques randomisés et des méta-analyses démontrent l’efficacité comparée d’un traitement pour un patient randomisé « moyen », « standard ». Le passage du patient « standard » au patient individuel pris dans sa singularité peut être problématique, par exemple pour les patients souffrant de polypathologies524. Les essais cliniques randomisés, qui sont l’outil méthodologique principal de la médecine fondée sur les preuves, sont insensibles aux données contextuelles se rapportant à l’individualité des patients. Plus largement, les recommandations issues de l’EBM ne prennent pas en compte

519 On se souvient que la dénonciation du risque de « déshumanisation » était un lieu commun du discours de la médecine interne dénonçant les effets potentiellement délétères d’une médecine hyperspécialisée. Dans la même veine, l’on trouve dans les critiques de la médecine fondée sur les preuves cette opposition récurrente d’une médecine fondée sur la pathologie potentiellement « déshumanisante » et d’une médecine humaniste qui remet la personne au centre du soin.

520 D. Frankford « Scientism and Economism in the Regulation of Health Care », Journal of Health Politics, Policy, & Law, 19, 4, p. 776 cité par Eric Mykhalovskiy and Lorna Weir, « The problem of evidence-based medicine : directions for social science », art.cit.

521 Les recommandations de pratique clinique, ou recommandations de bonnes pratiques.

522 C. D. Naylor, « Grey zones of clinical practice : some limits to evidence-based medicine », Lancet, 1995, 345, pp. 840-842. Nous y reviendrons.

523 L’on peut penser aux soins palliatifs, aux soins des personnes très âgées etc.

524 Pour des raisons que nous développerons ultérieurement. De manière générale, c’est la représentativité des populations incluses dans les essais randomisés qui peut être mise en cause (exclusion des personnes souffrants de comorbidités, « polymédiquées », surreprésentation de personnes jeunes et en relative bonne santé – et sous- représentation des personnes âgées. Les sujets inclus dans les ECR ne constituent pas un échantillon représentatif de la population générale.

l’ensemble des éléments qui influent sur le processus de décision thérapeutique (le patient dans sa singularité mais également les contingences matérielles525, etc.). Dès lors,

l’EBM ne peut être considérée comme une collection de recettes médicales toutes faites : elle nécessite de décider dans quelle mesure les résultats de la recherche exprimés sous forme de conduite à tenir [guidelines] peuvent s’appliquer à la situation clinique concrète du patient, son état de santé, ses préférences.526

Il n’est pas suffisant d’affirmer la nécessité d’adapter les référentiels et les recommandations de pratiques au patient individuel appréhendé dans sa singularité par l’exercice du jugement clinique. En théorie, la pratique de la médecine fondée sur les preuves repose sur une triangulation : il s’agit dès lors d’intégrer les choix et les préférences du patient dans la prise de décision. Ce troisième pôle ouvre-t-il une fenêtre d’expression pour le patient en tant que sujet527 ? La réponse n’est pas évidente. Les modes d’intégration de ces préférences demeurent, en fait, largement problématiques528. Si l’accent est mis sur la nécessité de conjuguer les différentes sources du savoir dans le jugement clinique, la question de savoir comment le faire et quel statut donner à chacun des éléments reste largement en suspens529. La médecine fondée sur les preuves conçue comme méthode de résolution de problèmes cliniques prend la forme d’une procédure décisionnelle en cinq étapes530 : la première consiste

525 Ce point que, nous ne faisons qu’évoquer ici, est très important : les contingences matérielles, les contraintes structurelles viennent souvent considérablement restreindre l’espace de la décision. Voir le chapitre 1 de la troisième partie.

526 Vanina Mollo et Catherine Sauvagnac, op. cit., p. 41.

527 Canguilhem insiste sur l’irréductibilité du point de vue du malade : « Il ne s’agit en aucune façon de faire chorus avec tous ceux qui mettent en question l’impératif d’observance de règles thérapeutiques confortées par les résultats, critiquement expérimentés, de la recherche médicale. Mais il faut parvenir à admettre que le malade est plus et autre qu’un terrain singulier où la maladie s’enracine, qu’il est plus et autre qu’un sujet grammatical qualifié par un attribut emprunté à la nosologie du moment. Le malade est un Sujet capable d’expression (…). » Canguilhem, « Puissance et limite de la rationalité en médecine », Études d’histoire et de philosophie des sciences, Paris, Vrin, 2002 p. 408.

528 En 2000, l’un des membres de l’Evidence-Based Medicine Working Group, rappelait dans un article l’importance de s’assurer que les décisions de santé reflètent les préférences des patients et soulignait le chemin qu’il restait à faire pour déterminer les meilleures façons d’intégrer ces préférences : « de nombreuses questions restent sans réponse sur la manière d’éliciter les preferences et de les intégrer à des consultations cliniques déjà sujettes à la pression du temps” (nous traduisons). Gordon Guyatt et al., « Evidence-based medicine : Principles for applying the users’s guides to patient care », JAMA, 2000, p. 1292.

529 John Worrall, « Evidence in Medicine and Evidence-Based Medicine », Philosophy Compass, 2007, 2, pp. 530 Les cinq étapes sont décrites par David L. Sackett, Evidence Based Medicine. How to practice and teach EBM, Edinburgh, Churching Livingstone, 2000. Nous reprenons ici la présentation qu’en fait Philippe Bizouarn,

185 à formuler le ou les problèmes cliniques à résoudre dans le cas considéré. Il s’agit de transformer le problème clinique envisagé en une question « individualisée et soluble » (answerable question)531. La deuxième étape consiste à rechercher la meilleure information permettant de répondre à la question, et ce en se référant aux meilleures sources. Il faut ensuite, et c’est la troisième étape, évaluer de façon critique cette evidence, apprécier son degré de validité, son impact et son utilité en pratique. Il existe pour cela des échelles, qui permettent de hiérarchiser les résultats des études. La force de la preuve peut être transformée en un niveau de recommandation pour la pratique (guidelines). Ces recommandations sont élaborées ou rassemblées par les institutions professionnelles ou publiques (en France, la Haute Autorité de Santé). La quatrième étape du processus est celle du jugement clinique : il s’agit de repérer « le groupe auquel peut appartenir le patient et d’en caractériser les principaux attributs évalués le plus objectivement possible. »532 Ce faisant, le clinicien définit les critères d’applicabilité des données extraites des étapes précédents au patient.

Selon Glasziou, Guyatt et Dans533, cités par Philippe Bizouarn, il convient alors de se poser

les questions suivantes :

1. « Mon patient est-il si différent des participants de l’étude que les résultats ne peuvent pas lui être appliqués ? » Les auteurs reconnaissent que le patient ne satisfait pas à tous les critères d’inclusion et d’exclusion adoptés dans les études. Cependant, ils résolvent le problème en se posant une autre question : « Le processus pathologique sous-jacent de mon patient est-il si différent que l’étude ne m’est d’aucune aide ? »

2. « Le traitement est-il réalisable dans le cadre de mon travail ? » Les conditions géographiques, les données économiques et l’organisation du système sanitaire sont les contraintes évoquées pour ne pas appliquer facilement le traitement « idéal » et des solutions intermédiaires peuvent être proposées.

3. « Comment quantifier les risques et les bénéfices du traitement ? » En effet, l’evidence seule ne suffit pas à régler le problème clinique posé. Une bonne

« Aspects éthiques de la médecine factuelle (EBM) », in Emmanuel Hirsch, Traité de bioéthique, Toulouse, Erès, coll. « Poche-Espace éthique », 2010, pp. 730 sqq.

531 Cette étape est déjà foncièrement réductionniste : un patient présente rarement un problème délimité, unidimensionnel, qui peut facilement être traduit en une answerable question.

532 Philippe Bizouarn, ibid., p. 732.

533 Paul Glasziou, Gordon H. Guyatt et Antonio L. Dans, « Applying the results of trials and systematic reviews to individual patients », ACP Journal Club, A15-16, 1998.

décision clinique doit s’appuyer sur une estimation des risques et bénéfices de tel traitement, en les confrontant aux différentes alternatives thérapeutiques possibles. À ce stade, il est souvent nécessaire de faire appel à d’autres types d’essais cliniques, parfois différents de la forme canonique de l’essai clinique randomisé, comme les études observationnelles, que les méthodologistes de l’EBM reconnaissent alors.

4. « Que préfère mon patient ? ». Étudier le processus d’expression et de compréhension des valeurs du patient afin de les incorporer dans le processus de la décision médicale constitue, pour les défenseurs de l’EBM, un « enjeu » majeur. L’idéal de l’EBM consiste de cette façon à intégrer dans le processus de décision, de manière la plus pertinente possible, les choix « éclairés » du patient, jusqu’à inventer l’Evidence Based Patient Choice.534

Cette étape, du moins telle qu’elle est présentée ici, montre la force de l’articulation potentielle entre médecine fondée sur les preuves et décision partagée.

La cinquième étape consiste à évaluer la capacité du décideur à exécuter les quatre étapes précédentes et à suivre les principes de l’EBM.

Selon la littérature qui discute et promeut une telle conception « triangulaire » de la médecine fondée sur les preuves, la décision médicale se prend donc en prenant en compte trois paramètres : les données de la recherche (systématisées et standardisées), le jugement et l’expérience clinique du médecin, et les préférences du patient et/ou de son entourage. La manière dont les guidelines sont individualisées et dont les préférences des patients sont intégrées demeure l’objet d’intenses discussions535. Par ailleurs, une ambivalence demeure : intégrer les préférences du patient, est-ce affirmer que la médecine fondée sur les preuves est une méthode qui améliore la connaissance des moyens dont la médecine dispose, « les fins pouvant être établies par ailleurs » (notamment par les patients) ? Ou bien l’intégration des valeurs doit-elle servir à atteindre plus facilement, et dans de meilleures conditions - de manière efficiente - la fin que se donne une telle médecine : guérir la pathologie ? La médecine fondée sur les preuves demeure-t-elle centrée sur la pathologie ?

534 Philippe Bizouarn, « Aspects éthiques de la médecine factuelle (EBM) », in Emmanuel Hirsch, Traité de bioéthique, Toulouse, Erès, coll. « Poche-Espace éthique », 2010, pp. 730 sqq.

535 Murray Krahn, Gary Naglie, « The next step in guideline development : incorporating patient preferences, JAMA, 2008, 300, 4, pp. 436-438 ; voir aussi la réponse à cet article : Hassan Murad, Victor M. Montori,

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