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DEUXIÈME PARTIE : LA DÉCISION MÉDICALE AU CARREFOUR DE NOUVELLES NORMES ?

Chapitre 1 Penser ensemble la santé et l’autonomie dans la décision médicale ?

I. AUTONOMIE : ÉMERGENCE ET EFFECTIVITÉ D’UNE NORME CLINIQUE, ÉTHIQUE, JURIDIQUE ET SOCIALE

I.I. 6 De l’idéal des Lumières à l’instrument disciplinaire : une critique de l’autonomie

I.2 Émergence de la norme d’autonomie en médecine : d’un corps à restaurer vers un sujet à respecter 354 ?

I.2.1 Autonomie et dépendance

Les premières occurrences du terme dans la littérature médicale et les premiers usages de la notion dans la pratique médicale concernent l’autonomie « physique ».

L’autonomie entre alors très vite dans un jeu polarisé avec la dépendance, en l’occurrence la dépendance physique356, notion qui a été introduite et définie dans le champ des maladies chroniques, de la gériatrie et du handicap par opposition à celle d’autonomie357.

Une forme de dépendance physique advient lorsque certains organes ont besoin d’être suppléés pour accomplir les fonctions vitales nécessaires à la survie de l’organisme. L’individu est alors dépendant d’un dispositif technique, d’un traitement pharmacologique358. L’individu peut également être dépendant d’une prothèse ou encore d’un tiers pour la réalisation d’un certain nombre de gestes de la vie quotidienne. Dans de nombreuses situations de maladie, d’accident, de handicap, la personne est confrontée, de façon temporaire ou définitive, à une diminution de ses capacités physiques qui restreignent ses déplacements et sa capacité d’action et entraînent, pour l’accomplissement d’un certain nombre de déplacements, de gestes, une dépendance (envers des tiers, ou un dispositif technique).

À l’inverse, l’autonomie se définit comme une indépendance physique, c’est-à-dire comme « la capacité à se déplacer dans l’espace au moyen des forces dont son corps est doué »359. Cette autonomie physique se prolonge dans une « autonomie d’action » : elle doit « pouvoir s’accompagner d’un sens de l’adaptation aux situations de la vie ordinaire qui permet à l’agent de subvenir à ses besoins »360. L’autonomie, en ce sens déjà élargi, peut être conçue

356 Bien qu’elle fasse partie de la terminologie médicale, nous écartons ici la notion de dépendance entendue comme addiction et définie par l’OMS comme « un état psychique et parfois physique, résultant de l'interaction entre un organisme vivant et un produit, caractérisé par des réponses comportementales ou autres qui comportent toujours une compulsion à prendre le produit de façon régulière ou périodique pour ressentir ses effets psychiques et parfois éviter l'inconfort de son absence (sevrage). »

357 Voir Éric Bret, « Dépendance et insuffisance respiratoire chronique », Sciences sociales et Santé, 2007, vol. 25, n° 4, pp. 49-82 ; Bernard Ennuyer, « Les malentendus de ‘l’autonomie’ et de la ‘dépendance’ dans le champ de la vieillesse », Le sociographe, 2013/5, pp. 139-157.

358 Pensons par exemple aux personnes dialysées, ou sous assistance respiratoire. 359 CCNE, « Refus de traitement et autonomie de la personne », art. cit., p. 24.

comme la capacité, sans aucune aide, à se déplacer, à réaliser seul les gestes de la vie quotidienne et à s’adapter aux situations rencontrées361.

L’adjectif « dépendant » a été introduit dans la littérature gériatrique pour qualifier l’état de vieillesse en 1973, par un médecin d’hébergement de long séjour, Yves Delomier. Il écrit alors :

Le vieillard dépendant a (…) besoin de quelqu’un pour survivre, car il ne peut, du fait de l’altération des fonctions vitales, accomplir de façon définitive ou prolongée, les gestes nécessaires à la vie.362

L’adjectif s’impose ensuite pour qualifier les personnes âgées ayant des difficultés à accomplir seules les principaux actes de la vie quotidienne, en raison de pathologies d’origine organique ou psychique, et ayant besoin de ce fait d’être aidées pour la réalisation de ces activités.

En 1985, un arrêté ministériel « relatif à l’enrichissement du vocabulaire relatif aux personnes âgées, à la retraite et au vieillissement » fournit la première définition officielle de la dépendance, et définit la « perte d’autonomie » :

Dépendance : situation d’une personne qui en raison d’un déficit anatomique ou d’un trouble physiologique ne peut remplir des fonctions, effectuer des gestes essentiels à la vie quotidienne sans le concours d’autres personnes ou le recours à une prothèse, un remède, etc. Note : la dépendance du malade, de l’invalide, du vieillard n’aboutit le plus souvent à la privation ou l’abdication de son autonomie363 que par le cumul et la combinaison de dépendances ajoutées, qui sont d’un autre ordre que la pathologie organique ou fonctionnelle, par exemple d’ordre économique, financier, social.364

361 Nous verrons que ce sens de l’autonomie comme capacité d’adaptation, voire comme « adaptabilité » entre en résonance avec certaines conceptions de la santé. Voir la conception goldsteinienne de la santé mais aussi les conceptions mobilisées par la médecine interne. Sur la correspondance des notions d’autonomie et de santé conçues comme adaptation, voir Éric Gagnon, « L’avènement médical du sujet. Les avatars de l’autonomie en santé », op.cit.

362 Yves Delomier, « Le vieillard dépendant. Approche de la dépendance », Gérontologie, n°12, p. 9. 363 L’on ne sait pas très bien à quoi renvoie alors cette « abdication de l’autonomie » ?

364 Journal officiel, 1985, pp. 7520, cité par B. Ennuyer, « Les malentendus de ‘l’autonomie’ et de la ‘dépendance’ dans le champ de la vieillesse », Le sociographe, 2013/5, p. 143.

135 La définition renvoie à la perte d’autonomie comme « l’impossibilité pour une personne d’effectuer certains actes de la vie courante dans son environnement habituel. »365 La perte d’autonomie ainsi définie est la perte d’autonomie fonctionnelle ou exécutionnelle.

Autonomie et dépendance sont renvoyées dos-à-dos, et dépendance et perte d’autonomie366 sont mises en équivalence.

La définition de la dépendance dans le champ gériatrique est désormais plus large. Elle est ainsi définie par le Collège des enseignants en gériatrie comme « l’impossibilité partielle ou totale pour une personne d’effectuer sans aide les activités de la vie, qu’elles soient physiques, psychiques ou sociales, et de s’adapter à son environnement »367. La notion d’autonomie et celle de dépendance sont utilisées pour qualifier les personnes et leur situation et pour déterminer les prises en charge et les dispositifs d’aide :

La notion de dépendance réfère soit aux incapacités fonctionnelles de la personne (incapacités que l’on cherche à mesurer), soit à sa relation, plus ou moins intense, à un dispositif médical, social ou technique compensant ses incapacités. La notion d’autonomie sert tout à la fois de point de référence pour qualifier les personnes et d’objectif à atteindre pour la personne et les soignants.368

L’autonomie, en ce sens, est une norme de soin. Nous verrons les critiques que suscitent ces conceptions de l’autonomie et de la dépendance.

I.2.2 Autonomie et maladies chroniques : le « patient autonome » et le « malade

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