• Aucun résultat trouvé

Sous-section 1 Création d’entreprises et économie informelle

Le concept d’économie informelle est né dans le Tiers-monde d’une série d’enquêtes sur le marché du travail dans les villes africaines. Keith Hart4, « découvreur » du concept a mis en avant, à partir d’enquêtes de terrain, deux types de revenus pour les personnes au travail, soit le salaire, soit le revenu d’une activité. Ce deuxième cas de figure caractérise ce que Keith Hart appelle l’économie informelle et qui correspond peu ou prou à une situation d’auto-emploi (self-employment). Le Bureau International du Travail pour le compte duquel Keith Hart a introduit la distinction entre ces différentes formes de revenu assimila informel à pauvre, ce qui cantonna les réflexions autour de ce concept au champ bien défini des économies en développement.

Quatre spécificités sont censées caractériser l’économie informelle :

- faible coût d’entrée en terme de compétence, de capital et d’organisation ; - propriété familiale de l’entreprise ;

- petite échelle d’opération ;

- production faiblement capitalistique basée essentiellement sur le travail.

Essayons de confronter ces caractéristiques à la situation de la création

d’entreprise en France actuellement. Selon l’enquête INSEE « système d’information sur les nouvelles entreprises » (SINE 1994), complétée par l’Agence nationale pour la création d’entreprise5, 76% des créations pures (hors reprise) représentent des entreprises

n’employant aucun salarié, 21% en emploient de 1 à 5, et seulement 2% emploient plus de 5 salariés. La création d’entreprise concerne donc essentiellement des entreprises de petite taille.

De plus ce type d’entreprise est très peu capitalistique : 53% des créateurs ont investi moins de 50 000 francs, 23% de 50 000 à 100 000 francs et seulement 5% plus de 500 000 francs. Sur 179 000 entreprises créées, 2 000 seulement (environ 1% des créations) correspondent à l’application d’une innovation technique marquante sur le modèle de l’entrepreneur schumpétérien. Plutôt que l’innovation c’est la reproduction de pratiques professionnelles antérieures (66% des créateurs ont une pratique antérieure dans le domaine), voire la reproduction d’une catégorie sociale qui prédominent (72% des créateurs ont un créateur dans l’entourage). Si l’on peut parler de culture d’entreprise au sens où les créateurs partagent des traits communs, celle-ci correspond plus à un esprit de reproduction sociale ou professionnelle qu’à une pensée innovante.

L’« esprit d’entreprise » semble difficile à cerner à la lumière des chiffres précédents. Les objectifs des créateurs viennent corroborer la remarque précédente : les deux tiers des nouveaux chefs d’entreprise cherchent seulement à vivre de leur activité, voire à ne créer que leur propre emploi6. C’est parmi cette population que l’on trouvera le plus grand nombre des créateurs « contraints », c’est-à-dire les personnes qui n’ont pas d’autre alternative au chômage que la création de leur propre emploi. La précarisation de l’accès à l’emploi pousse de plus en plus de personnes en marge du marché du travail à créer leur entreprise : 47% des créateurs étaient auparavant au chômage7.

Le niveau de scolarisation ne semble pas être un élément déterminant dans la création d’entreprise : 44% des créateurs ont le bac ou plus, donc 56% ont un niveau

5 Lorsqu’il n’y a pas d’autres indications, les chiffres cités à la suite proviennent de : enquête INSEE

« système d’information sur les nouvelles entreprises » (SINE 1994) cité dans Bertrand Larrera de Morel, 1996. Il est à noter que l’Agence nationale pour la création d’entreprise (ANCE) se dénomme maintenant l’Agence pour la création d’entreprise (APCE) depuis les fortes réductions budgétaires qu’elle a connues en 1996 (son site internet est le suivant : http://www.apce.com).

6 Emploi individuel qui implique souvent (pour ce qui est du commerce notamment) une participation à

l’activité de l’épouse et des enfants.

d’éducation inférieur au bac. Un haut niveau de diplôme n’est pas requis pour créer sa propre entreprise (bien qu’il intervienne certainement en ce qui concerne l’activité de l’entreprise). L’appartenance socioprofessionnelle des créateurs tend à confirmer ce point : la proportion d’ouvriers-employés est la même que celle de cadres-chefs d’entreprise.

Tableau 9. Catégories socioprofessionnelles des créateurs8

chefs d’entreprise 14% employés 26%

cadres 19% ouvriers 14%

agents de maîtrise 5% sous- total 40%

sous- total 38% autres 22%

Les créations et l’emploi dans le secteur privé concernent pour la plus grande part de très petites entreprises9 (TPE). Il est vrai, cependant, que les 12,6 millions de salariés du secteur privé ne travaillent pas majoritairement dans les très petites entreprises.

Tableau 10. Répartition des emplois des salariés du privé en fonction de la taille de l’entreprise10

Entreprises de moins de 10 salariés de 10 à 499 salariés de 500 salariés et plus Total

en % 23% 47% 30% 100%

Si en terme de stock, seulement 23% des emplois des salariés du privé se trouvent dans des entreprises de moins de 10 personnes, ceci ne doit pas faire oublier que la majorité des entreprises nouvellement créées ne comptent aucun salarié et concernent une forte proportion de chômeurs. De plus même si en terme d’emplois les très petites entreprises n’ont pas un poids déterminant, elles sont en revanche majoritaires en terme de création, comme cela a été vu plus haut, et en nombre absolu.

8 Bertrand Larrera de Morel, 1996.

9 Nous désignons par « très petite entreprise », les entreprises de moins de 10 salariés. Ceci correspond à un

seuil de mesure fixé par l’INSEE. Dans le Système d’Information sur les Nouvelles Entreprises (SINE) des modalités sont distinguées en dessous de 10 salariés. En revanche au-delà de 9 salariés on ne trouve que la modalité « 10 salariés et + ». Ce seuil théorique fixé à 10 salariés ne doit pas faire oublier que 97% des entreprises créées emploient moins de 5 salariés.

10 source : « Les nouveaux chefs d’entreprises en 1996 », Agence pour la création d’entreprise (APCE),

Tableau 11. Nombre d’entreprises en fonction du nombre de salariés11 Entreprises n’employant aucun salarié employant entre 1 et 4 salariés employant entre 5 et 499 salariés employant + de 500 salariés Total nombre 1 200 000 900 000 200 000 2 300 2 300 000 % total 52% 39% 9% 0,1% 100%

Il est à noter que la création d’entreprise en 1996 est à l’origine de 541 000 emplois12. Parmi les 700 000 personnes qui se déclarent prêtes à créer une entreprise seulement 275 286 entreprises seront créées (171 641), reprises (46 041) ou réactivées (57 604)13. Un frein puissant à la création est la difficulté de réunir des fonds propres. Or les banques ne financent que 22% de l’ensemble des créations d’entreprises et se détournent des très petites entreprises (moins de dix salariés) en raison de risques estimés comme étant trop élevés. C’est ici que la solidarité financière peut jouer14.

En définitive les entreprises créées en France sont faiblement capitalistiques et de taille très réduite. La création d’entreprise représente souvent une alternative au chômage pour des créateurs qui ne sont pas forcément très diplômés, autant de caractéristiques qui s’approchent fortement de la définition d’une activité informelle. De ce fait, il est possible d’envisager la création d’entreprise comme l’aboutissement d’un processus consistant à réunir les compétences et les fonds nécessaires à l’activité. La création de très petites entreprises en France possède, pour partie, des caractéristiques d’une activité informelle. Un point essentiel allant dans ce sens est l’inscription de la création d’entreprise dans un processus censé pallier une difficulté d’accès à l’emploi (perçu à travers son image traditionnelle, en France : le travail salarié). Pour autant, peut- on assimiler les très petites entreprises à des activités informelles ? Sans doute pas, ce qui nous conduit à préciser le concept d’économie informelle.

Outline

Documents relatifs