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Paragraphe 1. L’origine du sacrifice

Le sacrifice n’est pas propre à l’Inde védique. Pendant des siècles de nombreuses civilisations y ont eu recours : Grecs, Romains, Carthaginois, Gaulois, peuples de l’Amérique pré-colombienne, etc. Les libations offertes apaisent les dieux et permettent de leur demander des faveurs. En effet « on croit que c’est aux dieux qu’il faut acheter et

46 Charles Malamoud, 1989, p. 125. 47 Charles Malamoud, 1989, p. 125. 48 Charles Malamoud, 1988, p. 194.

que les dieux savent rendre le prix des choses »50. Par le sacrifice les hommes entrent en relation avec les dieux, le profane communique avec le sacré. L’étymologie même du terme rend compte du passage du profane au sacré : sacrifier signifie « rendre sacré »51.

Sacrifier permet avant toute chose de s’assurer un avenir auprès des dieux.

« Une des manières de décrire le sacrifice consiste à le présenter comme un voyage qui emporte le sacrifiant jusqu’au ciel puis le fait revenir sur terre. Au cours de cette ascension, le sacrifiant se réserve dans le ciel une place qu’il viendra occuper à sa mort : il mourra, donc il rendra son bien à Yama ; cette mort ne signifie pas cependant disparition totale, car une forme de sa personne survivra et s’installera dans le lieu céleste qu’il est allé visiter et marquer »52

Paragraphe 2. Le déroulement du sacrifice

Les officiants participent au sacrifice de manière à garantir des résultats efficaces. Le caractère sacré du sacrifice varie en intensité. On distingue notamment le sacrifice « domestique » du sacrifice « solennel ». Le premier ne fait intervenir que le sacrifiant alors que pour le second des officiants « spécialisés » sont requis. Dans l’Inde védique, l’officiant est nécessairement un brahmane. Plus d’une quinzaine d’officiants sont nécessaires pour le sacrifice solennel53. Chacun d’eux est spécialisé dans un domaine particulier du rituel : chant, poésie, mouvements, etc. Ces officiants ont pour fonction de guider le sacrifiant jusqu’aux dieux, « car tel est le risque du sacrifice, que le sacrifiant se fourvoie et devienne fou »54. Le corps purifié (sacré) du sacrifiant accède jusqu’aux dieux tandis que son corps profane reste à la garde des sacrifiants. Pour s’assurer du bon déroulement du sacrifice et notamment du retour de son corps sacré vers son enveloppe profane, le sacrifiant offre des richesses aux officiants. Ces richesses offertes aux prêtres portent le nom de daksina. La daksina est le gage du bon déroulement du sacrifice. « Le sacrifice comme dispositif d’actes est comparé à un char ou à un bateau, et l’on nous dit que ce sacrifice métaphorisé en char ou bateau a besoin de lien pour que les différentes pièces tiennent ensemble »55. Ce lien est la daksina. Nous verrons plus loin56 que ce

paiement est l’acte fondateur de la monnaie.

50 Marcel Mauss, [1923] 1995, p. 167. 51 Emile Benveniste, [1969] 1994, p. 188 52 Charles Malamoud, 1989, pp. 125-126. 53 Voir Charles Malamoud, 1998, p. 38 sq. 54 Charles Malamoud, 1995, p. 111. 55 Charles Malamoud, 1995, p. 111 56 Deuxième section de ce chapitre.

Paragraphe 3. La victime du sacrifice et la cuisson du monde

L’objet du sacrifice est de fonctionner comme une mort partielle, un substitut à la mort définitive. Il s’agit pour le sacrifiant de reculer l’échéance ultime. « Pour se libérer sans pour autant être anéanti, il faut faire accepter à Yama un substitut de ce qu’on lui doit : c’est le sacrifice »57. C’est ainsi que la victime première du sacrifice est le sacrifiant lui même qui, durant le sacrifice, meurt par procuration : « le véritable sacrifice est celui qui a pour offrande le sacrifiant lui même, les autres animaux n’étant que les substituts de cet homme qu’est le sacrifiant »58. On s’immole soi même par le sacrifice qui est un remboursement total simulé. « Pour négocier ce dépôt que représente toute vie, il faut trouver un gage symbolique entre l’homme-débiteur et le dieu-créancier »59.

Les hommes doivent leur vie aux dieux, pourtant ces derniers ne peuvent se passer des hommes. Par les sacrifices les hommes nourrissent les dieux du crédit (*kred) qu’ils placent en eux : « la croyance de l’homme repose sur l’idée que le rite qu’il accomplit lui donne une créance sur les dieux »60. Les créances et les dettes entre dieux et hommes s’entremêlent. Cet entrelacs fonde un monde où le sacré et le profane cohabitent, où le commerce entre les dieux et les hommes détermine celui des hommes entre eux et fonde la société. Le Véda décrit l’acte sacrificiel comme la « cuisson du monde »61. En « faisant la cuisine » le brahmane participe à l’élaboration d’un monde où hommes et dieux vivent en bonne intelligence.

« Ce monde que cuit le brahmane, c’est le monde ‘fait’ qu’il fabrique et organise autour de lui dans le sacrifice. Mais n’allons pas opposer le monde cuit par le travail sacrificiel à un monde cru et naturel qui lui préexisterait. Car en fin de compte, tout est déjà cuit, il ne s’agit que de recuire »62.

En perpétuant par le sacrifice l’alliance entre les dieux et les hommes, le brahmane reconstruit constamment le monde et assure ainsi la pérennité de la société des hommes. 57 Charles Malamoud, 1989, p. 125. 58 Charles Malamoud, 1989, p. 105. 59 Jean-Marie Thiveaud, 1998, p. 98. 60 Charles Malamoud, 1989, p. 131. 61 Charles Malamoud, 1989, p. 35 sq. 62 Charles Malamoud, 1989, p. 65.

Sous-section 4. Dette et finance

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