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Sous-section 4 Un droit au crédit ?

Obtenir de l’argent par le biais du crédit permet une consommation qui, nous l’avons vu notamment à travers l’exemple emblématique du Crazy George’s, bien plus que de subvenir à des besoins d’ordre physiologique contribue à positionner la personne dans un groupe caractérisé par une hiérarchie de valeurs spécifiques. L’obtention d’un crédit peut aussi être le point de départ de la création d’une petite entreprise58.

Rappelons que si la législation française permet à chacun d’avoir un compte bancaire (éventuellement sans chéquier) elle n’oblige aucunement une banque à accorder un crédit. Le non-accès au crédit n’est pas considéré comme un facteur excluant. A ce

56 Voir à ce sujet l’initiative d’un cadre bancaire travaillant au service contentieux de la BNP : Dominique

Dupuy, 1998.

57 « L’activité commerciale des banques en question ? », Actualité bancaire n°287, 25 avril 1996. 58 Voir les chapitre 6 et 7.

titre d’ailleurs un hypothétique droit au crédit n’apparaît nulle part dans l’éventail des droits que les moutures successives d’une loi sur l’exclusion tendent à défendre. Le Centre Régional de la Consommation59 a mis à disposition du public des Ecoles de

consommateurs une étude sur « Les relations contractuelles entre un banquier et son client »60. A l’instar des autres dossiers du Centre Régional de la Consommation, ce document se veut pratique et décrit de façon détaillée les démarches à suivre en fonction des situations que les personnes sont susceptibles de rencontrer dans leurs relations avec une banque (ouverture de compte, chèque sans provision, découvert bancaire, fermeture de compte, etc.). Le dossier insiste beaucoup sur le « droit au compte » (article 58 de la loi bancaire de 1984), il débute d’ailleurs par cette phrase « Aujourd’hui, neuf français sur dix possèdent au moins un compte bancaire ». Le document explique les démarches à accomplir auprès de la Banque de France qui désignera un établissement pour ouvrir un compte si deux refus préalables dans deux établissements différents ont été constatés. Il n’est, en revanche, fait nulle part mention d’un « droit au crédit ». Nous pouvons noter que ce qui concerne le crédit n’est pas abordé par ce dossier alors que c’est une activité courante pour les banques. Cette absence ressemble à une autocensure soit parce que l’on considère que le public des Ecoles de consommateurs n’y a que difficilement accès, soit car l’on estime qu’il vaut mieux éviter de pousser les personnes à s’endetter (il existe en revanche des documents du Centre Régional de la Consommation sur le surendettement).

Le droit au crédit n’est pas inscrit dans la loi française (alors que par exemple le

Reinvestment Act aux Etats-Unis fait obligation aux banques de réserver une partie de

leurs lignes de crédit pour des projets locaux de développement61) ce qui semble tenir à la nature du crédit. Nous pouvons relever quatre éléments permettant de cerner la notion de crédit62 :

- le temps : l’existence d’un décalage entre l’octroi du crédit et son remboursement suppose la confiance que le créditeur peut avoir dans la volonté de

59 Cette association du Nord-Pas de Calais édite des brochures d’information afin d’éviter les pièges de la

consommation. Le Centre régional de la consommation contribue également à travers l’action des Ecoles de consommateurs à former et informer directement, au cours de réunions périodiques, les personnes en situations de précarité économique sur les moyens de consommer moins cher.

60 Centre Régional de la Consommation, mars 1997. 61 Voir Chapitre 6, Section 3, Sous-section 1. 62 Alice Pezard, 1999.

rembourser du débiteur ;

- l’absence de spéculation : la rémunération du crédit est légale tant qu’elle ne dépasse pas des taux usuraires.

« Un prêt usuraire est un prêt consenti à un taux effectif global qui excède au moment où il est consenti, de plus de un tiers, le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les établissements de crédit, pour des opérations de même nature comportant des risques analogues »63 ;

- le risque : le risque nul n’existe pas en dépit des garanties que la banque va tenter d’obtenir ;

- et la confiance.

Attardons-nous sur le dernier élément, la confiance. C’est, en effet un point essentiel dans la relation de crédit. C’est le fondement du contrat de crédit qui est passé

intuitus personae, c’est-à-dire en considération de la personne : les qualités du

cocontractant sont surtout prises en considération (par opposition aux contrats intuitus

pecuniae où ce qui importe c’est le capital apporté — ainsi dans une société de capitaux

on s’intéresse plus aux capitaux apportés par les actionnaires qu’aux actionnaires eux- mêmes).

Qu’est-ce que le banquier entend par confiance ? Lui suffit-il que le client soit de bonne foi ? Celle-ci est nécessaire mais non suffisante. Plusieurs éléments concourent à construire des relations de confiance entre le banquier et son client64. Le banquier peut avoir en mémoire (y compris en mémoire informatique par la consultation du fichier Banque de France qui répertorie les accidents de paiements) la réputation de son client qui se base donc sur l’expérience passée. La proximité existant entre le banquier et son client est déterminante pour construire la confiance. La proximité relationnelle va faciliter l’établissement de relations de confiance et donc l’obtention d’un crédit65. Cette proximité relationnelle s’alimente de la proximité géographique, sociale et mentale. « La proximité mentale peut être celle des savoir-faire et des connaissances partagées par un même groupe ethnique, professionnel, religieux, ou par ceux ayant une éthique ou une idéologie

63 Charles-Henri Gallet, 1996.

64 Pour l’analyse qui suit voir Bernoux Philippe, Jean-Michel Servet, dir., 1997 et plus particulièrement

Jean-Michel Servet, 1997 ainsi que le Chapitre 7.

65 Voir les exemples de relations de proximité susceptibles de faciliter l’accès au crédit développés par

commune, etc. »66

A défaut de relations de proximités des garanties sont réclamées. La bonne foi est nécessaire à l’obtention d’un crédit car le contrat est rompu dès lors qu’il y a tromperie, mais cette bonne foi doit se doubler de garanties ou sûretés qui peuvent prendre plusieurs formes : sûretés personnelles (caution), sûretés réelles (gage, hypothèque, antichrèse) et sûretés fondées sur une réserve de propriété (crédit-bail).

La confiance invoquée par le banquier fait appel à deux registres. On trouve d’une part la bonne foi qui caractérise la confiance aveugle (trust)67 et d’autre part une confiance construite à partir de faits objectifs (confidence)68. Le crédit est inégalitaire car il met en balance risque et garantie. Plus le risque est grand plus les garanties doivent être importantes. Les personnes modestes auxquelles l’octroi d’un crédit est considéré comme risqué ne peuvent pas, par définition, offrir de garantie et se trouvent donc exclues de l’accès au crédit. Cette exclusion résulte non pas a priori d’un quelconque jugement subjectif mais d’une évaluation commerciale. Dans ce cas la confiance est calculée, mesurée (confidence), ce n’est pas un acte de foi (faith/trust), elle traduit l’évaluation la plus objective possible de la capacité à rembourser. C’est en ceci que la conception du crédit par les banques s’oppose à celle des tenants de la « finance solidaire »69 qui, en matière de prêt à la création de petite entreprise, considèrent que, pour reprendre le credo de l’ADIE (Association pour le Droit à l’Initiative Economique) « faire crédit, c’est faire confiance » et qui, dès lors, font crédit sur des bases éthiques et non plus commerciales70. Dans ce cas le terme crédit retrouve son sens étymologique : credere (croire).

Si l’accès au crédit pour les ménages démunis se heurte à la logique commerciale, l’Etat peut apporter des encouragements financiers ou des garanties. Les ménages les plus modestes (75% des ménages ayant bénéficié d’un prêt à taux zéro perçoivent mensuellement moins de 12 500 francs71) sont les premiers bénéficiaires du prêt à taux zéro créé en octobre 1995 par le ministre du Logement de l’époque, Pierre-

66 Jean-Michel Servet, 1997, p. 31.

67 La scène qui donne tout son sens au titre du film d’Hal Hartley, Trust Me, est celle où les deux

protagonistes, successivement, se laissent choir aveuglément dans le vide en comptant sur l’autre pour l’attraper avant de toucher le sol.

68 Voir Dorothée Rivaud-Danset, 1996, p. 952 sq. 69 Voir chapitre 7.

70 Ce sujet est discuté dans les chapitre 6 et 7.

André Périssol, pour relancer l’accession à la propriété. Le projet d’accession concerne un montant moyen de 569 000 francs et est entrepris par des personnes jeunes (70% ont moins de 35 ans). Les apports personnels sont faibles : 75% des accédants au prêt à taux zéro ont un apport personnel inférieur ou égal à 10% du montant de l’opération. Pour être éligible à un prêt à taux zéro il faut que les revenus du ménage ne dépassent pas un certain plafond ce qui est l’inverse de la logique de la garantie bancaire. Ces prêts sont distribués par les banques qui sont en charge d’évaluer le risque mais qui en même temps sont assurées qu’elles seront remboursées car la plupart des prêts sont garantis par l’État par le biais du Fonds de garantie à l’accession sociale. Les banques ont donc tout intérêt à prêter à cette clientèle qui ne présente aucun risque pour elles. Or l’équilibre financier de cette clientèle est fragile et n’est pas pris en compte. On considère que le revenu minimum nécessaire à la maîtrise d’une opération d’accession correspond à l’équivalent de trois SMIC (salaire minimum interprofessionnel de croissance) alors que 75% des ménages ayant bénéficié d’un prêt à taux zéro perçoivent mensuellement mois de 12 500 francs (soit 2,5 SMIC). Ce système semble cumuler des facteurs de surendettement alors que rien justement n’a été prévu pour contrôler cette possibilité. Ainsi en matière de crédit aux personnes démunis on semble constamment évoluer entre deux écueils : l’absence d’accès au crédit et le surendettement.

L’accès au crédit, à l’argent, même s’il peut mener à des situations de surendettement, s’inscrit dans une logique de consommation qui permet d’affirmer une position sociale et de revendiquer une place dans le groupe. Nous allons voir dans la section suivante que l’argent obtenu, d’une manière ou d’une autre, est utilisé de façon spécifique par les populations pauvres. Ceci met également en évidence une hiérarchie des valeurs propre. L’usage qui est fait de l’argent, des monnaies est constitutif de la cohésion du groupe ; en d’autres termes les liens financiers qui apparaissent dans les échanges monétaires des populations modestes resserrent les liens sociaux entre les membres du groupe.

S

ECTION

3.L

ES USAGES SOCIAUX DES MONNAIES CHEZ LES PAUVRES

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