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4.4. Mise en discussion des courants théoriques

4.4.1. Sociologie des organisations et dimension culturelle

Une première mise en discussion des courants théoriques que nous proposons concerne la sociologie des organisations et la dimension culturelle. Nous avons relevé trois « points principaux de rencontre » : les contextes d’action et la culture organisationnelle ; l’accessibilité ; l’implication des acteurs. Nous détaillons ces trois points ci-après.

4.4.1.1. Contextes d’action et culture organisationnelle

Premièrement les travaux de Crozet et Friedberg (1977) n’insistent pas sur la dimension culturelle relative aux contextes d’action, les sociologues s’intéressant plutôt aux structures et aux dynamiques relationnelles en vigueur. Cependant, et puisque la culture organisationnelle ne peut être que collective, que chaque organisation possède sa culture propre, et puisque les dynamiques relationnelles s’inscrivent également au sein d’un collectif, nous pouvons tisser des liens entre l’approche sociologique et la dimension culturelle : c’est parce qu’il y a action collective qu’il peut y avoir des dynamiques relationnelles et une culture spécifique (et/ou des sous-cultures), les « interactions entre acteurs » et la culture étant inhérents et indissociables du jeu collectif.

Dans le même ordre d’idées, et puisqu’ « on ne peut aborder les problèmes de l’entreprise sans faire de lien avec la culture » (Thévenet, 2015, p. 85), nous pouvons en déduire que la culture influencera inévitablement les comportements, donc les stratégies d’acteurs et les pratiques, formalisées et/ou clandestines. Inversement, les comportements et pratiques de terrain influenceront et définiront la culture d’entreprise (Thévenet, 2015). Ce constat met en évidence de manière claire le lien existant entre culture et stratégies d’acteurs, et nous permet de faire un premier pont entre les théories de la sociologie des organisations et la dimension culturelle. De même, il existe un lien entre culture et zones d’incertitudes, qui au

35 même titre que les stratégies d’acteurs s’inscriront au sein d’une culture spécifique et

contribueront éventuellement à la définir.

Dans la même logique, les modèles des trois dimensions de l’organisation (« culture, structure et stratégies d’acteurs » d’Alexandre-Bailly ou « culture, organisation et interactions de Sainsaulieu et Thévenet) nous semblent particulièrement intéressants et pertinents car ils prennent en compte les principaux apports de chaque courant théorique : les axes

« organisation » et « interactions » de la sociologie des organisations, et l’axe « culture » des théories sur la dimension culturelle, qui complète les deux premiers axes.

4.4.1.2. Accessibilité

Deuxièmement, les théories de la sociologie des organisations et la dimension culturelle soulèvent la question de l’accessibilité : Moullet (1992) avec le management clandestin souligne le différentiel entre travail prescrit et travail réel, et, ce dernier se dérobant par nature au regard du management, nécessite des outils et des approches spécifiques pour être

appréhendé. Il en va de même pour la culture qui de par son caractère difficilement saisissable (Hofstede et Minkov, 2010, Thévenet, 2015), est observable à travers les pratiques en vigueur (prescrites et réelles). Ce constat met en évidence les liens qui existent entre le courant

théorique sociologique et le courant culturel, les deux nous invitant à analyser et tenir compte des pratiques réelles en vigueur pour comprendre la réalité de l’entreprise et tenter de

l’influencer.

4.4.1.3. Implication des acteurs

Troisièmement, autant les théories des sociologues des organisations que le « courant

culturel » souligne l’importance de l’implication des acteurs : pour Enlart (2012), une culture forte (cohérence entre systèmes de contrôle, motivations et systèmes d’organisation)

favoriserait l’implication, à condition de l’articuler avec la mise en projet (ce qui permettrait aux collaborateurs de « s’engager » envers l’entreprise, donc de renforcer leur implication).

Cette position est cependant nuancée par Thévenet (2015) pour qui l’individu garde toujours une marge de liberté relative à son implication, même au sein d’une culture forte, ce qui rejoins complètement les concepts de stratégies d’acteurs et de zones d’incertitudes. Pour ceux-ci et dans le prolongement de ce premier postulat, l’implication des acteurs au processus met possiblement en lumière des zones d’incertitudes, donc impacte les dynamiques de pouvoir en présence, ce qui peut engendrer conflits et résistances.

En ce sens, les méthodes participatives ne sont donc pas des recettes managériales applicables de manière automatique à tous les contextes, et doivent être utilisées avec prudence. Pour ce faire, une clé proposée par Friedberg (1997) consiste à limiter la

formalisation et laisser des marges de manœuvres aux acteurs pour qu’ils puissent faire les choses à leur manière, et sans chercher à mettre en lumière ces zones d’ombres de l’activité. La même idée est reprise par le Vallois (2017), qui parle lui d’augmenter « la capacité d’agir » des acteurs (c’est-à-dire leur pouvoir et leur marge de manœuvre au sens de

36 la sociologie des organisations) par des pratiques visant notamment l’implication,

l’autonomisation et la responsabilisation.

Cette position est cependant quelque peu nuancée par plusieurs auteurs (Alter, 2010, Claude, 2002, Dupuy, 2014, Thuderoz, 1999) qui, à propos de la dimension culturelle, estiment que les individus n’accepteront pas de réduire leurs zones d’incertitudes suite à la mise en place de procédures supplémentaires par le management (ce qui rejoindrait le postulat de Friedberg), mais uniquement s’ils peuvent se reposer sur des normes et des valeurs négociées

collectivement : à ce titre et contrairement au postulat de la sociologie des organisations, l’intérêt personnel ne serait pas la seule motivation des acteurs, celle-ci étant également influencée par les normes collectives de fonctionnement, qui font partie de la culture.

Finalement, ces deux positions nous semblent complémentaires dans le sens où le

management peut tenter de réduire les zones d’incertitudes en se basant sur la culture (normes, valeurs partagées, etc), et en prenant garde à ne pas tomber dans l’écueil du

« tout formaliser » ; pour ce faire, il doit admettre le caractère irréconciliable du différentiel entre prescrit et réel (Friedberg, 1997), et laisser volontairement des marges de manœuvre aux acteurs :

« […] le troisième écueil des démarches participatives est l’illusion qu’une organisation puisse être un jour « réconciliée avec elle-même, c’est-à-dire que puisse disparaître l’écart entre la théorie de son fonctionnement (la structure formelle et le discours de ses dirigeants) et la pratique de son fonctionnement, à savoir le management clandestin […]. L’écart entre les deux est irréductible, il est en fait inscrit dans l’action sociale.

[…] il se reconstitue toujours, aux endroits souvent les plus inattendus, parce que les acteurs, pour gérer leurs rapports avec les autres et pour pouvoir faire face aux aléas non prévus par les organisateurs, ont besoin de retrouver un minimum d’autonomie grâce à laquelle ils peuvent négocier des échanges avec les autres acteurs et donc faire

fonctionner l’ensemble. […] le vrai problème ne consiste donc pas à faire disparaître l’écart, mais d’en admettre le caractère inévitable et de le gérer, c’est-à-dire de le connaître, de le comprendre et éventuellement de l’exploiter. La connaissance et l’écoute du terrain, de ses contraintes comme de ses opportunités, constituent donc le premier commandement du bon entrepreneur. » (Friedberg, 1997, p. 355-356)

37 A RETENIR

Cette première mise en discussion a mis en évidence les éléments suivants :

Premièrement, contextes d’action et culture organisationnelle sont intimement liés, tous deux étant des invariants de l’action collective et présents dans tout type d’organisation : le concept de contexte d’action considère l’entreprise dans ses dimensions structurelles et relationnelles, et la culture complète ces deux axes en les englobant, dans une relation dynamique et

systémique.

Deuxièmement, les concepts de la sociologie des organisations (contextes d’action, stratégies d’acteurs, zones d’incertitudes, etc) et de la littérature sur la culture organisationnelle posent également le problème de l’accessibilité : nous pouvons cependant les appréhender par l’observation des pratiques formelles et informelles en vigueur sur le terrain.

Troisièmement, l’implication des acteurs est au centre des préoccupations à la fois pour les sociologues des organisations et pour la littérature culturelle : le renforcement de l’implication peut se faire en s’appuyant sur le levier culturel pour diminuer les zones d’incertitudes (et non pas en cherchant à les supprimer totalement) par les pratiques suivantes : en posant un cadre clair, en négociant le cas échéant les règles de fonctionnement avec les acteurs (ou en les laissant les définir), et en leur laissant des marges de manœuvres sur le « comment ».